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« Cactus » ou l’esthétique d’un monde piquant

Formes simples, figures fractales, couleurs éteintes, sourdes ou éclatantes, gangues épineuses, duveteuses, hirsutes ou cireuses, organes charnus, veloutés, architectures extravagantes, les cactées et plantes succulentes sont un objet de fascination depuis des siècles. Le Nouveau Musée National de Monaco (NMNM), en collaboration avec le musée Yves Saint-Laurent Marrakech qui en est à l’initiative en 2024, leur consacre aujourd’hui une exposition sous le double angle botanique et artistique.

David Hockney, No. 278, 22nd July 2010.
Dessin sur iPad présenté avec animation sur un
écran 55” / iPad drawing shown with animation
on a 55″ monitor © David Hockney

Présents spontanément dans la « zone torride » de notre globe et marqueurs d’aridité, les cactus constituent un objet d’étude idéal pour appréhender la diffusion progressive du foisonnement des flores tropicales en Occident au gré des expéditions, des explorations et de l’explosion de l’horticulture au XIXe siècle. Bousculant, par leurs extravagances, notre représentation du végétal, ces plantes furent rapidement reproduites dans nombre d’ouvrages de botanique et entrèrent dans les collections de jardins prestigieux. Ces végétaux, faussement faciles à cultiver, se collectionnent et sont à l’origine de jardins remarquables de la Californie aux Canaries en passant par la Riviera.

L’exposition Cactus présentée par le NMNM accorde à cette dernière une attention toute particulière à travers des photographies anciennes et contemporaines, mais aussi des documents et des dessins. L’esthétique propre aux cactées a fasciné de nombreux artistes, notamment au début du XXe siècle et particulièrement dans l’entre-deux-guerres. Leur originalité, parfois évocatrice, a fait des cactus et autres plantes succulentes des figures transgressives et inspirantes pour les architectes, photographes, designers, mais aussi des plasticiens ou encore des réalisateurs et autres créateurs qui peuplèrent leurs décors de leur graphisme iconique.

Peu de familles de plantes ont été l’objet de tant de transpositions artistiques. L’exposition en offre un large aperçu faisant dialoguer des œuvres aussi différentes qu’un film d’Eisenstein, un porte-manteau Gufram et un dessin réalisé par David Hockney sur iPad ! Glissant successivement du registre du scientifique à un artificiel parfois étrange, voire menaçant, l’exposition s’échappe de l’intérieur confiné du musée pour se poursuivre dans les jardins de la Villa Sauber transformés pour l’occasion en un spectaculaire jardin de cactées grâce à l’aide du Jardin exotique de Monaco.

Avec des œuvres de :
Kaïs Aïouch & Chahine Fellahi, Ghada Amer, Ziad Antar, Aurel Bauh, Max Beckmann, Katinka Bock, Bernard Boutet de Monvel, Constantin Brancusi, Brassaï, Maurizio
Cattelan & Pierpaolo Ferrari, Philippe Chancel, Julian Charrière, Ali Cherri, Étienne Clerissi, Barbara Crane, Martin Creed, Léon Diguet, Robert Doisneau, Guido Drocco & Franco Mello avec Paul Smith, Latifa Echakhch, Sergueï Eisenstein, Ger Van Elk, Emeric Feher, Alain Fleischer, Henri Foucault, Jean-François Fourtou, Michel François, Francesca Gabbiani & Eddie Ruscha, Maurizio Galante & Tal Lancman, Flor Garduño, Chris Garofalo, Lina Ghotmeh, Domenico Gnoli, Julio González, Florence Henri, Nathanaëlle Herbelin, David Hockney, Larry Jordan, Florentine et Alexandre Lamarche-Ovize, René Lalique, Romain Laprade, Fernand Léger, Jochen Lempert, Eli Lotar, Man Ray, Hilton McConnico, Mathurin Méheut, Cristina de Middel, Richard Laurence Misrach, Serge Mouille, Sir William Nicholson, Stéphane Passet, Bernard Plossu, Albert Renger-Patzsch, Pierre-Joseph Redouté, Ed Ruscha, Yann Sérandour, Shimabuku, Louis de Sigaldi, Philippe Starck, Simon Starling, Johannes Steidl, André Steiner, Wolfgang Tillmans, Henri Tracol, Oriol Vilanova, Yannick Vu, Ossip Zadkine, Ding Zhang, Willy Zielke…

