La question va au-delà de la science, elle est de nature philosophique, métaphysique. L’homme se la pose depuis toujours : Comment la vie est-elle apparue sur notre planète ? Quels sont les ingrédients et la recette qui ont permis de faire jaillir du grand chaudron, quelque chose qui deviendra un être vivant ?
Des chercheurs de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, en recréant en laboratoire, une « comète artificielle » sont parvenus à recréer à partir des glaces, une des briques essentielles de la vie. On le soupçonnait depuis longtemps mais c’est la première fois que l’on arrive à montrer que le ribose, un sucre complexe, à la base du matériel génétique des organismes vivants, a pu se former dans les glaces cométaires.
Pour parvenir à ce résultat, des scientifiques de l’Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Nice Sophia Antipolis) ont analysé très précisément une comète artificielle créée par leurs collègues de l’Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud). Ils présentent ainsi, en collaboration avec d’autres équipes, dont une du synchrotron SOLEIL de Gif-sur-Yvette, le premier scénario réaliste de formation de ce composé essentiel, encore jamais détecté dans des météorites ou dans des glaces cométaires. Étape importante dans la compréhension de l’émergence de la vie sur Terre.
Les scientifiques ont présenté leur recette dans la revue Science le vendredi 8 avril 2016. Prenez des grains de sable analogues à ceux que l’on trouve sur les comètes. Il faut les choisir tout petits (un dixième de micromètre). Vous entourez vos grains de sable de glace d’eau, d’un peu de méthanol et d’ammoniac puis vous les éclairez avec des ultraviolets à très basse température. Ceci, pour reconstituer les conditions des nébuleuses stellaires, là où se forment ces grains. Surveillez votre thermomètre, il doit être à -195° C. Une fois cette étape réalisée, vous réchauffez le tout légèrement afin de volatiliser les produits obtenus et de vous rapprocher des conditions d’une comète qui se réchauffe en s’approchant du soleil. Et maintenant, observez ce que vous obtenez dans votre brouet.
Surprise des chercheurs qui ne s’attendaient à n’y trouver que ce que l’on connaît déjà, et notamment des acides aminés : or ils découvrent des sucres ! C’est-à-dire des assemblages de plusieurs atomes de carbone et d’oxygène. Comment ont-ils découvert ces molécules qui étaient passées inaperçues aux yeux de tous les scientifiques. Pour analyser la composition du résultat de leur recette, ils sont allés à Grasse. Ce n’est pas très loin de Nice et c’est la patrie des parfumeurs. Or, justement, ceux-ci utilisent quasi quotidiennement la technique de la chromatographie multidimensionnelle en phase gazeuse, couplée à la spectrométrie de masse à temps de vol. Nom barbare d’un outil utilisé par les parfumeurs pour étudier la composition des huiles essentielles.
En ayant l’idée d’utiliser cette technologie, les scientifiques niçois ont réussi à repérer plus de 4000 composés alors qu’avant, ils n’en observaient laborieusement que 300. C’est pourquoi les sucres étaient restés si longtemps invisibles à toutes les expériences menées jusqu’alors.
Dans les sucres trouvés au fond de la marmite, les chercheurs découvrent (en poussant vraisemblablement des hurlements de joie et en bondissant dans une gigue effrénée…) du ribose. C’est le maillon essentiel de l’ARN, où le R signifie, rappelons-le, ribonucléique.
Tous les organismes vivants sur Terre, ainsi que les virus, ont un patrimoine génétique fait d’acides nucléiques – ADN ou ARN. L’ARN, considéré comme plus primitif, aurait été l’une des premières molécules caractéristiques de la vie à apparaitre sur Terre. Les scientifiques s’interrogent depuis longtemps sur l’origine de ces molécules biologiques. Selon certains, la Terre aurait été « ensemencée » par des comètes ou astéroïdes contenant les briques de base nécessaires à leur construction. Et effectivement, plusieurs acides aminés (constituants des protéines) et bases azotées (l’un des constituants des acides nucléiques) ont déjà été trouvés dans des météorites, ainsi que dans des comètes artificielles, reproduites en laboratoire.
Mais le ribose, l’autre constituant-clé de l’ARN, n’avait encore jamais été détecté dans du matériel extraterrestre, ni produit en laboratoire dans des conditions « astrophysiques ». En simulant l’évolution de la glace interstellaire composant les comètes, et en réussissant à former du ribose, les équipes de recherche françaises ont franchi une étape importante pour comprendre l’origine de l’ARN et donc les origines de la vie.
S’il reste à confirmer l’existence de ribose dans les comètes réelles, cette découverte complète la liste des « briques moléculaires » de la vie qui peuvent être formées dans la glace interstellaire. Elle apporte un argument supplémentaire à la théorie des comètes comme source de molécules organiques qui ont rendu la vie possible sur Terre… et peut-être ailleurs dans l’Univers.
Interrogé par Le Monde, André Brack directeur de recherche honoraire du CNRS, spécialiste de l’origine chimique de la vie sur Terre, salue cette découverte mais tempère nos fantasmes. Il ne faut pas s’imaginer que la vie soit apparue toute rôtie sur Terre, après avoir été mitonnée dans les premiers âges glacés du Système solaire. Le scénario le plus probable est qu’une pluie de météorites soit arrivée sur Terre, apportant une avalanche de matières organiques très anciennes. Selon lui, cela aurait formé une couche de près de 30 mètres d’épaisseur. Il a fallu attendre que les conditions soient propices (eau, rayonnement solaire, chaleur…) pour que cette matière inerte prenne vie et devienne capable de se reproduire. Mais là, c’est encore un mystère.
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments