Le changement climatique affecte la croissance des raisins utilisés dans la vinification, les faisant mûrir beaucoup trop tôt. De ce fait, la qualité et le caractère du vin s’en trouve modifiés. Mais de nouvelles recherches confirment que les plantations d’arbres dans les vignes pourraient aider les viticulteurs à s’adapter aux dérèglements climatiques qui se succèdent.
Dans le Sud de la France, les paysages de vignes sont en train de changer. Aux côtés des habituelles lignes de ceps soigneusement entretenus, se dressent des rangées d’arbres qui offrent l’ombre de leur frondaison aux précieux raisins. Des microclimats sont ainsi créés offrant de nombreux avantages pour la biodiversité, et permettant de contenir le mûrissement des grappes afin d’obtenir un vin de meilleure qualité. Outre l’ombre qu’apportent les arbres dans les vignes, ils accroissent non seulement la tolérance de la vigne aux températures extrêmes mais aussi au gel, ils créent des îlots de biodiversité favorables au développement d’insectes bénéfiques pour les plantations ; enfin les arbres séquestrent de grandes quantités du CO2 rejeté dans l’atmosphère. L’agroforesterie, cette antique méthode de travail des agriculteurs, reléguée aux oubliettes par l’agriculture intensive, revient en force, reconnue désormais comme une solution de premier ordre pour contrer les effets du changement climatique.
La maîtrise du microclimat de la vigne
La maîtrise du microclimat de la vigne est un facteur essentiel pour produire un raisin de qualité. Aussi, les phénomènes liés au changement climatique tels l’augmentation des températures moyennes, des épisodes de sécheresse et canicules, des turbulences liées au vent ou encore des précipitations orageuses, peuvent avoir des effets négatifs pour les cultures.
Des températures moyennes plus élevées accélèrent la maturation des raisins, ce qui entraîne une baisse de l’acidité et une augmentation des sucres dans le fruit. Ceci élève le taux d’alcool du vin et modifie d’autres composés du raisin qui affectent l’arôme et la saveur. « Les vins deviennent plus corsés, plus alcoolisés et plus mûrs », déclarait un viticulteur italien à Bloomberg fin 2019. Une transformation qui pose un réel problème aux viticulteurs qui veulent commercialiser des vins particuliers aux caractéristiques établies.
Avec le réchauffement climatique, cela devient de plus en plus difficile, et les meilleures régions de culture pour de nombreux types de raisins se déplacent vers le nord, vers le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède, dans le cas de l’Europe, et vers le nord-ouest du Pacifique à partir de la Californie aux États-Unis.
Vitiforesterie
Dans le midi de la France, l’arrivée des raisins à maturation se fait aujourd’hui deux à trois semaines plus tôt qu’il y a 50 ans. Certains viticulteurs ont trouvé une parade : ils s’adaptent en empêchant leurs variétés traditionnelles de mûrir trop tôt, simplement en plantant des arbres.
C‘est le cas de la ferme expérimentale de Restinclières près de Montpellier : des arbres sont cultivés en combinaison avec la vigne. Ce système d’agroforesterie mis en œuvre avec l’INRAE augmente les niveaux de refroidissement et d’humidité tout en séquestrant le carbone atmosphérique.
Les vignes de Syrah et de Grenache plantées en alternance avec des rangées d’arbres disposés à des distances précises sont minutieusement étudiées pour comprendre si la maturation peut être retardée par les effets d’ombrage, de brise-vent et d’évapotranspiration des arbres.
La présence d’arbres va en effet modifier les différents flux d’énergie et avoir une influence sur le comportement de la vigne. L’implantation de rangées d’arbres au milieu de la vigne va modifier la quantité de rayonnement disponible (solaire et infrarouge) et d’énergie turbulente.