Des plantes d’une étonnante diversité

Sunrise Cactus® by Paul Smith, 2023 (Drocco, Mello, 1972) ©Gufram

Les cactus appartiennent à la famille des Cactacées, au sein de laquelle entre 1 400 et 1 800 espèces sont décrites à ce jour. À l’exception d’une seule espèce, tous les cactus sont originaires d’Amérique. Bien qu’ils soient généralement associés aux milieux arides, tous les cactus ne dépendent pas nécessairement de températures constamment élevées. Certains se trouvent dans les Andes, jusqu’à près de 4 500 mètres d’altitude, où les gels sont fréquents et ils s’étendent jusqu’à l’ouest du Canada. Le genre Agave, autre figure majeure des plantes grasses, comprend environ 300 espèces, tandis que près de 600 espèces d’aloès ont été recensées, pour ne citer que quelques exemples parmi l’immense diversité taxonomique des plantes succulentes.

Ces plantes, d’apparence simple, sont en réalité des chefs-d’œuvre d’adaptation. Symboles de l’aridité, elles doivent leur survie à leur capacité à limiter leur perte en eau. Tout chez ces plantes a été orienté pour aboutir à ce résultat : couche de cire enveloppante limitant l’évapotranspiration, optimisation des volumes au détriment des surfaces et transformation des feuilles en épines minimisant l’exposition au soleil. Il faut s’approcher, observer, pour percevoir la fascinante géométrie cachée dans les multiples sillons et plis de leurs structures, ou encore dans le rythme de leurs feuilles et épines. Leur diversité formelle est méticuleusement répertoriée dans les herbiers. Ces collections de plantes séchées et pressées gardent en mémoire la diversité végétative, florale, fruitière et séminale des espèces végétales, ainsi que les lieux de collecte en milieux naturels ou en culture.

À l’image de Jean-Baptiste Lamarck (1744- 1829), de nombreux scientifiques se passionnèrent pour l’étude des plantes grasses et des cactus. Les décrire impose de les collecter. Pressées et séchées elles expriment dans les herbiers la diversité de leurs formes et leurs ornements. Bien que sécher ces plantes gorgées d’eau et de sucs soit une gageure, ce processus est indispensable à un travail scientifique rigoureux. Il revient à l’illustrateur de représenter tout ce qui disparaît lorsque la plante est séchée. Volumes, couleurs, brillance des cires, ce travail artistique se fait toutefois sous le regard pointilleux du scientifique. »

-Brassaï (Gyula Halász, dit), Cereus, Jardin Exotique de
Monaco, c. 1933, épreuve au gelatino-bromure d’argent sur
papier Baryté glacé, 22,1 × 17,7 cm. Collection Nouveau Musée National de Monaco, n°2006.21.2

Les informations, parfois foisonnantes, consignées sur les étiquettes accompagnant les spécimens permettent aux botanistes d’appréhender l’histoire de leurs voyages,
de leur introduction et éventuellement de leur expansion, puis de leur naturalisation loin de l’Amérique. Outils de description, ces spécimens sont également de véritables témoignages diachroniques de la régression de populations aujourd’hui souvent relictuelles ou disparues. En effet, ces plantes demeurent extrêmement convoitées par les collectionneurs et continuent à être massivement et illégalement prélevées dans la nature pour leurs propriétés alimentaires, médicinales ou psychotropes.

Les premières collections

Aux emblématiques Melocactus, trophées que Christophe Colomb aurait rapportés en Europe et fait d’eux les premiers cactus à atteindre l’Ancien Monde, sont très rapidement venus s’ajouter, des quatre coins de notre planète, les aloès, agaves, sansevières, sans oublier les mimétiques plantes-cailloux. Ces plantes, par leur extravagance, ont rapidement bouleversé notre perception du monde végétal.
Après leur découverte, elles ont intégré les collections de jardins européens prestigieux et ont été illustrées dans nombre d’ouvrages de botanique et d’horticulture. Bien avant les représentations faites par les Européens, les cactus figuraient abondamment dans de nombreux codex précolombiens, notamment Mexicas, et ont également été gravés dans la pierre par les artistes de l’époque. À partir du XIVe siècle, les plantes rares cultivées dans les jardins européens les plus prestigieux furent citées et illustrées dans des ouvrages appelés florilèges. L’un des plus somptueux, l’Hortus Eystettensis, daté de 1613, présente de superbes gravures de plusieurs espèces de cactus et de nombreuses plantes succulentes. Moins connu, Conrad Gessner, dans son ouvrage Horti Germaniae, est l’un des premiers à témoigner d’une tentative de domestication d’un cactus du genre Opuntia en Europe, et plus précisément dans son jardin de Zurich. Plusieurs illustrations du fonds Gessner montrent la plante et ses conditions de culture.

