Prenant appui sur une enquête stupéfiante menée par l’historienne Annie Cohen-Solal, cette exposition porte un regard radicalement nouveau sur l’un des artistes les plus connus au monde, Picasso. Il s’agit de montrer, derrière l’image bien construite du « mythe » Picasso, les freins auxquels son statut d’« étranger » le destinait, à l’aide de documents, de films d’archives, de photographies mais aussi d’œuvres d’art pour la première fois réunis.
On a l’impression que tout a été dit sur Picasso, l’artiste mythique du XXe siècle. Aucune œuvre n’a provoqué autant de passions, de débats, de polémiques que la sienne.
Mais qui a conscience aujourd’hui des obstacles qui pavèrent la route du jeune artiste, convaincu de son génie, qui débarque à Paris en 1900 sans parler un mot de français ? Comment Picasso se repère-t-il dans cette métropole moderne, encore secouée par les séquelles de l’Affaire Dreyfus ? Comment organise-t-il ses premières amitiés, ses premiers succès ? Pourquoi, en 1940, alors qu’il est célébré dans le monde entier, sa demande de naturalisation française est-elle refusée ? Pourquoi son œuvre reste-t-elle invisible dans les musées de son pays d’accueil jusqu’en 1947 ?
Telles sont quelques-unes des questions soulevées par l’exposition Picasso l’étranger. Tel est l’angle inédit adopté par sa commissaire, l’historienne Annie Cohen-Solal. La situation existentielle de Picasso étranger en France, insiste-t-elle, a conditionné sa démarche de création artistique. Six années de recherches dans des fonds d’archives inexploités ont permis de dévoiler les anomalies, les décalages, les scandales même parfois qui attendaient Picasso dans un pays aux institutions obsolètes, secoué par des vagues de xénophobie jusqu’en 1945. C’est dès juin 1901, au moment de sa première exposition à la galerie Vollard, que la police constitue un dossier contre lui, le décrivant comme anarchiste. Pendant quarante ans, dans les administrations françaises, Picasso sera perçu comme un intrus, un étranger, un homme d’extrême gauche, un artiste d’avant-garde – autant de stigmates dont il ne parla jamais à personne, mais qui marquèrent indéniablement son quotidien.
De fait, au-delà de sa production artistique considérable, Picasso va aussi révéler des talents politiques hors pair, devenant un puissant vecteur de modernisation de la France. En 1955, en artiste global et étranger illustre, il s’installe pour toujours dans le Midi, choisissant le Sud contre le Nord, les artisans contre les beaux-arts, la région contre la capitale.
Aujourd’hui, son expérience d’exclusion ne rejoint-elle pas l’expérience de tous ceux qui se sont heurtés au rejet de l’autre ? L’habileté de ses réactions ne constitue-t-elle pas un modèle à contempler et même à suivre ?
À travers les prêts exceptionnels du Musée national Picasso-Paris, du Musée Picasso de Barcelone et du Musée Picasso d’Antibes ainsi que d’autres institutions comme le Centre Pompidou-MNAM, MAMVP, la collection Masurel-LaM tout comme des musées étrangers et des collections privées, Picasso l’étranger établit un nouveau lien entre archives (documents, photographies, films) et œuvres de l’artiste.
L’exposition est accompagnée d’un catalogue, réunissant un panel inédit de 23 écrivains et intellectuels de toutes disciplines et de tous pays qui se penchent à leur tour sur la question de l’étranger et de l’autre.
Picasso l’étranger fait suite au livre d’Annie Cohen-Solal : « Un Étranger nommé Picasso » (Fayard, avril 2021) qui nous fait partager les étapes de son enquête.
Commissariat général : Annie Cohen-Solal, historienne, assistée d’Elsa Rigaux
Exposition Picasso l’étranger au Musée national de l’Histoire de l’immigration – Palais de la Porte Dorée – Paris XIIe, 293 Avenue Daumesnil, du 4 novembre 2021 au 13 février 2022.
www.histoire-immigration.fr
Photos fournies par agence Pierre Laporte Communication