Face au coronavirus et confinement qu’il entraîne, les éditions Gallimard mettent en ligne gratuitement chaque jour un à deux « Tracts de crise » signés par les grandes plumes de la Maison comme Erik Orsenna, Sylvain Tesson, Cynthia Fleury, Régis Debray ou Danièle Sallenave, afin de réfléchir aux questions que soulève l’épidémie et garder le lien avec le lecteur. 33 titres sont parus à ce jour. UP’ a choisi de vous offrir chaque jour un extrait d’un texte et auteur sélectionné.
« Pas de réflexion ! copions ! »
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet
En temps de crise, les écrivains s’interrogent sur la valeur de la littérature. Je suis pour ma part immunisé contre ces doutes. Depuis le commencement du confinement, j’écris tous les jours ; et je peux certifier, sans forfanterie, que j’écris de mieux en mieux.
Je ne tiens pas un journal. Je ne consigne pas mes pensées sur la vie, la mort, la littérature et les épidémies. Un nouveau roman ? Non, ce n’est pas sous mon toit que mille fictions fleuriront.
Le texte qui m’occupe est d’une absolue nécessité.
Mon secret ?Tous les matins, mon imprimante étant hors d’usage, je rédige à la main mon attestation de déplacement dérogatoire. Pour qui a, comme moi, perdu l’habitude de l’écriture manuscrite, l’exercice est ardu.
À vrai dire, cette activité m’a toujours posé problème. L’été précédent mon entrée au cours préparatoire, je me suis cassé le bras droit : c’est donc de la main gauche que j’ai appris à tenir mon stylo. Une fois le plâtre retiré, le pli était pris et j’ai continué, de la main droite, à écrire à la manière d’un gaucher : la main placée non pas sous la ligne d’écriture et à l’aplomb de celle-ci, mais au-dessus et recourbée.
Or cette posture inorthodoxe me vouait à saloper mes lignes d’écriture au fur et à mesure de mon avancée, du fait de cette main droite qui, avec une fatale gaucherie, venait s’étaler sur la ligne à peine écrite, en estomper l’encre encore humide et envelopper mes mots d’une sorte de brouillard bleu. Ce qui m’exposait aux furieux sarcasmes de quelque maîtresse fort peu maîtresse d’elle-même.
L’application inquiète qui était alors la mienne, je la retrouve en copiant l’attestation. De nature craintive et prudente, je souhaite présenter aux forces de l’ordre, le cas échéant, un document impeccable.
Alexandre Postel, « Tracts de crise » n° 32, Gallimard, 3 avril – 20h