Aux premiers opuntias s’ajoutèrent au fil du temps d’autres espèces qui enrichirent le cortège d’espèces verdissant la principauté. Accrochée au flanc rocheux des hauteurs de Monaco par l’ingénieur Louis Notari, c’est depuis les années 1930 qu’une remarquable sélection de ces plantes compose la collection du Jardin Exotique de Monaco. Spectaculaire tant par la beauté de ces plantes que par son emplacement surplombant, cette institution et ses pépinières associées, sont aujourd’hui des hauts lieux internationaux de la connaissance et de la protection de ces plantes si fragilisées dans leurs milieux naturels. »

Un intérêt horticole, des usages multiples

Depuis cette première tentative, ces végétaux, faussement simples à cultiver, ont été collectionnés et ont donné naissance à des jardins remarquables, tels que le Jardin
Exotique de Monaco, le Jardin Majorelle à Marrakech, le Jardin de cactus de César Manrique à Lanzarote ou encore la collection des jardins Huntington, à San Marino,
près de Los Angeles. Aujourd’hui, rares sont les jardins botaniques qui, sans être spécialisés dans la culture des plantes succulentes, ne possèdent pas au moins une
serre ou un secteur dédié aux plantes des milieux arides.

Domenico Gnoli, Branche de cactus, 1967. Acrylique et sable sur toile, 130 x150 cm. Collection privée © Domenico Gnoli / Adagp, Paris, 2025

Après leur introduction dans ces premiers jardins, peu de temps fut nécessaire pour qu’agaves et cactus ne s’évadent et ne se multiplient spontanément en milieu
naturel pour composer de nouveaux paysages. De nos jours, dans le bassin méditerranéen, les succulentes sont omniprésentes et contribuent pleinement à façonner le paysage culturel. Au-delà de leurs tiges renflées, les cactus produisent des fleurs dotées d’un pouvoir de fascination incomparable. Ces fleurs semblent être nées d’un dessein en tous points opposé à la rigidité des tiges et des épines.
Souvent de grande taille, leurs corolles, fines et délicates, sont généralement de teintes vives. Les étamines, nombreuses et poudrées d’un pollen d’or, attirent les
pollinisateurs grâce à la production de nectar. Chez de nombreuses espèces, la floraison est nocturne et, dans ce cas, leurs fleurs généralement nacrées détonnent dans
l’obscurité. Toutes ces caractéristiques ont fait des cactus de véritables icônes, porteuses de multiples symboliques.

Bernard Boutet de Monvel, Vanniers devant les cactus, 1920. Huile sur toile, 115 × 115 cm. Collection Bank Al-Maghrib, Banque Centrale du Maroc © Bank Al-Maghrib

Au-delà de leur valeur horticole, ces plantes ont été, et sont toujours, pour de nombreuses populations du monde, sources d’aliments, de fibres, de pigments, mais aussi de composés psychédéliques de haute importance rituelle, mythologique et cosmogonique. C’est donc naturellement que, durant les années 1960 et 1970, la culture hippie s’est mise en quête des effets psychotropes de la mescaline, produite par un cactus du genre Peyotl, comme le montre le court-métrage Triptych in Four Parts, réalisé en 1958 par Larry Jordan. C’est ce trouble que traduisent également Francesca Gabbiani et Eddie Ruscha dans leur série de collages intitulée « Psycacti ».

