Le climat et la transition énergétique ont occupé une place mineure dans la brève campagne de ces législatives anticipées. Lors des deux grands débats télévisés qui ont précédé le premier tour, moins de 10 % du temps parole leur a été consacré, à travers des alternatives simplistes de type : pour ou contre la voiture électrique, ou pour ou contre le nucléaire. En analysant le contenu des programmes principaux, l’association reconnue d’intérêt général The Shift Project examine la place de cet enjeu dans les programmes des partis en lice lors de ce second tour. Pour cela, ils ont confronté leurs programmes aux recommandations de leur Plan de transformation de l’économie française, sorti en 2022**. Sont-ils à la hauteur des enjeux ?
On l’a dit et on le répète, les constats scientifiques, à commencer par ceux du Giec, sont clairs : si la France ne relève pas le défi de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, elle s’expose à des risques lourds et irréversibles, non seulement sur le plan environnemental, mais également sur le plan social et économique (l’humanité vivant à l’intérieur de son environnement, non à côté ou en dehors).
Aucune Assemblée nationale, aucun parti, aucune majorité, aucune coalition malgré ses divergences politiques internes ne pourra en faire abstraction : c’est une condition préalable à la réalisation de la quasi-totalité des objectifs sociaux ou économiques de long terme. La conduite du pays doit se faire de manière à accélérer la transition au niveau national, européen et international.
Fondée sur des programmes succincts, l’analyse présentée ici met en lumière la place promise aux enjeux climatiques et énergétiques à un moment crucial pour l’avenir de la République française. Apartisan, le Shift Project n’est pas apolitique pour autant. A chacun de nous d’en tirer ses conclusions…Pour peu qu’elles contribuent à un choix efficace dans l’isoloir.
Les programmes publiés par les principaux partis dont des candidats se sont qualifiés pour le second tour ont été analysés au prisme de la compatibilité des propositions mises en avant avec celles proposées par The Shift Project, notamment dans le cadre de son Plan de transformation de l’économie française (PTEF).
Les partis et coalitions de partis concernés sont Ensemble (1), le Nouveau Front Populaire (NFP) (2) et le Rassemblement National (RN) (3). D’autre part, la simple profession de foi publiée par le parti Les Républicains étant trop peu fournie pour cet exercice, elle n’a pu être intégrée (4).
Synthèse sur le secteur des transports
Aucun des trois partis ne mentionne l’ensemble des leviers de décarbonation de la mobilité évoqués dans le PTEF. Le parti Ensemble se concentre sur l’électrification des voitures, et le Nouveau Front Populaire sur le report modal de la route vers le rail : des mesures nécessaires, mais qui, prises individuellement, sont incomplètes. Aucune mesure de sobriété n’est mise en avant par ces deux partis. Les mesures du Rassemblement National, quant à elles, vont principalement à l’encontre de l’électrification du parc automobile et donc de la décarbonation de la mobilité.
Les enjeux de décarbonation du secteur
Le secteur des transports représente 34 % des émissions de gaz à effet de serre nationales (5). Cela reflète notamment le fait que notre mobilité est très largement dépendante du pétrole.
Dans le PTEF, la décarbonation de la mobilité des personnes et des marchandises s’appuie sur plusieurs axes complémentaires (6) :
• De la sobriété dans les usages, soit une réduction des kilomètres parcourus, aussi bien par les voyageurs que par les marchandises ;
• Un report depuis la voiture individuelle et l’avion vers des modes de transport bas carbone : la marche, le vélo, le bus et le train pour les trajets du quotidien, le train pour les trajets de longue distance, le rail et le fleuve pour le transport de marchandises ;
• Des évolutions techniques et technologiques : électrification pour les véhicules routiers (voitures, camionnettes, bus et cars, et poids lourds), réduction sensible de la masse et de la taille des voitures pour limiter l’impact carbone et la taille des batteries, efficacité énergétique pour les avions restants, et développement des carburants décarbonés pour des applications spécifiques.
Analyse des programmes
Ensemble indique la mesure suivante :
• “Proposer[a] chaque année 100 000 véhicules électriques en leasing social pour permettre aux Français de classes moyennes et populaires de choisir un mode de déplacement nonpolluant”. Le véhicule électrique à batterie semble en effet être le plus prometteur pour décarboner la mobilité routière sur le segment de la voiture particulière, et l’accessibilité économique constituant un frein à sa massification, un soutien à l’achat est pertinent.
