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Penser l’école, penser à l’école

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En ces temps de turbulences et de peurs, injonction est faite de repenser la société, de repenser la citoyenneté, de repenser la religion, de repenser l’économie, de repenser l’homme. C’est un drôle de verbe, si on réfléchit bien, le verbe Penser. Il est souvent employé, et pourtant, où sont les espaces pour penser dans notre société ? Dans les médias ? Dans les assemblées et autres congrès ? A l’école ?
Allons-y à l’école. Pour moi qui suis instituteur, je n’ai aucun souvenir de l’emploi de ce mot en classe, en salle des maîtres, et même dans la bouche d’un ministre de l’éducation nationale.

Essayez de vous remémorer votre propre scolarité. Est-ce que ces phrases vous reviennent dites par un instituteur ? : « Tu as bien pensé ! » ; « Tu as bien travaillé/appris » ; « Tu t’es bien concentré »,

Penser, non… Comme si ce mot, cette idée, n’avait pas sa place à l’école, je dirai même, ne pouvait avoir sa place. Une place pourtant nécessaire pour qu’enfin l’école puisse donner accès à la complexité des choses et évite, autant que possible, de former une jeunesse n’ayant pour seule perspective que la servitude volontaire, ou alors pour certains le fanatisme.

Pourquoi ? Ce concept serait-il dangereux pour l’enseignant ? Est-ce que quelque chose lui échapperait si la classe et ses composants, les enfants, se mettaient à penser ? Penser serait-il incompatible avec l’objectif d’apprendre ? Doit-on même considérer que si on favorisait la pensée dans la classe, cela prendrait trop de temps pour faire émerger les savoirs, ça entrerait en contradiction avec les valeurs de la société, fondées sur la vitesse, voire l’urgence.

Et s’il y avait de plus, dans l’acte de penser, une boîte noire qui échappe à l’emprise de l’enseignant et qui lui pose vraiment problème, boîte faite de l’intériorité de l’enfant, ses émotions, ses désirs, ses préoccupations. Or, rien de plus angoissant pour le MAITRE de ne pas être maître de tout un pan de l’élève face à lui.

Alors, que fait-il bien souvent ?

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1) Soit il évacue cette intériorité et l’enfant ne reste qu’un élève à faire avancer compétence par compétence, un élève découpé en morceaux de savoir-faire, et qui le plus souvent devient objet d’évaluation. Il ne pense pas, il travaille. Et s’il pense un peu, cette pensée doit pouvoir être mise dans une catégorie évaluable et ne pas prendre trop de temps sur les acquisitions.

2) Soit il reconnait cet espace de pensée et d’intériorité mais cherche à percer cette boite noire de façon intrusive et non respectueuse de l’enfant avec des idées toutes faites comme « Cet enfant ? T’as vu la famille qu’il a ! » ou « Le père est absent, c’est pour ça que… » De la psychologie de bazar. L’enseignant cherche à contrôler ce qui sort de l’enfant.

Pourtant, il faut réhabiliter la pensée à l’école, car c’est laisser un espace non contrôlable, un espace dans lequel chacun peut se glisser à sa manière.

Où l’indicible peut exister.

Cet espace de pensée, dans la mesure où il est cadré pour assurer la sécurité de chacun avec des règles explicites, est précieux dans une classe. Il permet de donner place à l’intériorité singulière de chacun, incluant blessures et blocages, pour qu’elle se transforme en réalisation et en création.

Il faut donc prévoir dans un emploi de temps des moments pour cela. Je l’ai fait, je le fais, je le défends. Et je ne suis pas tout seul.

Nous sommes de nombreux enseignants à à défendre un espace-classe où penser serait central et multiple :

– Penser l’apprentissage
Jacques Lévine, psychologue, psychanalyste, un de mes maîtres à penser justement, avait une formule qui est devenue mienne : « Il ne devrait y avoir qu’une seule discipline à l’école : conquérir les secrets de la vie ». Les enfants doivent dès le plus jeune âge penser ce qu’ils auront à apprendre, savoir pourquoi on leur demande d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à mesurer, à dessiner, à chanter. Et le savoir passe d’abord par leur propre exploration tâtonnante, sans l’explication de l’adulte.

– Penser les empêchements à apprendre
Ces empêchements sont partout en classe, et pas seulement chez les élèves qui sont notoirement en difficulté. Serge Boimare, psychopédagogue, ancien directeur du Centre Médico-Psychopédagogique Claude Bernard (Paris V), en parle formidablement bien dans un de ces ouvrages, « Ces enfants empêchés de penser ».

Ils sont cachés en chacun de nous – j’ai été moi-même de ces élèves empêchés, même si ça ne s’est pas vu dans mes résultats – et souvent ils sont inavouables.

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Ces empêchements peuvent venir de partout, de l’enseignant, de la personne qu’est l’élève, de son entourage familial ou amical, des savoirs eux-mêmes.

Avec toute une équipe d’enseignants et de clowns (!), nous nous sommes confrontés à ces empêchements d’une façon singulière et pratique et avons fait partager notre travail sur ce site : http://www.empechementsaapprendre.com

– Penser la classe
On ne passe pas six heures par jour dans une classe sans qu’il soit nécessaire de la faire sienne. Sinon, l’espace devient mortifère. Et pourtant, combien d’enseignants font de leur classe un espace de démocratie ?
La pédagogie Freinet, qui est là aussi d’une grande importance dans mes valeurs, l’a compris en instituant tous ces espaces de conseil, dans lesquels les élèves deviennent co-auteurs du fonctionnement de leur classe, faisant de celle-ci un espace de participation et de co-décision.

– Penser le monde et la condition humaine
Sous forme de moments de réflexion collective, inspirés là encore par Jacques Lévine, dans lesquels l’enseignant n’est que celui qui permet, il s’agit là d’établir un moment d’exploration entre pairs qui permette à chacun d’avancer dans la découverte de soi, de l’autre, et du monde dans lequel on vit.

L’objectif est donc triple :

– offrir un espace de réflexion personnelle à chaque enfant (qu’il intervienne oralement ou non dans l’atelier), où il peut aborder des grands thèmes auxquels, en général, on ne lui donne pas accès, soit parce qu’il est considéré comme trop petit, soit parce qu’on trouve qu’il y a d’autres priorités, soit parce qu’on n’a pas le temps, soit parce que c’est considéré comme difficile à mener…

– modifier le regard que chacun porte sur l’autre. Il n’y a pas là de « bon élève » étiqueté mais d’enfants qui cherchent ensemble un cheminement à l’intérieur d’une question, qui n’a pas de réponse juste.

– ouvrir un espace transitionnel entre soi et le monde. Le « pourquoi on vit » devient accessible. Cette façon de nous mettre en relation avec le monde peut aider des enfants à se réconcilier avec leur environnement.

Penser l’école, penser à l’école

Combat vital. Combat politique. Combat humain. Combat innovant.

Daniel Gostain, enseignant-clown
http://pedagost.over-blog.com

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