L’unité de survie déterminante en dernier ressort de chaque être humain est l’humanité toute entière. Elle constitue le point d’arrivée du mécanisme évolutif dans lequel nous sommes engagés. L’expansion sur tous les continents de la mondialisation, le développement planétaire de l’hyperinformation, la défection des États-nations au profit d’entités supra-nationales, l’émergence de réseaux mondiaux, tous ces phénomènes vont dans le sens d’une intégration dont le niveau suprême est l’humanité. Dans ce mouvement, la prise de conscience d’un lien entre les humains, d’un « nous », reste pourtant encore très infime.
Illustration © Gilles Clément
Le « Nous » humain n’existe encore qu’à l’état de germe. Parviendra-t-il un jour à se former ? Apparemment, rien n’est moins sûr, dans l’état actuel du monde.
Une unité de survie supérieure dans laquelle existe une conscience du nous, ne peut se développer qu’en relation avec la perception d’une menace que ferait peser un groupe extérieur. C’est ainsi que se sont effectués tous les processus d’intégration de l’histoire humaine. Quand le groupe est menacé dans sa survie, la conscience du nous peut alors se forger.
Or, dans l’état actuel de nos connaissances, l’humanité n’est pas menacée par un groupe extérieur à elle ; les petits hommes verts ne sont pas encore une menace d’actualité. En revanche, elle est menacée par des groupes qui sont à l’intérieur d’elle-même, de manière directe ou indirecte. Si l’humanité était menacée de l’extérieur, il est certain que le développement d’un sentiment d’identité au niveau de l’humanité serait facile. Mais, l’humanité n’est menacée que par elle-même, ce qui rend problématique « la prise de conscience que l’humanité tend à devenir de plus en plus l’unité première de survie pour tous les hommes pris individuellement et pour tous les groupes qui la constituent. » (1)
● Les hommes commencent seulement à comprendre, mais peut-être est-il déjà trop tard, que les effets de leurs actions peuvent compromettre les conditions de vie de l’humanité dans son ensemble ; ils restent pourtant encore attachés à des habitus sociaux qui résistent à toute poussée d’intégration. Les groupes sociaux qui forment aujourd’hui la planète agissent le plus souvent sans tenir compte de ce phénomène d’évolution non programmée de l’humanité. La notion d’humanité est toujours associée à une forme d’idéalisme sentimental, ce qui entrave tout raisonnement factuel à une époque où les frontières n’existent déjà plus pour les flux économiques et humains, les épidémies ou les bouleversements climatiques.
(1) Norbert ELIAS, op.cit.
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