Néanmoins, l’électrification du parc doit s’accompagner d’une baisse du poids moyen des voitures et cette seule évolution technique, bien qu’essentielle, reste insuffisante sans le développement rapide d’alternatives à la voiture individuelle (transports collectifs de qualité, système vélo complet) et l’organisation d’une réduction des distances parcourues (le programme ne propose que la “mise en place d’arrêts de bus à la demande en soirée”).
Nouveau Front Populaire propose trois mesures en lien avec la décarbonation de la mobilité :
• “Mettre en place un plan rail et fret, créer des services express régionaux, adopter un moratoire sur la fermeture des petites lignes et les rouvrir dès que possible, revenir sur la privatisation de Fret SNCF”
• “Garantir des tarifs accessibles et des mesures de gratuité ciblée (jeunes, précaires, etc.) dans les transports publics et baisser la TVA sur la tarification des transports en commun à 5,5 %”
• “Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières” Ces mesures sont donc principalement centrées sur une hausse de l’offre ferroviaire et un gel de l’offre autoroutière, censées à l’évidence favoriser un report modal depuis la voiture vers les transports en commun et le train (pour la mobilité des personnes), et depuis la route vers le rail (pour le fret).
Elles sont certes cohérentes avec les propositions du Shift Project, mais, sur l’offre, elles restent partielles par rapport aux propositions du PTEF, et, côté demande, n’évoquent pas l’organisation de la sobriété dans les déplacements.
Si le Shift n’a pas travaillé spécifiquement sur l’impact du développement de nouvelles infrastructures autoroutières, leur limitation semble en cohérence avec les objectifs de décarbonation de la mobilité longue distance. Un moratoire permettrait de mener les études d’impact de ces projets d’infrastructure sur l’usage des voitures particulières en intégrant les effets de trafic induit, et in fine sur les émissions de gaz à effet de serre.
Enfin les évolutions techniques et technologiques à favoriser ne sont pas mentionnées, en particulier la nécessaire électrification d’un parc automobile allégé et restreint en nombre.
Le Rassemblement National propose une mesure relative à l’impact carbone de la mobilité :
• “Renoncer à l’interdiction de la vente des voitures à moteur thermique à l’horizon 2035 et inciter les constructeurs français à développer des véhicules propres abordables”.
La première partie de la mesure va frontalement à l’encontre de la décarbonation de la mobilité des personnes, qui doit au contraire s’appuyer sur une électrification massive des voitures (limite de potentiel sur les carburants alternatifs). Par ailleurs, il faut, avec la dynamique actuelle, environ 15 à 20 ans pour renouveler entièrement le parc automobile français. Remettre à plus tard l’interdiction de la vente de voitures thermiques revient à renoncer à nos objectifs climatiques et surtout à perpétuer notre dépendance à un pétrole dont la disponibilité baissera inéluctablement.
L’industrie s’étant engagée de manière ambitieuse vers l’électrification, il faudrait au contraire l’encourager dans cette voie en fixant un cap.
La seconde partie de la mesure semble aller dans le bon sens, les constructeurs automobiles doivent en effet développer des véhicules “propres” et abordables pour le consommateur : le PTEF recommande la construction de petits véhicules électriques légers, simples, aérodynamiques et attractifs (7). En revanche, elle est antagoniste avec l’énoncé de la première partie : pour que les constructeurs structurent une offre, il leur faut des échéances claires et stables.
Synthèse sur le secteur du logement
L’enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments est mentionné dans l’ensemble des programmes ; les autres enjeux de décarbonation du logement sont absents des programmes. Les programmes de Ensemble et du Nouveau Front Populaire proposent des mesures favorables à la décarbonation du secteur, mais imprécises. Le programme du RN revient sur des objectifs et législations existantes au risque de compromettre l’atteinte des objectifs climat du secteur.
Les enjeux de décarbonation du secteur
L’usage des logements représente 11 % des émissions nationales et 30 % de la consommation nationale d’énergie finale (8), en particulier pour le chauffage qui est le principal poste d’émissions de GES. Le logement reste aujourd’hui très dépendant des énergies fossiles, la moitié des résidences principales étant chauffées à l’aide de gaz ou de fioul. Cela implique une forte vulnérabilité des ménages face à la disponibilité et aux fluctuations de prix de ces énergies que nous importons en totalité, alors que 5 millions de ménages (soit 12 millions de personnes) sont aujourd’hui touchées par la précarité énergétique. Il faut encore ajouter les émissions (9) liées à l’entretien et la rénovation de ces logements, ainsi qu’à la construction de 300 000 à 400 000 nouveaux logements chaque année qui représente environ 8 % des émissions nationales.