Ali Cherri, The Prickle Pear Garden, 2023. Résine, pigments, fer,
argile, béton, dimensions variables. Collection de l’artiste, courtesy galerie Imane Farès. Vue d’installation de l’exposition « Dreamless Night », GAMeC, Bergame, 2023

Les propriétés psychédéliques d’un grand nombre d’espèces ont suscité et inspiré une conséquente diversité d’œuvres. En modifiant
la perception du monde et en bouleversant les univers la mescaline fut un catalyseur de l’histoire de l’art. Les arts décoratifs ont depuis longtemps
et abondamment détournés les formes des plantes grasses. Un jeu de miroir poussé aboutit à une forme d’anthropomorphisme. Le cactus, comme incarnation
humaine, se décline de façon poétique, joyeuse ou, au contraire, sous la forme d’une inquiétante métamorphose. »

Une inépuisable source d’inspiration

Les jardiniers n’étaient pas les seuls à voir dans ces plantes des formes inédites et structurantes. Les pionniers de la ruée vers l’or ont découvert dans l’Ouest américain des paysages ponctués de cactus gigantesques, projetant d’immenses ombres sur des terres arides et poussiéreuses, désormais indissociables de l’imaginaire des westerns.
Une esthétique propre aux cactus a fasciné de nombreux artistes et a véritablement traversé l’histoire des arts graphiques, dont la photographie et la peinture, mais aussi
l’architecture et la décoration. La période de l’entre-deux- guerres en Europe a été particulièrement importante pour la représentation des cactus. En Allemagne, une forte communauté de cactophiles amateurs s’est constituée, donnant lieu à une profusion de livres et de publications.

Gerry Schum, Identifications, 1970, Film 16 mm noir et blanc, sonore, 38’40 ». Photogrammes, avec la participation de Ger van Elk © Gerry Schum

Le mouvement de la Nouvelle Objectivité a témoigné également d’un intérêt croissant pour ces plantes qui sont entrées massivement dans les intérieurs et se sont
banalisées, tandis que de nombreux photographes ont saisi leurs formes directement dans leur milieu naturel. Dès la fin du XIXe siècle, cactus et plantes grasses se sont
invités également dans les arts décoratifs.

Au début du XXe siècle les cactus sont beaucoup plus accessibles. Multipliés en grand nombre dans les pépinières, ils deviennent plus abordables et se généralisent dans les intérieurs. Les sociétés d’amateurs se multiplient et les artistes vont alors y être plus souvent confrontés. »

C’est en retranscrivant précisément la morphologie d’un Opuntia que Louis Majorelle a créé une lampe incarnant pleinement les principes de l’art nouveau. L’art déco, quant à lui, a multiplié les références aux architectures grasses et épineuses, comme le montrent la série d’objets en verre de René Lalique ou les objets en argent de la maison Buccellati, qui imitent dans le métal la perfection des tiges d’euphorbes et autres succulentes. C’est dans cette lignée que s’inscrit le travail de la porcelaine de l’artiste contemporaine Chris Garofalo. La fascination s’est progressivement étendue au monde de la mode et du design, qui se sont inspirés de ces motifs pour orner des tissus, façonner la porcelaine ou encore le cristal, comme l’a fait le designer Hilton McConnico pour la maison Daum, ou encore Maurizio Galante avec son mobilier cactus transformant, de façon humoristique, ces plantes habituellement approchées avec distance en une confortable invitation, tout comme les radiateurs mimétiques de Simon Starling.

Oriol Vilanova, Boule de neige, 2017-2025 installation, cartes postales /dimensions variables Collection de l’artiste / Artist’s collection © Oriol Vilanova. Photo jcLett

La permanence de modèles morphologiques répétitifs traversant les frontières scientifiques de la taxonomie et la diversité des espèces associés à la croissance sourde
des tiges renflées inspirent des artistes contemporains comme Martin Creed. Ce dernier joue sur la répétition des formes colonnaires – toutes globalement identiques
et néanmoins toutes différentes – et de leur hauteur croissante, créant une sorte d’ordonnancement musical, en écho à la mathématique de la croissance dont s’est
inspiré John Cage en 1975, en produisant Child of Tree, un morceau créé à partir de sons amplifiés produits à partir de cactus.

