Les assureurs, souvent perçus comme des garants de la stabilité face aux aléas de la vie, jouent un rôle insoupçonné, mais crucial dans la crise climatique. En assurant des projets liés aux énergies fossiles, comme le gaz de schiste ou le pétrole, ils contribuent indirectement à alimenter le dérèglement climatique, tout en augmentant leur propre exposition aux catastrophes naturelles. Cette contradiction est au cœur des mobilisations récentes d’ANV-COP21 contre AXA, l’un des leaders mondiaux de l’assurance. À travers des actions simultanées dans plusieurs villes de France, les activistes ont dénoncé un comportement qu’ils jugent irresponsable : soutenir des industries polluantes tout en se présentant comme un acteur engagé pour le climat. Ce paradoxe soulève des questions fondamentales sur la responsabilité des assureurs et leur capacité à accélérer la transition énergétique mondiale.
Début décembre, des activistes d’ANV-COP21 ont mené quatre actions simultanées ciblant des agences AXA, pour exiger que ce leader mondial des assurances cesse de soutenir des projets d’énergies fossiles responsables du dérèglement climatique. Ces actions réagissent à la sortie du nouveau rapport Insurance scorecard de la coalition internationale Insure Our Future sorti le 10 décembre dernier, qui épingle la politique climatique d’AXA.
Quatre actions ont été menées simultanément par des groupes du réseau Action Non-Violente COP21 (ANV-COP21), le mardi 10 décembre 2024, jour de la sortie du rapport Insurance Scorecard de la coalition internationale Insure Our Future, qui classe les politiques fossiles de 30 des plus grands (ré)assureurs au monde. À Marseille, Bayonne, Rennes et Nantes, des activistes se sont rendus devant des agences AXA locales pour déployer des banderoles enflammées “Avec AXA, c’est la catastrophe assurée !”, pour dénoncer l’implication de l’assureur dans des projets d’énergies fossiles et ses impacts climatiques.
« Comme l’a déclaré l’ancien PDG d’AXA Henri de Castries lui-même en 2015, “un monde à +4 degrés est impossible à assurer.” Et pourtant, AXA continue d’assurer de nouveaux projets d’énergies fossiles qui aggravent le réchauffement climatique ! Sans assurance, un nouveau projet ne peut pas voir le jour, la responsabilité d’AXA dans l’ampleur de la catastrophe climatique est donc décisive” explique Zoé Pélegry, porte-parole d’ANV-COP21.
Derrière une image d’assureur engagé et soucieux des enjeux climatiques et environnementaux, AXA joue en réalité un rôle déterminant dans l’aggravation du dérèglement climatique, et fait partie du top 10 des assureurs de pétrole et de gaz mondiaux. En assurant les terminaux d’import et d’export de Gaz Naturel Liquéfié (GNL), comme Cameron LNG aux USA ou Dunkerque LNG en France, AXA apporte un fort soutien aux projets d’exploitation et d’extraction de GNL. Or le GNL est loin d’être une énergie verte puisque le gaz exploité est en majorité issu de gaz de schiste, une technologie interdite en France pour ses impacts environnementaux et sanitaires.
Le rapport Insurance Scorecard, sorti le 10 décembre, dévoile la facture des assureurs liée au changement climatique sur les vingt dernières années, qui atteint globalement le même niveau que les primes d’assurance qu’ils reçoivent de l’industrie fossile. Si les projets fossiles ont besoin des assurances, l’inverse n’est pas vrai : les assurances n’ont pas besoin de l’industrie fossile, qui ne représente peu de leurs activités. Cette analyse pousse des mouvements citoyens pour le climat à faire d’AXA une cible, avec l’objectif de faire bouger le secteur stratégique des assurances et faire accélérer la transition énergétique au niveau international.
Ces actions ont été menées quelques jours après la fin de la COP29, alors que les records du réchauffement climatique s’enchaînent, l’année 2024 s’annonçant comme la plus chaude jamais enregistrée sur la planète, et que de plus en plus de personnes sont concrètement impactées par les événements climatiques extrêmes.
“Les compagnies d’assurance comme AXA augmentent de plus en plus les cotisations des communes les plus touchées par les conséquences du dérèglement climatique, et cessent même d’en assurer certaines. Mais AXA continue dans le même temps d’assurer des projets qui alimentent et amplifient les événements climatiques extrêmes : c’est un comportement de pompier pyromane !”, ajoute Zoé Pélegry.