Décarboner le logement passe par la mobilisation conjointe et coordonnée des quatre grands leviers de décarbonation du bâti (10) :
• Faire preuve de sobriété dans la construction neuve ;
• Massifier la rénovation énergétique globale et performante ;
• Décarboner la chaleur en remplaçant les chauffages au gaz et fioul par des moyens bas carbone ;
• Mobiliser le bâtiment comme puits de carbone en faisant appel à des matériaux biosourcés.
Analyse des programmes
Ensemble propose de :
• Créer “un fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires financé par une taxe sur les rachats d’actions. Cela permettra de rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici 2027 et d’accompagner les foyers concernés par le retrait/gonflement des argiles”.
Si le Shift Project n’a pas d’avis sur le mode de financement de ce fond, la proposition est cohérente avec la préconisation du PTEF d’augmenter le rythme des rénovations et d’accompagner les ménages les plus modestes. Cet objectif est toutefois inférieur au rythme d’environ un million de logements rénovés par an à horizon 2027-2030, nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le programme d’Ensemble n’évoque pas la nécessité de passer à des rénovations globales plutôt que des gestes isolés.
Le Nouveau Front Populaire propose de :
• “Assurer l’isolation complète des logements, en renforçant les aides pour tous les ménages et garantissant leur prise en charge complète pour les ménages modestes”.
Cette proposition rejoint l’importance accordée par le PTEF à la généralisation d’une isolation performante et sa recommandation d’augmenter les plafonds des aides pour diminuer le reste à charge des rénovations, en ciblant particulièrement les ménages les plus modestes. Néanmoins
aucun objectif quantitatif n’est évoqué, alors que l’enjeu de ce sujet vient du volume de rénovation très important à atteindre (de l’ordre du million de logements par an à horizon 2027-2030).
Le Rassemblement National propose de :
• “Abroger toutes les interdictions et obligations liées aux DPE (travaux, mise en location…) et mettre en place un accompagnement pragmatique des rénovations de logements en lien avec les professionnels”.
Cette proposition va à rebours de la recommandation du PTEF visant à s’appuyer sur le DPE pour orienter vers des actes de rénovation globale portés à l’échelle. Le rythme auquel il faut décarboner les bâtiments, dans l’intérêt des occupants eux-mêmes, réclame un référentiel sur lequel s’appuyer. Si ce référentiel peut être amélioré, la suppression des obligations réglementaires brouillerait le cap pour les acteurs économiques, et menacerait l’augmentation du volume de rénovation devant atteindre environ un million de logements par an à horizon 2027-2030.
Le dispositif de remplacement proposé a pour mérite de mettre en avant l’importance des professionnels, mais reste imprécis. Aucun objectif quantitatif n’est évoqué, alors que l’enjeu vient du volume de rénovation très important à atteindre (de l’ordre du million de logements par an à
horizon 2027-2030). Le programme n’évoque pas non plus la nécessité de passer à des rénovations globales plutôt que des gestes isolés.
Synthèse sur le secteur agricole
L’enjeu agricole est mentionné dans l’ensemble des programmes, soit succinctement, soit plus en profondeur, mais essentiellement sous l’angle des enjeux liés aux revenus des agriculteurs. Pour le RN et le NFP, cela passe principalement par des mesures qui visent à atténuer le poids de la concurrence internationale, et pour Ensemble, par la mise en place de “prix planchers”. Seul le programme du NFP affirme son soutien à des modèles agricoles différents (bio, agroécologie). Il est à noter qu’aucun programme ne fait de propositions explicites pour répondre directement aux enjeux énergétiques et climatiques du secteur.
Les enjeux de décarbonation du secteur
L’agriculture est un secteur économique particulièrement vulnérable aux changements climatiques. Elle est aussi dépendante des combustibles fossiles sous diverses formes : tracteurs, engrais, transports amont et aval, et représente un poste significatif d’émissions de gaz à effets de serre, issus de processus non énergétiques : fermentation entérique des ruminants, épandage des engrais, déforestation importée…
Les travaux intermédiaires du Shift Project (11) identifient que les enjeux économiques et de rémunération des agriculteurs sont un frein, sinon une contradiction, avec les objectifs de décarbonation de l’agriculture française. Ainsi, lever les distorsions de concurrence moins disantes dans le cadre de nos échanges internationaux est sans doute une première étape pertinente, mais n’est pas suffisante pour garantir l’effectivité de la transition vers une agriculture bas carbone et résiliente.
