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La lecture est devenue une pratique culturelle de niche

La lecture est devenue une pratique culturelle de niche

Elle n’est plus cette pratique cardinale au carrefour de toutes les activités culturelles.

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Le Centre national du livre s’apprête à publier les résultats de son enquête bisannuelle sur les Français et la lecture : ce sera une occasion supplémentaire de chercher à mesurer l’évolution des pratiques de lecture. Mais dès à présent, voyons ce que nous dit l’enquête de 2018 sur les « Pratiques culturelles des Français » de cette évolution. Depuis des décennies, la lecture d’imprimés et notamment de livres suscite des discours inquiets. Le thème de « la baisse de la lecture » rassemble la diversité des acteurs du livre et, au-delà, nombre de lecteurs parmi les plus âgés. Elle donne lieu à des enquêtes de référence. On aurait donc pu s’attendre, comme par le passé, à des réactions à la parution par le Ministère de la Culture des résultats de l’enquête sur les Pratiques culturelles des Français de 2018. Or, cette enquête qui existe depuis 1973 et fait autorité par la stabilité des questions qu’elle contient et par son large échantillon (9200 personnes interrogées en 2018) n’a guère suscité d’intérêt ni de gloses alors que la précédente édition datait de 2008. Pourtant, des éléments intéressants en ressortent.

Une érosion confirmée de la lecture

Alors que les pratiques numériques ne cessent de grignoter le temps d’attention des citoyens, il est intéressant de mesurer comment ont évolué les pratiques de lecture de livres. C’est toute la force de l’enquête du ministère de la Culture que de permettre de saisir, dans la longue durée, l’évolution de la situation grâce au recours à une question stable.

On peut analyser l’évolution de l’intensité de la pratique de la lecture d’abord en observant la part de non-lecteurs dans la population de 15 ans et plus. Lors de la première édition en 1973, cela concernait 30 % d’une population qui n’avait pas encore connu la démocratisation de l’enseignement secondaire. Peut-être du fait de ce processus, le taux de non-lecteurs est descendu à 26 % en 1981 et s’est stabilisé à 27 % en 1988.

Mais l’allongement continu de la scolarité tout comme l’accroissement systématique de l’offre de bibliothèques publiques n’auront pas empêché la remontée constante de la part de la population qui déclare n’avoir lu aucun livre dans l’année. Et les chiffres de 2018 marquent même une accentuation de ce recul du livre papier dans la population avec un niveau jamais atteint (38 %). L’évidence du geste de la lecture s’amenuise.

En 2018, près de ¾ des Français disent lire moins de 10 livres par an. On comprend les inquiétudes d’Antoine Gallimard à propos de cette situation.

Toutefois, il convient de faire preuve de prudence, car, pour cette enquête comme pour les précédentes, la mesure de la pratique repose sur les déclarations des personnes interrogées. Assiste-t-on à une hausse du taux de non-lecteurs ou à l’expression plus aisée de l’absence de pratique de lecture ? L’affaiblissement du statut symbolique du livre facilite peut-être ce qui pouvait être antérieurement conçu comme un aveu par rapport à une pratique valorisée.

Si bien sûr il est nécessaire de savoir lire aujourd’hui, le rapport suivi à la lecture, l’investissement subjectif dans cette activité sont de moins en moins nécessaires à la réussite scolaire, à l’accès et à la vie des élites sociales, économiques ou politiques. Les discours sur l’incitation à la lecture cachent peut-être mal le recul du livre comme marqueur d’une appartenance à une élite. La place, l’influence et l’aura des écrivains et des intellectuels dans notre société paraissent en recul et la fin d’une revue comme Le Débat semble acter cette situation.

Un socle solide de lecteurs intensifs

Mais cette première tendance demande à être nuancée par l’examen de l’évolution de la lecture intensive ou « assidue » pour reprendre la nouvelle dénomination du ministère. De 1973 à 2008, la part de lecteurs de 20 livres et plus dans l’année n’avait cessé de reculer. Elle avait diminué de moitié passant de 29 % à 14 %. Tout cela alimentait les analyses précédentes en termes de recul de la lecture et du livre. L’édition 2018 de l’enquête montre un coup d’arrêt à cette baisse qui aurait pu paraître inexorable. En effet, elle mesure à 15 % cette part de « gros lecteurs » (contre 14 % en 2008). Si la lecture est en baisse, la lecture intensive ne l’est plus. Elle semble avoir atteint une sorte de plancher en deçà duquel il ne serait pas possible de descendre étant donné la place de l’écrit dans notre société. Le livre demeure un repère, un univers indispensable pour cette minorité de la population.