Cette croissance des plantes grasses, et en particulier des cactus, est parfois perturbée par d’étranges mutations générant un désordre dans le plan constant des divisions
cellulaires, donnant lieu à des phénomènes de fasciation ou de cristation. Des organes monstrueux apparaissent alors au hasard des tiges. Ces folies végétales, qui fascinent les collectionneurs, ont servi de modèle à Alain Fleischer pour la production de sa vidéo intitulée L’Apparition du monstre.
Pour la sculptrice Katinka Bock, les cactus représentent « les sculptures les plus belles que la nature a créées ». Elle transpose dans le bronze, avec une précision naturaliste, tous les détails des cactus cierges, de la finesse de leurs épines aux épaississements aléatoires de leurs épidermes.
C’est dans les abondants ouvrages spécialisés des années 1930 à 1950 que l’artiste Yann Sérandour a trouvé son inspiration et ses matériaux pour ses œuvres dédiées aux cactus (The Ups and Downs of the Cactus Mania, 2014, ainsi que la série Cactus Cuttings, 2014). À la frontière du détournement d’un meuble adapté à la culture des plantes et de la création d’un objet de design, l’artiste interroge la folie des collectionneurs de cactus et leurs rapports à la plante dans son existence autonome et individuelle.

En accumulant eau et minéraux dans leurs tiges les cactus développent des formes rondes que les cires protectrices déposées sur leur épiderme rendent lisses et brillantes. Leurs lignes et courbes charnues, ainsi que la rigidité de leur port, ont inspiré les artistes qui en ont exprimé la sensualité. D’autres choisissent la bizarrerie de leurs ports pour en faire des sujets de nature morte. »

Ecologie et politique

Les silhouettes graphiques, parfois obèses, des plantes succulentes symbolisent la résilience et une patiente obsession d’accumulation. À l’image du bois qui capture
la signature climatique de son époque, le travail de Julian Charrière interroge la mémoire profonde de plantes cryoconservées. Ces caractéristiques suscitent un fort
intérêt à une époque où de nombreuses régions du monde connaissent l’aridification. Ces végétaux, véritables « réservoirs », incarnent un monde vivant en résistance,
une alliance entre sobriété et créativité. Souvent utilisés par les populations rurales pour délimiter les périmètres agricoles ou constituer des haies défensives, les cactus
sont devenus, au XXIè siècle, une allégorie de la frontière.

Cristina de Middel, El Rey de la série  « Journey
to the Center », 2021. Photographie numérique tirée avec des encres minérales sur du papier coton d’archive, montée sur Dibond  56 × 40 cm. Collection de l’artiste © Cristina De Middel / Magnum Photo

Les photographes Cristina De Middel, Barbara Crane ou Ziad Antar utilisent le cactus et ses épines pour illustrer les tensions liées à ces frontières, les humains qui tentent de les franchir ainsi que les épreuves qu’ils doivent affronter. Certaines maladies émergentes, qui affectent particulièrement les cactus nopal, en Afrique du Nord et ailleurs, nuisent à l’économie locale et perturbent l’harmonie des paysages. Les raquettes décharnées, emprisonnées dans la résine de l’artiste Ali Cherri, sont les signes de ce monde fragmenté, marqué par l’émergence de pandémies et de phénomènes de dépérissement.

Cette thématique est également abordée par Kaïs Aïouch et Chahine Fellahi, qui interrogent, à travers leur série de cyanotypes Ouled Dreg, la possibilité de préserver et transmettre la mémoire des paysages marocains, vidés de leurs figuiers de Barbarie par un insecte vorace et dévastateur.

Des daltons à Antonioni, de Mickey à Fritz Lang, le cactus incarne la dualité d’un êtred’épines et de fleurs délicates et colorées. Il symbolise le végétal – figure traditionnellement associée à la fragilité – tout en étant doté d’épines redoutables. La vulnérabilité de la plante contraste ainsi avec à la férocité de la gangue qui l’enveloppe. L’effet est encore accentué par l’intensité des couleurs, la douce texture et l’extraordinaire générosité des fleurs de cactus qui émergent de ces épines. »

Yannick Vu, Cactus en fruit, 1983, Huile sur toile /  73,5 × 53,5 cm. Fundación Yannick y Ben Jakober
– Museo Sa Bassa Blanca, Majorque © Yannick Vu

La diversité botanique trouve un écho dans la variété des expressions artistiques, et un renversement se fait parfois jour pour laisser place à un cactus devenu miroir.
Un anthropomorphisme intriguant se manifeste, comme celui opéré magistralement par Fritz Lang dans une scène de son film Les Trois Lumières, en 1921, où un homme se voit métamorphosé en cactus cierge d’où émergent yeux humains et fleurs généreuses. Cette vision du cactus comme incarnation humaine se retrouve également dans les gravures de Fernand Léger illustrant Le Petit Traité du cactus (1957), le tableau Cactus en fruit (1983) de Yannick Vu où une raquette de cactus en fruits évoque un visage, ou encore dans les dessins et sculptures de Julio González représentant des hommes-cactus dansant et criant.