La transition de l’agriculture française nécessite de permettre à la majeure partie des fermes de se transformer : évolution des pratiques et des assolements pour réduire les besoins d’engrais et de carburant, réorganisation des cheptels pour réduire les émissions, anticipation des risques
climatiques, diminution des importations de soja issus de la déforestation, etc.
Face à cela, les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer pour favoriser l’émergence, protéger et massifier les évolutions vertueuses des fermes.
Analyse des programmes
Ensemble propose de :
• “[Continuer] à réduire l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2030” ainsi que de “[mettre] en place des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Cela favorisera une alimentation de qualité payée au juste prix grâce à des prix planchers par filière. Ils entreront en vigueur à partir de 2025.”
Si les produits phytosanitaires contribuent à la stabilité des rendements, la réduction d’usage de ces substances est une nécessité pour la transition de l’agriculture. La préservation de la biodiversité participe en effet à la résilience de l’agriculture (pollinisation, fertilité des sols, etc.) et est susceptible de contribuer à une meilleure autonomie des fermes.
Comme évoqué plus haut, les enjeux de rémunération des agriculteurs sont nécessaires mais non suffisants pour garantir la transition vers une agriculture résiliente et bas carbone.
Le Nouveau Front Populaire propose de :
• “Soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective”.
Cette mesure en faveur de changements de modèles est susceptible de contribuer à la décarbonation, via une réduction des dépendances aux intrants de synthèse, – notamment les engrais, issus des énergies fossiles.
• “Rétablir le plan Ecophyto, interdire le glyphosate et les néonicotinoïdes avec accompagnement financier des paysans concernés”.
La réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires fait partie de la transition agricole, notamment sous l’angle de la résilience, et d’une moindre dépendance à l’industrie chimique.
Cependant les enjeux liés à l’interdiction du glyphosate sont complexes d’un point de vue énergétique et climatique. En effet, le glyphosate fait partie des outils utilisés dans le cadre de certaines pratiques agroécologiques comme l’agriculture de conservation des sols, pour maîtriser les mauvaises herbes et les couverts végétaux sans avoir recours au labour, consommant beaucoup de carburant et pouvant nuire à la vie et la structure des sols. Des expérimentations d’agriculture de conservation des sols sans glyphosate existent mais semblent difficilement généralisables actuellement.
Il propose également :
• D’“annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) ; de renoncer à l’accord du Mercosur et protéger nos agriculteurs de la concurrence déloyale et d’“interdire l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales.” Comme évoqué plus haut, cette proposition peut permettre de protéger les agriculteurs et donc améliorer leur revenu. Pour être efficace au regard des enjeux climatiques et énergétiques, elle doit être accompagnée de mesures plus précises pour réduire la consommation d’énergies fossiles (carburant, engrais, etc.) et réduire les émissions de GES.
Le Rassemblement National propose de :
• “renforcer les contrôles des importations pour mettre fin à la vente de produits étrangers ne respectant pas les normes françaises” et de “lancer un grand plan « Manger français » obligeant les cantines à utiliser 80 % de produits agricoles français à l’horizon 2027”, ainsi que de “généraliser l’étiquetage sur l’origine et la qualité des produits alimentaires ».
Ces mesures sont susceptibles de contribuer à lever les freins économiques à la transition agricole, mais cela risque de ne pas être suffisant pour inscrire l’agriculture dans une trajectoire de décarbonation et de réduction des dépendances aux énergies fossiles, qui impliquent une évolution importante du paysage agricole et un changement des pratiques : autonomie accrue des fermes, évolution des assolements et des cheptels, pratiques agroécologiques (couverture des sols, haies et agroforesterie…), etc.