Le couplage des flux radiatifs et turbulents contrôle la température et l’humidité de l’air qui dépendent de la manière dont le système dissipe cette énergie. Cette énergie se partage entre flux de chaleur sensible (qui chauffe l’atmosphère), flux de chaleur latente (par évapotranspiration) et flux de conduction air/sol (qui réchauffe ou refroidit le sol). En modifiant les flux d’énergie, le système agroforestier peut modifier le bilan hydrique de la vigne, la durée d’humectation des feuilles ou l’exposition des grappes
Bonne récolte
En tant que fondateur et coordinateur du Programme Intégré de Recherche en Agroforesterie à Restinclières dans l’Hérault (PIRAT), Christian Dupraz, chercheur principal à l’INRAE, a personnellement planté les vignes ici en 1996 et coordonne encore aujourd’hui la recherche sur le terrain. « La récolte de 2019 a été très bonne, de grande qualité » se réjouit-il. D’autant que la région a connu une vague de chaleur fin juin 2019 qui a atteint 44° Celsius à l’ombre, provoquant des dégâts dans de nombreux vignobles de la région (les feuilles et les raisins ont été « brûlés ») — mais pas à Restinclières, probablement en raison de la présence des arbres.
Si c’est le résultat des arbres, dit Christian Dupraz, « Ce serait une excellente incitation à l’agroforesterie de la vigne … et il y a trois ans, nous avons eu un gel tardif et parmi les arbres, nous n’avons eu aucun dommage dû au gel ». À propos de ce dernier événement, il faut préciser que les vignobles conventionnels situées dans la région avaient entièrement perdu leurs récoltes ; tout laisse à penser que si Restinclières n’avait pas été touché, c’était peut-être parce que les arbres avaient créé un microclimat d’air légèrement plus chaud à partir du rayonnement infrarouge de la voûte des arbres.
Au-delà de la protection contre les événements climatiques extrêmes, le rôle principal des arbres est surtout de retarder la maturation des raisins. Christian Dupraz confirme que leurs saisons ont en effet été suffisamment prolongées pour bénéficier des nuits plus fraîches de septembre, évitant ainsi la maturation d’août que connaissent la plupart des vignobles de la région, et fournir ainsi un produit de meilleure qualité.
Le chercheur de l’INRAE réfute une critique que l’on fait parfois à la plantation des arbres dans les vignes. L’ombre des arbres n’entraîne, observe-t-il, qu’une toute petite baisse du rendement des vignes : « les vignes les plus proches des arbres du côté nord ont un rendement légèrement inférieur, mais pas beaucoup ».
Il note toutefois des différences selon les espèces d’arbres plantés. Deux sortes de pins (Pinus pinea et Pinus brutia) ainsi que deux sortes de cyprès (Cupressocyparis leylandii et Cupressus sempervirens), un poirier (Pyrus communis) et un arbre de rapport (Sorbus domestica) étaient à l’essai parmi les vignes.
Pour une raison non éclaircie complètement, il a été démontré que P. brutia endommage les vignes, peut-être par le biais de produits chimiques allélopathiques, c’est-à-dire produits par la plante elle-même, mais P. pinea s’est avéré bénéfique. En fait, ce dernier pin et d’autres arbres offrent également un habitat aux insectes bénéfiques se nourrissant des acariens qui endommagent les vignes avoisinantes, ce qui suggère un autre avantage à l’incorporation d’arbres dans les vignes.
Le chercheur note également d’autres avantages, comme une moindre incidence du mildiou dans les vignes cultivées en allées, ainsi que des niveaux plus élevés d’acidité et de tanin dans les raisins, ce qui est très positif pour la qualité du vin produit. Enfin, si les viticulteurs pouvaient vendre des crédits carbone pour l’incorporation d’arbres dans leurs exploitations, cela pourrait également augmenter la résilience économique des vignobles, ajoute-t-il.
Changer les méthodes de productions viticoles va vite devenir une urgence. En effet, des chercheurs américains et français de l’Institut national de recherche en agriculture, alimentation et environnement (Inrae) ont établi dans une étude récente que plus de la moitié des régions viticoles actuelles pourraient disparaître avec un réchauffement climatique de 2 degrés, objectif de l’accord de Paris, et jusqu’à 85% avec un réchauffement de 4 degrés.
Sans surprise, les régions au climat déjà plus chaud subiraient les plus grandes pertes, les pays méditerranéens comme l’Italie ou l’Espagne perdant environ 65% de leur vignoble.
Source : Mongabay