Si, comme moi, vous n’en pouvez plus du vocabulaire guerrier qui nous distrait dangereusement des priorités terrestres, je vous invite à regarder ailleurs, du côté de la puissance de vie. Un mot un peu hésitant, presque bègue, bien moins martial que réarmement, pourrait signifier notre volonté tenace d’aller par d’autres chemins que ceux tracés par un président sans boussole : vivifiement.
Economique, civique et maintenant démographique, le réarmement devient, jusqu’à l’absurde, le mantra du président de la République. Beaucoup s’en sont moqués ou indignés et effectivement, il est difficile de ne pas trouver vieux-jeu ou réactionnaire une telle rengaine.
Je ne veux pas m’y attarder à mon tour, je préfère imaginer le contrepoint de cet appel à réarmer. Comment sortir de ce rétrécissement de l’horizon qui nous est proposé ? Le réarmement c’est la croyance que notre monde est assiégé et que nous devons le défendre à tout prix. Complexe obsidional stérile. C’est renoncer à voir en quoi notre monde est au contraire trop bardé de certitudes, de logiques de prédation, de désir d’accumulation.
Le réarmement est du côté de la force, une force mortifère. C’est de plus de puissance de vie dont nous avons besoin. Le réarmement est un repliement sur l’existant, bon et mauvais confondus. Nous devons au contraire accepter de faire le tri entre ce que nous voulons conserver et ce à quoi nous devons renoncer. C’est dans cet allègement que réside la puissance de vie. Ce n’est pas par hasard que nous faisons les grands ménages de printemps, dans la promesse des beaux jours. La vie intense et profuse ne vient pas des logiques technocratiques de revitalisation avec ce RE qui suppose toujours qu’il faut revenir en arrière. Cela reviendrait à imaginer que la mort a gagné et qu’il faut repartir de zéro.
La vie ne nait pas de la mort … mais de la vie. Comme le feu qu’on attise à partir de braises cachées sous la cendre. Pas besoin de faire place nette et de recommencer un feu.
L’inverse de réarmer, c’est vivifier. Sans RE devant, comme dans revitaliser ou régénérer. Oublions donc le réarmement ; passons au vivifiement. J’ai vérifié, le mot existe. Il a simplement été oublié, négligé. Et je le préfère à vivification qui ressemble trop à vivisection ! Les mots en-ation nous ramènent à la fabrication, tellement matérielle. Le vivifiement, c’est le soin apporté à tous les germes d’une vie prête à s’intensifier.
Vivifiement de notre économie et particulièrement de l’agriculture avec une attention renouvelée aux sols, à l’eau, aux lieux en pensant bio-régions et bassins versants.
Vivifiement de notre démocratie, notre capacité à nous parler et à nous écouter, ce que le président a totalement laissé de côté alors qu’il s’était fait le chantre de la politique autrement avec les conventions citoyennes et le conseil national de la refondation. Nous avons besoin de démultiplier les lieux/occasions d’entrer en conversation.
Vivifiement de nos capacités à nous emparer des enjeux écologiques en nous aidant, en tant que citoyens, à nous réunir autour des enjeux de logement, de déplacements, de santé, d’alimentation, d’énergie pour inventer des solutions à plusieurs. Il serait bon pour cela que cette co-construction de solutions locales soit intensément soutenue et accompagnée.
Le réarmement suppose de lourds investissements (mégafactories, centrales nucléaires…), des décisions centralisées, un contrôle de la société pour éviter recours et contestations. C’est le job d’un président jupitérien sûr de son fait. Le vivifiement, à l’inverse, s’appuie sur l’existant, conduit à un foisonnement d’initiatives locales/globales, repose sur des alliances multiformes entre acteurs sociaux et économiques. C’est l’œuvre de toute une société placée sous le signe d’Hermès, le dieu messager.
Avec le réarmement le président a le sentiment d’avoir résolu la crise écologique. Beaucoup de nucléaire et un peu de sobriété suffiront. Il n’y a plus de sujet ! Tout doit se focaliser désormais sur l’école, conçue comme le moyen de discipliner un peuple rétif à l’ordre. C’est l’exact opposé de ce qui me semble nécessaire : nous avons assurément besoin de l’école mais d’une école ouverte, créative, qui aide chaque enfant à comprendre combien son avenir est étroitement lié à la vitalité du monde qui l’entoure. Non à l’école-caserne qu’on nous propose, oui à une école du vivifiement !
Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY, Chroniqueur invité de UP’ Magazine – Essayiste – Consultant développement durable et dialogue parties prenantes. Auteur de « Citoyen pour quoi faire ? Construire une démocratie sociétale », éditions Chronique sociale
L’original de ce texte est paru sur le blog de M. Chayneaud-Dupuy, persopolitique.fr
Avec nos chaleureux remerciements à l’auteur.
« Autrefois, au temps où le ciel était proche de la terre, les femmes Dogons décrochaient les étoiles et les donnaient aux enfants. Lorsque ceux- ci étaient las de jouer, les mères leur reprenaient les astres et les replaçaient dans la voûte céleste. » Mythe Dogon
Une pratique de ce « vivifiement » dans ecoleducerisier.wordpress.com
Page Récits, « Maintenant nous serons le vivant qui tisse et qui bruisse »
Pour l’Ecole, la Cité et la Terre des Hommes qui a soif de Lumière …