Synthèse sur le secteur industriel
Les enjeux industriels sont rarement abordés de manière détaillée dans les programmes électoraux. La décarbonation de l’industrie réclame pourtant une trajectoire explicite, cohérente et quantifiée sur un temps suffisant pour permettre des investissements et transformations aux inerties importantes. L’industrie lourde, qui concentre les trois quarts des émissions du secteur en France et implique des infrastructures et investissements considérables, n’est explicitement adressée par aucun des programmes, à l’exception de la proposition (pertinente) du parti Ensemble sur la réduction des plastiques. Acier, ciment et engrais sont pourtant des productions indispensables à la société, dont les évolutions de volumes et de marchés avals décarbonés seront déterminantes dans la décarbonation de l’économie.
Les enjeux de décarbonation du secteur
L’industrie représente 20 % des émissions du territoire français, les trois quarts provenant des grandes filières d’industrie lourde : acier, ciment-béton et chimie (engrais, plastiques etc.) (12). Décarboner l’outil industriel français passe par la combinaison de trois grandes familles de leviers, permettant d’agir à la fois sur les émissions issues de la consommation d’énergie des installations et sur celles étant des produits directs des procédés impliqués (13) :
• Soutenir et accélérer les progrès continus (amélioration de l’efficacité énergétique des installations, développement du recyclage des métaux, électrification et report sur des énergies décarbonées) ;
• Rendre possible les innovations de rupture (hydrogène décarboné pour la production d’acier et d’engrais azotés, recyclage chimique des plastiques etc.) en priorisant l’accès à certains usages d’énergie décarbonée (notamment l’hydrogène), en déployant des normes performantielles (comme la RE2020) et en s’appuyant sur les outils européens protégeant des fuites carbone (comme le CBAM et l’EU ETS) ;
• Adapter les volumes de production à la sobriété déployées dans les secteurs avals (industrie automobile, construction, agriculture etc.).
Analyse des programmes
Ensemble ne formule qu’une proposition relative à l’industrie :
• Elle concerne les plastiques, en proposant de continuer “à lutter contre le gaspillage et la pollution de l’environnement en supprimant progressivement le plastique jetable et en développant l’économie circulaire”.
Cette proposition est alignée avec l’un des enjeux-clés de la transition (la réduction drastique des volumes de plastiques étant une condition incontournable de la réduction de la consommation de liquides fossiles et des émissions associées). Le développement de l’économie circulaire qu’elle
propose doit se faire avec des objectifs chiffrés, ambitieux et précis, généralisés à partir de ceux déjà posés par l’UE sur les emballages (taux de recyclage des déchets plastiques collectés dans PTEF : 55 % en 2030, 90 % en 2050) et desquels la France est très éloignée (avant-dernier rang parmi les pays de l’UE, avec un taux de recyclage de 20 % (14).
Le Nouveau Front Populaire propose :
• Un “plan de reconstruction industrielle” sur des domaines stratégiques de la transition (dont semi-conducteurs, voitures électriques, panneaux solaires). S’il envisage de planifier la résilience des chaînes de valeur dans leur ensemble, il peut être pertinent pour assurer la faisabilité de la transition, mais sans évocation des secteurs-clés à fortement transformer ou structurer (acier, ciment, engrais, batteries, vélo, matériaux, pompes à
chaleur etc.) et sans précision sur les enjeux de décarbonation des tissus productifs impliqués, rien ne permet de conclure que la mesure aura un effet décarbonant à l’échelle.
• Un “diagnostic préalable des ressources naturelles avant implantation industrielle”. Les structurations de filières qui seront nécessaires à la décarbonation de l’industrie et de l’économie dans son ensemble impliqueront en effet des créations de sites et bassins industriels. Les conditionner à des évaluations d’impact permettront de ne pas aggraver d’autres impacts (biodiversité, sols etc.) en menant un plan de décarbonation. Cela n’a cependant de sens que dans le cadre d’une politique industrielle d’ensemble cohérente au service de la décarbonation.
• Une “taxe kilométrique sur les produits importés”. L’effet d’une taxe n’a pas été étudié dans le cadre du PTEF, mais viser la réduction du nombre
de kilomètres parcourus par les marchandises est l’un des leviers permettant de réduire les émissions du secteur du frêt. Ce type de leviers doit cependant, pour atteindre un potentiel décarbonant à la hauteur, être intégré dans un plan de structuration industrielle décarbonée véritable.
Le Rassemblement National propose de :
• “Réduire l’empreinte carbone de la France en soutenant les relocalisations industrielles et en favorisant les acteurs locaux dans la commande publique (circuits courts, priorité nationale, préférence européenne…)”.
