TRIBUNE
À l’occasion de la Primaire Populaire – portée notamment par la jeune génération qui revendique « un avenir » – nous souhaitons verser au débat l’urgence du vivant et de la solidarité. Nous savons qu’un autre cadre économique est possible. Nous devons collectivement nous atteler à mettre en place de nouvelles règles du jeu économique afin de favoriser la coopération, le soutien des écosystèmes, la préservation du climat et des communs.
Que peuvent les citoyens quand explosent les inégalités et quand le climat de la planète devient hostile, notamment pour les plus vulnérables ? Comment peuvent-ils s’exprimer lors des prochaines élections présidentielles, si les candidats s’écharpent, alors même qu’ils sont d’accord sur l’essentiel ? Car, qui oserait récuser l’enjeu de devoir sauver d’urgence notre « maison commune » ?
Le constat collectif qui nous rassemble
Il faut bien et vite se rendre à l’évidence : nous convergeons tous sur la nécessité d’opérer un virage radical face à la menace climatique et écologique. Il est clair que cette « cause commune » qui dépasse toutes les autres, doit nous rassembler comme les membres d’un équipage en cas d’avarie… Il s’agit juste de maintenir l’habitabilité de la terre ! Ce défi requiert toutes nos forces de solidarité et de créativité pour organiser un nouveau contrat social, une sorte de « contrat naturel » comme le préconisait Michel Serres en… 1990 ! La conscience de l’urgence est bien là, l’heure est à l’action…
Puisqu’il faut faire « cause commune »
Nous avons moins de trente ans – soit une génération – pour réaliser la transformation radicale d’un modèle économique basé sur les énergies fossiles qui s’est construit en deux siècles !
La confrontation à l’urgence sanitaire liée à la Covid nous montre aujourd’hui, combien nous devons réajuster nos modèles de production à des priorités nouvelles. Elle témoigne d’un désir collectif à réinvestir des chaînes valeurs locales ou qui font sens. Et il s’agit de vivre mieux ! Quantité d’innovations et de coopérations organisationnelles confirment que l’on peut tabler sur des pratiques sobres (réduction des ressources et des énergies consommées), des boucles circulaires (réemploi, recyclage) mais aussi des modèles d’affaires contributifs ou régénérateurs écologiquement et socialement.
Redéfinir la notion de performance économique
Le Pacte vert européen constitue un socle qui a permis «la modification de 54 lois européennes – sur la finance, la biodiversité, l’économie circulaire, le marché du carbone, la taxonomie verte, les batteries… » se plaît à rappeler Pascal Canfin, l’eurodéputé, président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen.
Dans ce contexte, nous pouvons donner une nouvelle cohérence à notre économie en remettant en cause des indicateurs erronés comme le PIB (à remplacer par les nouveaux indicateurs de richesse), ou au minimum à le relativiser, et en se référant à de nouvelles valeurs de performance écologique et sociale.
Il s’agit d’accélérer ce changement systémique de notre économie en amenant les organisations à rendre des comptes sur leurs impacts (en les mesurant) et à attester de leur viabilité. Pour ce faire, la transformation des normes comptables va devenir une nécessité pour les investisseurs qui veulent vérifier l’absence d’exposition aux risques. En effet, nos cadres comptables sont aveugles aux biens communs (eau, air, sols, biodiversité…). L’élargissement des comptabilités aux dimensions naturelles et sociales est indispensable pour donner à tous les acteurs un miroir fidèle des activités des entreprises. Cette valorisation des performances environnementales et sociales permet de réintégrer partout dans l’économie les vrais coûts liés aux émissions de gaz à effet de serre, aux pollutions à nettoyer, aux ressources à régénérer… sans les faire porter par les citoyens-habitants de la planète, présents et futurs !
Favoriser les dynamiques territoriales
La France regorge d’initiatives de tous ordres dans ses territoires : nouvelles pratiques agricoles, mobilités douces, écohabitats, formes multiples d’entreprises et d’associations de l’économie sociale et solidaire… Pour faciliter l’émergence de nouvelles filières textiles, chimies ou énergies vertes, rénovation des bâtiments, et tisser la solidarité au cœur de l’économie, nous proposons d’établir des « contrats de transition » dans chaque territoire en fédérant les projets citoyens, l’entreprise au niveau local et en mobilisant les étudiants, universités, centres de formations et grandes Écoles. Il s’agit de coconstruire des trajectoires d’adaptation, de réorientation voire de « renoncement », pour promouvoir une politique du long terme et de la maintenance ». L’horizon est bien de développer une autonomie alimentaire et énergétique.
Donner de la valeur au long terme
Ce nouveau cap économique n’a de sens que s’il répond à une remise en valeur des acteurs du soin, de l’accompagnement des personnes vulnérables, de la maintenance, de la protection des écosystèmes. Notre système économique doit garantir aussi la qualité de vie à tous. Comme les inégalités sont considérables face au réchauffement climatique et aux polluants, il est crucial de mobiliser des instruments justes pour protéger les personnes et les organisations les plus à risque.
Les pays européens font partie des pays qui ont été les plus émetteurs de carbone depuis le début de la révolution industrielle (aujourd’hui 10% des plus riches émettent 50% du CO2). Ils doivent donc soutenir financièrement les pays les plus impactés par le réchauffement climatique. Alors que se multiplient les procès liés à la détérioration des milieux de vie, l’Europe se doit aussi de neutraliser les lobbies susceptibles de faire valoir des intérêts privés face à la protection de populations vulnérables dans le cadre de projets d’extraction de carburants fossiles et de matériaux critiques notamment.
Notre démocratie se doit d’organiser une autre croissance
Certaines postures hégémoniques sont devenues inacceptables. Ainsi celle de Larry Fink, patron de BlackRock qui affirme dans sa lettre annuelle aux PDG qu’il a publié cette semaine : « Le capitalisme a le pouvoir de façonner la société et d’agir comme un puissant catalyseur de changement ». Cette profession de foi du gérant de 10 000 milliards de dollars d’actifs témoigne d’une inversion des ordres, qui a pris corps voilà plus de quarante ans, et désormais aberrante. Non, le designer du futur ne peut pas être un capitalisme irresponsable mais bien plutôt la démocratie vivante capable de façonner l’économie que nous voulons ! Charge à nous d’organiser cette force collective pour déployer une économie écologique et solidaire.
Premiers signataires :
- Dorothée Browaeys, Présidente TEK4life
- Isabelle Delannoy, Auteure du livre « L’économie symbiotique »
- Thierry Kuhn, Directeur d’Emmaüs Mundo, ancien Président d’Emmaüs France
- Christian Sautter, Ancien Ministre
- Jean-Louis Bancel, Président d’honneur du Crédit Coopératif
- Emery Jacquillat, PDG La Camif
- Romain Ferrari, DG de Serge Ferrari et de Polyloop
- Isabelle Filliozat, Auteure
- Celine Puff Ardichvili, Auteure
- Gilles-Eric Séralini, Auteur
- Daniel Lenoir, Président de l’Idies
- Mohamed Lagrib, Entrepreneur
- Jean-François Simonin, Consultant
- Marie Hélène Izarn, Militante engagée dans l’économie sociale et solidaire