Cette nouvelle action d’ANV-COP21 s’inscrit dans une campagne de mobilisation contre la politique climatique d’AXA qui a commencé il y a deux mois. Le 26 novembre, des activistes ANV-COP21 avaient réussi à s’introduire à l’événement “Investir Day” organisé au Louvre à Paris, et avaient fait irruption sur scène au moment de l’intervention de M. de Mailly Nesle, directeur financier du groupe, pour interpeller les 300 investisseurs potentiels réunis ce jour-là.
Dans la préface du rapport, Kim Stanley Robinson, auteur de romans de science-fiction, qui explorent la durabilité écologique et les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique, déclare : « L’assurance est le pilier du capitalisme. Si une entreprise subit des pertes inattendues et qu’elle a payé correctement ses assurances, l’assureur paiera les pertes et l’entreprise survivra. Dans le cas contraire, l’entreprise peut faire faillite et disparaître. »
Il conclut cette préface par « La vitesse de ce changement climatique est choquante et nombreux sont ceux qui regardent maintenant autour d’eux à travers de nouvelles lentilles de compréhension, essayant de voir qui exactement aura besoin d’aide en premier. Tout le monde sait qu’il faut agir, mais qui sera le premier à le faire ? L’assurance d’abord. C’est son métier ! Elle calcule les risques et refuse d’assurer ceux qui sont trop dangereux pour être couverts. Elle doit donc cesser d’assurer l’industrie des combustibles fossiles. Elle peut le faire légalement, et on pourrait dire qu’elle a une responsabilité fiduciaire à cet égard, mais ses responsabilités morales et physiques sont encore plus élevées. Comme tout le monde, elle doit se conformer à l’impératif de durabilité, pour survivre. Et elle le peut, grâce à sa conception même, pour agir presque instantanément, face aux nouvelles réalités auxquelles nous sommes confrontés. »
Le rôle ambigu des assureurs dans la crise climatique
Les compagnies d’assurance occupent une place stratégique dans la lutte contre le changement climatique. En assurant des projets d’extraction et d’exploitation des énergies fossiles, elles permettent à ces initiatives de voir le jour. Sans couverture d’assurance, ces projets, souvent à haut risque, ne pourraient obtenir les financements nécessaires ou répondre aux exigences réglementaires. À cet égard, les assureurs ne sont pas de simples spectateurs : ils sont des acteurs centraux dans le maintien d’un modèle énergétique basé sur le carbone.
Une dépendance asymétrique : Selon des rapports récents, l’industrie fossile représente en moyenne 2 % des activités des assureurs, un chiffre qui illustre que ces derniers ne dépendent pas de ce secteur pour leur viabilité financière. En revanche, les projets fossiles sont totalement dépendants des assurances pour couvrir les risques colossaux liés à l’extraction, au transport, et à la transformation des combustibles fossiles.
Les dégâts économiques du changement climatique : La facture des catastrophes climatiques pour les assureurs atteint des sommets : selon l’étude Insurance Scorecard, les pertes dues aux événements climatiques extrêmes sur les deux dernières décennies équivalent presque aux primes reçues de l’industrie fossile. Cela met en lumière une contradiction majeure : en continuant d’assurer ces projets, les compagnies contribuent aux causes des pertes qu’elles doivent elles-mêmes couvrir.
Des responsabilités et des alternatives : Certaines compagnies ont pris des mesures pour se désengager de l’industrie fossile. Par exemple, des assureurs comme Allianz ou Swiss Re ont réduit leur couverture pour des projets liés au charbon. Cependant, le secteur doit encore opérer un changement systémique pour aligner ses pratiques sur les objectifs de l’Accord de Paris. En redirigeant leurs investissements et leurs assurances vers des projets d’énergies renouvelables, les compagnies d’assurance pourraient jouer un rôle déterminant dans la transition énergétique.
Un levier de pression : Les campagnes menées par des organisations comme ANV-COP21 visent à transformer ce levier économique en moteur de changement. Elles appellent les assureurs à abandonner leur soutien aux énergies fossiles et à s’engager pleinement dans des politiques favorisant une économie bas-carbone.
En somme, les assureurs ne sont pas uniquement des garants financiers ; ils sont aussi des architectes du futur énergétique. À eux de choisir s’ils souhaitent être des bâtisseurs d’un avenir durable ou les complices d’une catastrophe annoncée.
Photo d’en-tête : Opération le 10 décembre 2024 à Marseille- Crédit Valentin Robert – Alternatiba Marseille 2