Favoriser les circuits courts permet de réduire les émissions carbonées liées au transport de marchandise, et relocaliser une partie de la production permet d’appuyer certains procédés sur une électricité plus décarbonée qu’ailleurs dans le monde (sans que l’effet quantitatif n’ait à ce stade été étudié dans le PTEF). Mobiliser la commande publique est d’autre part un levier puissant et pertinent mais, pour avoir un effet décarbonant à la hauteur, ce sont les produits décarbonés qu’il doit viser à favoriser. Sans déclencher et accompagner une transition forte du tissu productif national, la production sur le sol français n’assure pas de facto une décarbonation systématique des produits. D’autre part, un enjeu crucial pour l’industrie est de créer un marché aval pour les produits décarbonés. De ce point de vue, les reculs réglementaires envisagés par le RN sur certains secteurs avals (véhicules électriques, DPE dans le bâtiment) créent un environnement hostile à la restructuration de l’offre des industriels français vers la décarbonation.
Synthèse sur le secteur Énergie
Les mesures proposées par les trois partis sont principalement centrées sur le mix électrique, avec un soutien fort soit au nucléaire (pour Ensemble et le Rassemblement National), soit aux énergies renouvelables (Nouveau Front Populaire). Aucun des programmes ne met en avant le choix sans regret du PTEF : pousser tous les leviers à disposition – les renouvelables, le nucléaire et la sobriété – afin de limiter les risques d’échec d’atteinte du bon niveau de production d’électricité décarbonée d’ici 2035 et 2050. Les propositions du RN (ralentissement du déploiement des énergies renouvelables, déploiement nucléaire au-delà des niveaux les plus forts proposés par RTE) constituent un pari qu’on peut qualifier d’extrêmement risqué et contre-indiqué par la logique prudente du PTEF.
De plus, l’enjeu énergétique ne se limite pas à décarboner la production d’électricité : s’affranchir des énergies fossiles implique de réussir une électrification intense et rapide tout en conservant une électricité bas carbone, mais aussi de mobiliser d’autres vecteurs d’énergie qu’il faut également décarboner. Aucun programme ne propose de véritable piste pour planifier le repli des infrastructures d’acheminement et de vente de ces énergies, qui seront pourtant amenées à se résorber fortement dans une économie décarbonée..
Les trois programmes formulent des propositions concernant les prix de l’énergie. Le PTEF n’ayant pas étudié de manière consolidée les enjeux liés au prix, elles ne sont pas intégrées dans cette analyse. Ce que le PTEF préconise, cependant, c’est d’accompagner les ménages et industries dans l’effort de sobriété sur la consommation des énergies fossiles et de leur substitution par d’autres vecteurs. Toute volonté d’agir sur les prix doit donc s’assurer qu’elle reste compatible avec une réduction de la dépendance aux fossiles.
Les enjeux de décarbonation du secteur
À l’heure où la France est à un tournant de sa politique énergétique, notre pays doit fonder la décarbonation de son énergie sur tous les leviers pertinents. Pour assurer sa souveraineté énergétique, il nous faut mettre en œuvre une politique systémique, reposant sur l’efficacité et la sobriété, associée au développement d’un mix robuste de capacités de production d’énergies décarbonées, électriques et non-électriques, l’accompagnement de la réduction des infrastructures fossiles (équipements et réseaux de gaz et pétroliers, par exemple pour la chaleur) ainsi qu’à la limitation du contenu en énergies fossiles de nos biens importés. Avoir des filières performantes sur tous les modes de production d’énergie bas-carbone est un choix sans regret et résilient : s’appuyer fortement sur le potentiel des énergies renouvelables électriques et nonélectriques, sur l’électronucléaire et sur la chaleur et froid bas-carbone (15).
Analyse des programmes
Ensemble met en avant la proposition :
• De mettre en chantier la construction de 14 nouveaux réacteurs nucléaires.S’appuyer sur la filière électronucléaire fait partie du choix sans regret recommandé par le PTEF (appuyé sur les scénarios RTE), mais cette mesure ne fera pas sentir son effet avant 2035, date minimale à laquelle les premiers EPR2 entreront en service. Cela n’est pertinent qu’à la condition incontournable d’être intégré dans un plan de mobilisation de tous les leviers de décarbonation de la production d’électricité décarbonée, dont les renouvelables (éolien, solaire en tout premier lieu) qui sont les seules à pouvoir rajouter de la capacité de production d’ici 2035 et resteront clés à horizon 2050. De plus, l’enjeu énergétique ne se limite pas à décarboner la production d’électricité : s’affranchir des énergies fossiles ne se fera pas sans mobiliser les autres énergies décarbonées, dont le biogaz, la chaleur et le froid décarbonés.
