Si l’on pouvait tester facilement le maximum de personnes, la crise du Covid deviendrait sans doute un mauvais souvenir. Mais nous butons sur les tests. Trop complexes à mettre en œuvre, longs à fournir des résultats, inégaux dans leur fiabilité. La solution pourrait venir de CRISPR, ces fameux ciseaux moléculaires inventés par les chercheuses Carpentier et Doudna, qui leur valut le dernier prix Nobel de chimie. Cette dernière vient d’annoncer la mise au point d’un test basé sur le CRISPR pour Covid-19 qui utilise la caméra de votre smartphone pour fournir des résultats précis en 5 minutes, tout en mesurant exactement la charge virale.
Une équipe de scientifiques des instituts Gladstone, de Berkeley et de l’université de Californie ont eu, sous la houlette de Jennifer Doudna, une vision : Imaginez que vous vous frottiez les narines avec du coton, que vous mettiez l’échantillon recueilli dans un appareil, et que vous obteniez en 5 à 30 minutes sur votre téléphone l’affichage d’un résultat indiquant si vous êtes infecté ou pas par le Covid-19. Simple comme un beau rêve ? Mais un rêve qui pourrait vite devenir réalité. Et résoudre une grande partie de nos problèmes liés à la crise sanitaire sans précédent que nous traversons.
Car l’un des principaux obstacles à la lutte contre la pandémie et au déconfinement total des populations est la disponibilité de tests rapides de masse. Le fait de savoir qui est infecté permettrait aux décideurs politiques et aux citoyens de mieux comprendre la propagation et la menace potentielles du virus. Pourtant, les gens doivent souvent attendre plusieurs jours pour obtenir leurs résultats, voire plus longtemps encore lorsque les tests de laboratoire sont en retard. Et la situation est aggravée par le fait que la plupart des personnes infectées présentent des symptômes bénins ou n’en présentent aucun, tout en étant porteuses et en propageant le virus.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Cell, l’équipe de Gladstone, UC Berkeley et UCSF a présenté la technologie d’un test basé sur le CRISPR pour Covid-19 qui utilise une caméra de smartphone pour fournir des résultats précis en moins de 30 minutes. « Il était urgent pour la communauté scientifique non seulement d’augmenter les tests, mais aussi de fournir de nouvelles options de test », déclare le Dr Melanie Ott, directrice de l’Institut de virologie de Gladstone et l’une des responsables de l’étude. « Le test que nous avons développé pourrait fournir un test rapide et peu coûteux pour aider à contrôler la propagation du COVID-19 ».
La technique a été conçue en collaboration avec le bio-ingénieur Daniel Fletcher de l’université de Berkeley, ainsi qu’avec Jennifer Doudna, chercheuse principale à Gladstone, professeure à l’université de Berkeley, présidente de l’Institut de génomique innovante, et chercheuse à l’Institut médical Howard Hughes. Elle a récemment reçu le prix Nobel de chimie 2020 pour avoir co-découvert la technologie d’édition du génome CRISPR-Cas, qui est à la base de ces travaux.
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Non seulement leur nouveau test de diagnostic peut générer un résultat positif ou négatif, mais il mesure également la charge virale (ou la concentration de SARS-CoV-2, le virus qui cause le Covid-19) dans un échantillon donné. « Associée à des tests répétés, la mesure de la charge virale pourrait aider à déterminer si une infection augmente ou diminue », explique le Dr Fletcher. « Le suivi de l’évolution de l’infection d’un patient pourrait aider les professionnels de la santé à estimer le stade de l’infection et à prédire, en temps réel, le temps nécessaire à la guérison ».
Comment ça fonctionne ?
Les tests Covid-19 actuels utilisent une méthode appelée PCR quantitative — l’étalon-or des tests. Cependant, l’un des problèmes liés à l’utilisation de cette technique pour tester le SRAS-CoV-2 est qu’elle nécessite de l’ADN. Or le coronavirus est un virus à ARN, ce qui signifie que pour utiliser l’approche PCR, l’ARN viral doit d’abord être converti en ADN. Dès lors, cette technique repose sur une réaction chimique en deux étapes, dont une étape d’amplification pour fournir suffisamment d’ADN pour le rendre détectable. Ainsi, les tests actuels nécessitent généralement des utilisateurs formés, des réactifs spécialisés et un équipement de laboratoire encombrant, ce qui limite fortement les endroits où les tests peuvent être effectués et entraîne des retards dans la réception des résultats.
Comme alternative à la PCR, les scientifiques développent des stratégies de test basées sur la technologie d’édition de gènes CRISPR, qui excelle dans l’identification spécifique du matériel génétique.
Tous les diagnostics CRISPR à ce jour ont nécessité la conversion de l’ARN viral en ADN et son amplification avant de pouvoir être détecté, ce qui a ajouté du temps et de la complexité. En revanche, la nouvelle approche décrite dans cette récente étude saute toutes les étapes de conversion et d’amplification, en utilisant CRISPR pour détecter directement l’ARN viral.