Effet d’âge et de génération

L’évolution de la lecture de livres relève-t-elle d’un effet de vieillissement ou de renouvellement générationnel ? La répétition des enquêtes « Pratiques culturelles des Français » permet de suivre l’évolution des pratiques de lecture de chaque génération au cours de son avancée en âge. Le ministère a fourni les données offrant la possibilité de répondre à cette question.

Lors de la première enquête en 1973, les membres de la génération 1 (1925-1934) et 2 (1935-1944) étaient déjà trop âgés pour qu’on ait pu mesurer leurs pratiques de lecture quand ils avaient entre 15 et 28 ans. Mais, de la génération 3 (1945-1954) à la génération 7 (1985-1994), on constate que chaque nouvelle génération de jeunes déclarait lire moins que la précédente. On est ainsi passé de 35 % de lecteurs intensifs chez les premiers baby-boomers à 11 % pour la génération de leurs petits-enfants. On a donc bien assisté à un recul générationnel de la lecture intensive de livres.

Parallèlement, le vieillissement s’accompagne plutôt d’un repli de la pratique. Pour les membres des générations 1 à 5, la fréquence de lecture intensive est substantiellement à la baisse entre 15 et 28 ans et 43-56 ans. L’investissement dans la pratique au temps de la jeunesse (et aussi des études) laisse place à d’autres activités (professionnelles, domestiques) mais aussi à d’autres sollicitations dont celles de la télévision. Pour toutes ces générations, la consommation quotidienne de télévision est inscrite à la hausse au fil de l’avancée en âge. Par exemple, la génération 3 passe de la moitié de ses membres regardant tous les jours la télévision entre 15 et 28 ans à 91 % quand elle a atteint entre 63 et 72 ans.

Mais cette érosion générationnelle ne s’est pas prolongée dans l’enquête de 2018. Les jeunes de la génération 8 (1995-2004) ne comptent pas en leurs rangs moins de lecteurs intensifs que ceux de la génération précédente (11 %). L’idée d’un plancher de lecteur intensif se vérifie y compris spécifiquement parmi les plus jeunes. Cela laisse augurer une situation durable dans laquelle l’économie du livre pourra s’appuyer sur ce socle. Mais, cet optimisme doit être nuancé en observant la part de non-lecteurs : si la génération 7 en comptait 27 % parmi les 15-28 ans, la suivante en porte désormais 42 % et on repère la même tendance pour les 23-38 ans entre les générations 6 et 7 (31 % contre 44 %). Ceux qui se soucient de la lecture des jeunes gagneraient donc à orienter leur attention davantage vers les petits lecteurs que vers les gros.

Relevons néanmoins que le vieillissement affecte moins la lecture intensive des générations les plus récentes (6 et 7) que les précédentes. Autrement dit, ces nouvelles générations partent d’un niveau moins élevé de lecture intensive au moment de leur jeunesse mais leur pratique s’érode moins avec le temps. Cela conforte l’idée d’un socle de lecteurs.

La banalisation de la lecture

Finalement, les données 2018 fournissent des arguments aux « déclinistes » pour lesquels la lecture est sur la voie du repli : le taux de non-lecteurs a sensiblement augmenté. Elles en donnent aussi aux « optimistes » qui ont des raisons de garder espoir par le maintien d’un socle de lecteurs intensifs. Elles donnent aussi le sentiment que la lecture devient une pratique culturelle de niche.

Elle n’apparaît plus comme cette pratique cardinale au carrefour de toutes les autres et de la vie intellectuelle. Elle reste déterminée par le milieu social et le niveau d’études mais c’est uniquement parmi les catégories sociales supérieures et les diplômés du supérieur que la lecture intensive diminue nettement. Par ce retrait, la lecture de livres semble engagée dans une forme de banalisation qui lui confère peut-être sa pérennité et dont témoignerait le silence qui entoure la parution de ces résultats.

Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l’IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.

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