Le Nouveau Front Populaire met en avant :
• Un soutien fort au développement des énergies renouvelables. Cela fait partie du choix sans regret recommandé par le PTEF (appuyé sur les scénarios RTE) non seulement d’ici 2035, date avant laquelle elles sont les seules à pouvoir rajouter de la capacité de production, mais également à horizon 2050. Mais cela ne suffira pas : cette mesure doit être intégrée dans un plan de mobilisation de tous les leviers de décarbonation de la
production d’électricité décarbonée, dont le nucléaire. Faire reposer l’essentiel de la production électrique sur les énergies renouvelables d’ici 2050 constitue un pari que RTE juge le plus risqué, en termes de rythme de déploiement de ces énergies et en termes d’ajustements technologiques pour permettre le bon équilibrage de ce nouveau type de système électrique. En cas d’échec de ce pari, un risque majeur serait posé pour la souveraineté énergétique de la France, et les ménages (comme l’économie) seraient nécessairement fortement impactés par l’absence de disponibilité et/ou la très forte hausse de prix de l’électricité.
Le programme du Nouveau Front Populaire ne propose pas de sortir du nucléaire, mais remet à plus tard toute décision sur de nouvelles centrales. De plus, l’enjeu énergétique ne se limite pas à décarboner la production d’électricité : s’affranchir des énergies fossiles ne se fera pas sans mobiliser les autres énergies décarbonées, dont le biogaz, la chaleur et le froid décarbonés.
Le Rassemblement National met en avant :
• Le déploiement de son plan “Marie Curie” de relance du nucléaire. S’appuyer sur la filière électronucléaire fait partie du choix sans regret recommandé par le PTEF (appuyé sur les scénarios RTE), mais cela ne concerne pas l’offre d’électricité décarbonée d’ici à 2035, au vu des délais de construction des réacteurs). Les détails du plan “Marie Curie” (16) intègrent a priori des moratoires et/ou ralentissements forts du déploiement des énergies renouvelables, au profit d’un déploiement accéléré du nouveau nucléaire français. L’ampleur et la rapidité du développement de nouvelles centrales proposé par le RN vont au-delà des niveaux de déploiement les plus forts proposés par RTE, et sont de ce fait jugés par cette entreprise et par la filière nucléaire française comme fortement risqués.
Ces propositions constituent donc au global un pari contre-indiqué par la logique prudente du PTEF : elles posent un risque crucial, en cas d’échec de ce pari, sur la souveraineté énergétique du pays.
Les propositions portant sur le développement de l’hydroélectricité ou le thermique à biomasse ne compensent pas ce constat, le potentiel de montée en puissance de ces vecteurs de production restant faible. La proposition de développer la géothermie est pertinente, et développer des vecteurs comme l’hydrogène implique justement de maintenir une cohérence d’ensemble sur le dimensionnement du système énergétique dont électrique.
Autres thématiques
Au-delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’émancipation des énergies fossiles, d’autres éléments sont structurants pour penser les enjeux énergie-climat. Cette revue des thématiques abordées dans les programmes s’appuie sur le prisme d’analyse utilisé par le Shift en 2022.
Gouvernance
Seul le programme du Nouveau Front Populaire propose des mesures relatives à la gouvernance de la transition bas carbone. Certaines sont un simple rappel du cadre existant (“Mettre en place un plan climat visant la neutralité carbone en 2050”). D’autres vont plus loin : en particulier, la proposition de “Conditionner les aides aux entreprises au respect de critères environnementaux (…) au sein de l’entreprise” pourrait être cohérente avec les propositions du Shift si les émissions de gaz à effet de serre font bien partie des “critères environnementaux”. Le Shift proposait en effet des contreparties « décarbonantes » à l’aide publique accordée au secteur aéronautique et à l’aviation dans le contexte du Covid-19.
Sobriété
Aucune des trois coalitions ne propose de mesures de déclenchement et d’accompagnement de la sobriété (qu’elle soit individuelle, collective/organisationnelle ou structurelle).