Parinaz Fozouni, une chercheuse du laboratoire de virologie de Gladstone, travaillait depuis quelques années sur un système de détection du VIH par ARN. Mais en janvier 2020, lorsqu’il est apparu clairement que le coronavirus devenait un problème plus urgent que le VIH au niveau mondial et que le dépistage était un écueil potentiel, elle et ses collègues ont décidé de se concentrer sur le Covid-19.
« Nous savions que le test que nous étions en train de mettre au point serait une solution logique pour aider à résoudre la crise, en permettant un dépistage rapide avec des ressources minimales », déclare-t-elle. L’idée décisive a été de travailler sur une protéine particulière liée à CRISPR : « Au lieu de la protéine CRISPR bien connue appelée Cas9, qui reconnaît et clive l’ADN, nous avons utilisé Cas13, qui clive l’ARN ».
Dans le nouveau test, la protéine Cas13 est combinée à « une molécule rapporteur » (« reporter molecule ») qui devient fluorescente lorsqu’elle est coupée, puis mélangée à un échantillon de patient provenant d’un prélèvement nasal. L’échantillon est placé dans un dispositif qui s’attache à un smartphone. Si l’échantillon contient de l’ARN provenant du SARS-CoV-2, la protéine Cas13 sera activée et coupera la molécule rapporteur, provoquant l’émission d’un signal fluorescent. Ensuite, la caméra du smartphone, convertie pour l’occasion en microscope, peut détecter la fluorescence et signaler que l’échantillon est testé positif pour le virus.
« Ce qui rend ce test vraiment unique, c’est qu’il utilise une réaction en une seule étape pour tester directement l’ARN viral, par opposition au processus en deux étapes des tests PCR traditionnels », explique la professeure Melanie Ott. « Cette chimie plus simple, associée à l’appareil photo du smartphone, réduit le temps de détection et ne nécessite pas d’équipement de laboratoire complexe. Elle permet également au test de donner des mesures quantitatives plutôt qu’un simple résultat positif ou négatif ».
Lorsque les scientifiques ont testé leur dispositif en utilisant des échantillons de patients, ils ont confirmé qu’il pouvait fournir un délai d’exécution très rapide des résultats pour les échantillons dont la charge virale est cliniquement pertinente. En fait, le dispositif a détecté avec précision un ensemble d’échantillons positifs en moins de 5 minutes. Pour les échantillons ayant une faible charge virale, le dispositif a mis jusqu’à 30 minutes pour le distinguer d’un test négatif.
« Des tests fréquents avec un délai d’exécution rapide sont ce dont nous avons besoin pour surmonter la pandémie actuelle », observe Melanie Ott. « Nous espérons qu’avec une augmentation des tests, nous pourrons éviter les confinements et protéger les populations les plus vulnérables ».
N’importe quel smartphone
Les chercheurs affirment que leur test pourrait être adapté à presque tous les smartphones, ce qui rendrait la technologie facilement accessible. « Nous avons choisi d’utiliser les smartphones comme base de notre dispositif de détection car ils ont des interfaces utilisateur intuitives et des caméras très sensibles que nous pouvons utiliser pour détecter la fluorescence », explique Daniel Fletcher. « Les smartphones sont également produits en masse et très accessibles, ce qui démontre que des instruments de laboratoire spécialisés ne sont pas nécessaires pour ce test ».
Non seulement le nouveau test basé sur CRISPR offre une option prometteuse pour les tests rapides, mais en utilisant un smartphone, et en évitant d’avoir recours à des équipements de laboratoire encombrants, il a le potentiel de devenir portable et d’être éventuellement disponible pour une utilisation partout et même à domicile. Il pourrait également être étendu pour diagnostiquer d’autres virus respiratoires que le CoV-2 du SRAS.
En outre, la haute sensibilité des caméras des smartphones, ainsi que leur connectivité, leur GPS et leurs capacités de traitement des données, en font des outils intéressants pour diagnostiquer les maladies dans les régions à faibles ressources.
« L’une des raisons pour lesquelles nous sommes enthousiasmés par les diagnostics basés sur le CRISPR est la possibilité d’obtenir des résultats rapides et précis au moment où l’on en a besoin », explique Jennifer Doudna. « Cela est particulièrement utile dans les endroits où l’accès aux tests est limité, ou lorsque des tests rapides et fréquents sont nécessaires. Cela pourrait éliminer une grande partie des goulots d’étranglement que nous avons constatés avec le Covid-19 ».
Pouvoir effectuer des tests facilement, en utilisant un simple smartphone, serait une révolution dans la lutte contre la pandémie. Mais, chaque médaille a son revers. En effet, en utilisant un smartphone, les chercheurs savent qu’ils entrent dans un territoire sensible, celui de la protection des données. On peut en effet imaginer que cette invention permette de télécharger des masses considérables de données issues de ces tests pour rechercher les cas contacts ou mener de vastes enquêtes épidémiologiques. Une attention toute particulière devra être portée sur ce point si l’on veut que ce type de test joue pleinement son rôle dans le contrôle des pandémies actuelles et futures.
Source : Gladstone Institute