Jean-François Fourtou, quant à lui, crée une véritable société anthropomorphique, active et structurée, composée de créatures mi- humaines, mi- cactus. Loin de cette vision ordonnée, chez Ding Zhang, c’est la violence exercée sur un végétal, certes non dénué de défense, qui se retourne inexorablement contre son auteur et que celui-ci donne à voir dans son œuvre saisissante.

Commande du NMNM à Philippe Chancel

Philippe Chancel, série / series « Paysage », Motifs, perspectives,horizons : le jardin exotique Eze, 2025. Série produite pour l’exposition par le Nouveau Musée National de Monaco / Courtesy galerie Polka © Philippe Chancel / Adagp, Paris, 2025

À l’occasion de l’exposition, le NMNM a invité le photographe Philippe Chancel à travailler sur les jardins de la Riviera. Cette commande a abouti à une centaine d’images au croisement de la photographie d’auteur et de l’art contemporain : paysages au lyrisme un peu étrange, photographies nocturnes de jardins luxuriants, « portraits de cactus » en noir et blanc évoquant Karl Blossfeldt, images surréalistes générées grâce à l’IA à partir d’extraits d’Aldous Huxley, etc. En multipliant les approches, Philippe Chancel rend justice aux mille et une formes des cactus et autres plantes succulentes.

Bien plus qu’un simple objet de collection ou une source d’inspiration, le cactus, au fil de cette exposition, s’impose comme une matérialisation des questionnements actuels liés au vivant et au regard que l’humain porte sur lui. Sujet esthétique autant que politique, le cactus apparaît omnipotent et polysémique. Et comme le dit Jacques Dutronc, « le monde entier est un cactus » !

Commissaires d’exposition :

  • Marc Jeanson : Marc Jeanson est ingénieur agronome, docteur en systématique végétale du New York Botanical Garden et botaniste au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris où il fut le responsable de l’Herbier jusqu’en 2019. Grâce à de nombreuses expériences de terrain sur différents continents, il possède une bonne connaissance des flores tropicales et collabore fréquemment avec divers acteurs du monde des jardins. De 2019 à 2023 il est directeur botanique du Jardin Majorelle de Marrakech. Il a été commissaire de diverses expositions dédiées au monde végétal ou au jardin, telles « Jardins » aux galeries nationales du Grand Palais à Paris (2017) ou encore «Végétal -L’école de la beauté» à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (2022). Marc Jeanson est aussi auteur de diverses publications scientifiques et d’ouvrages dédiés au grand public tel « Botaniste » chez Grasset en 2019 avec Charlotte Fauve.
  • Laurent Le Bon : Conservateur général du patrimoine, Laurent Le Bon a été en charge de la commande publique à la Délégation aux arts plastiques du Ministère de la culture et de la communication puis, de 2000 à 2010, conservateur au Musée national d’art moderne, Centre Pompidou. Il a été commissaire d’une cinquantaine d’expositions et l’auteur des ouvrages afférents, notamment «Dada » au Centre Pompidou (2005-2006), « Jeff Koons Versailles » au château de Versailles (2008), « Jardins » aux Galeries nationales du Grand Palais (2017), « Dioramas » au Palais de Tokyo (2017) et « Picasso. Bleu et rose » au Musée d’Orsay (2018- 2019). De 2008 à 2014, il a dirigé le Centre Pompidou-Metz où il a assuré le commissariat des expositions « Chefs-d’œuvre ? » et « 1917 ». De juin 2014 à juillet 2021, il a été président du Musée national Picasso-Paris. Le 19 juillet 2021, il devient président du Centre Pompidou, succédant à Serge Lasvignes.

Exposition « Cactus » du 6 juillet 2025 au 11 janvier 2026 – Nouveau Musée National de Monaco, Villa Sauber – 17 Av. Princesse Grâce, 98000 Monaco

Photo d’entête : Alain Fleischer, L’Apparition du monstre quatre, 2017. Vidéo et infographie / 9’51 ». Collection de l’artiste  © Alain Fleischer / Adagp, Paris, 2025

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