Usages des sols
Seul le Nouveau Front Populaire mentionne des objectifs de renforcement des puits de carbone que sont les sols et les forêts : “Défendre les zones agricoles, naturelles et les zones humides” et “Protéger la forêt en garantissant la diversité des essences, avec une filière sylvicole respectueuse de la biodiversité et des sols”.
Matériaux critiques
Aucune des trois coalitions ne propose de mesures liées aux risques d’approvisionnement en matériaux critiques.
Emploi et formation
Aucune des trois coalitions ne fait de proposition relative aux enjeux d’emplois et de compétences liés spécifiquement à la décarbonation de notre économie.
Adaptation au changement climatique
Ensemble propose de “permettr[e] aux entreprises d’adapter les horaires de travail en période de canicule, notamment pour les travailleurs très exposés comme ceux du BTP” et “d’accompagner les foyers concernés par le retrait/gonflement des argiles”.
Dans le même esprit, le Nouveau Front Populaire propose d’adopter un plan national d’adaptation au changement climatique notamment pour les infrastructures et les protections des personnes et de leurs biens (prise en charge facilitée des dommages liés au retrait-gonflement des argiles, droit à l’assurance)” et de “définir les seuils maximaux de températures pour les travailleurs et travailleuses en cas de fortes chaleurs“
Le Shift ne formule pas de proposition précise à ce sujet, mais ces mesures vont dans le sens d’une prise en compte des enjeux d’adaptation au changement climatique.
Une des mesures proposée par le Nouveau Front Populaire peut se rapporter aux travaux du Shift Project : “mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités”. Il est en effet nécessaire de renforcer la gouvernance des ressources qui sont susceptibles de faire l’objet de conflits d’usage. Or le développement des sécheresses, causé par le changement climatique, renforcera les conflits d’usage actuels autour de la ressource en eau.
Source : Analyse réalisée le 4 juillet 2024 par l’équipe du Shift pour les associations The Shifters et The Shift Project dans le prolongement de leur note de positionnement commune du 21 juin.
**Edition Odile Jacob, 2022, www.ilnousfautunplan.org
(1) Programme Ensemble, consulté le 28 juin 2024
(2) Programme Nouveau Front Populaire, consulté le 28 juin 2024
(3) Programme Rassemblement National, consulté le 28 juin 2024
(4) Voir les analyses des propositions de ce parti réalisées en 2022 : analyse des Shifters à l’aune de la Stratégie nationale bas carbone, et analyse par The Shift Project des lettres envoyées par les candidats.
(5) Émissions en inventaire national. Haut Conseil pour le Climat, Rapport annuel 2024 « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population », juin 2024.
(6) The Shift Project, “Voyager bas carbone”, avril 2022 ; The Shift Project, “Assurer le frêt dans un monde fini”, mars 2022 ; The Shift Project, “Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone”, février 2020
(7) En revanche, si par « propre » il est entendu « à hydrogène », alors ce serait une erreur industrielle et un mauvais calcul pour le consommateur. D’une part, 1 km parcouru à l’hydrogène consommera 3 fois plus d’électricité (pour produire de l’hydrogène bas carbone) que le même kilomètre avec une batterie. D’autre part, la quantité d’hydrogène bas carbone disponible d’ici 2050 sera limitée, sujette à concurrence d’usages. Par conséquent, les déplacements devraient être beaucoup plus chers à l’hydrogène.
(8) Moyennes 2018-2022, non corrigée de la rigueur climatique, à partir des Chiffres clés du climat – Edition 2023, SDES
(9) Calculs The Shift Project. Voir aussi : M Pellan et al. 2022
(10) The Shift Project, “Habiter dans une société bas carbone”, octobre 2021
(11) The Shift Project, “Pour une agriculture résiliente et prospère” (rapport intermédiaire), juin 2024
(12) Données CITEPA, 2019 et Eurostat, 2020.
(13) The Shift Project, “Décarboner l’industrie sans la saborder”, janvier 2022
(14) Hors exportations
(15) The Shift Project, “Pour une souveraineté énergétique fondée sur les renouvelables, le nucléaire et la sobriété”, avril 2024
(16) Non reprécisés dans le programme analysé ici
(17) La thématique de l’adaptation au changement climatique a été ajoutée. The Shift Project, “Il y a du boulot : l’analyse des propositions des candidats sur le climat par le Shift Project”, 29 mars 2022.
(18 The Shift Project, “Crise(s), climat : Préparer l’avenir de l’aviation”, mai 2020