Il est un pays où la fin des temps a déjà sonné
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Il est un pays où la fin des temps a déjà sonné

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L’aube commençait à peine à poindre sur le village de montagne, quand un fracas soudain a rompu la quiétude du matin. Depuis le glacier en surplomb, un torrent d’eau limoneuse a dévalé les pentes, puis un épais nuage de poussière a tapissé les lieux. « C’était comme la fin des temps. »

En mai 2022, un torrent d’eau limoneuse a déboulé sur le village d’Hassanabad, dans le nord du Pakistan. Des maisons et deux micro-centrales hydro-électriques ont été emportées, ainsi que le pont qui reliait ce village isolé au reste du pays. Ce jour de canicule où les flots ont déboulé dans son village d’Hassanabad, dans le nord du Pakistan, Javed Rahi, un professeur de mathématiques à la retraite, devait assister au mariage d’un neveu. « Je m’attendais à ce que les femmes et les enfants chantent et dansent (…) A la place, je les ai entendus hurler de peur », raconte le presque septuagénaire. « C’était comme la fin des temps. »

Pakistan, le pays aux 7 000 glaciers

Le Pakistan dispose de plus de 7.000 glaciers, soit plus qu’aucun autre pays sur terre en dehors des régions polaires. Mais avec le réchauffement climatique, ceux-ci fondent rapidement, créant des milliers de lacs glaciaires. Trente-trois de ces lacs, formés dans les chaînes de l’Himalaya, de l’Hindu Kush ou du Karakoram, risquent fortement de déborder et de déverser en aval des millions de mètres cubes d’eau et de débris, selon les autorités.

Le Pakistan dispose de plus de 7.000 glaciers, soit plus qu’aucun autre pays sur terre en dehors des terres polaires. Mais avec le réchauffement climatique, ceux-ci fondent rapidement, créant des milliers de lacs glaciaires. Au moins 16 cas de vidange brutale d’un lac glaciaire (Glof, selon l’acronyme anglais), causés par la hausse des températures, ont déjà été recensés cette année, contre cinq ou six l’an passé, a indiqué cette semaine le gouvernement. Les dégâts sont généralement tellement importants qu’il est difficile pour les communautés locales de se remettre de telles catastrophes.

A Hassanabad, M. Rahi et les autres habitants ayant perdu leur maison ont été déplacés dans un camp à proximité du village. Sous leurs tentes de fortune, traînent les rares biens qu’ils ont pu sauver et des matelas pour dormir. « Nous n’avions jamais pensé que nous passerions de riches à loqueteux », soupire M. Rahi.

Tout est menacé par le changement climatique

Le Pakistan est particulièrement vulnérable au dérèglement climatique. Il figure en 8e position des pays les plus menacés par les phénomènes météorologiques extrêmes, selon une étude de l’ONG Germanwatch. Le pays est confronté à des périodes de chaleur de plus en plus fréquentes, anticipées et étouffantes. Cette année, les températures ont par endroits dépassé les 50°C.

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Les inondations et les sécheresses ont tué et déplacé des milliers de personnes ces dernières années, endommageant les infrastructures et détruisant les moyens de subsistance. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le manque d’information sur les changements que connaissent les régions glaciaires au Pakistan empêche de prédire avec précision là où une catastrophe pourrait survenir.

Même si Hassanabad disposait d’un système d’alerte, avec des caméras pour surveiller le niveau des lacs glaciaires, les habitants étaient persuadés de vivre suffisamment en altitude pour être à l’abri, selon des responsables locaux. Zahida Sher, qui a aussi perdu sa maison ce jour-là, explique que la force des flots a emporté des constructions jugées jusque-là très solides. Les communautés montagnardes dépendent du bétail, des vergers, des fermes et du tourisme pour survivre. Mais tout est menacé par le changement climatique. « Notre économie est agraire et les gens n’ont pas suffisamment de ressources pour partir d’ici », souligne Mme Sher, chercheuse pour une ONG locale de développement.

Selon Siddique Ullah Baig, un expert en gestion des risques naturels, environ sept millions de personnes sont sous la menace de Glofs dans le nord du Pakistan. Mais la plupart n’ont pas conscience de la menace. « Les gens continuent à construire des maisons dans des endroits en zone inondables. Ils ne sont pas informés et préparés pour affronter une catastrophe naturelle », dit-il à l’AFP. Un peu au nord d’Hassanabad est situé le hameau de Passu, qui a perdu près de 70% de ses habitants et de son étendue après avoir été frappé par des crues soudaines et en raison de l’érosion naturelle de la rivière. Le village est coincé entre deux glaciers, au nord et au sud, et la rivière Hunza à l’est. Ces trois éléments naturels sont appelés « dragons » par les habitants, pour leur pouvoir de destruction. « En 2040, nous pourrions commencer à être confrontés à des problèmes de pénurie (d’eau). Le village de Passu repose dans les bouches de ces trois dragons », observe Ali Qurban Mughani, un lettré local, en pointant du doigt la masse glaciaire le surplombant.

Pendant qu’il parle, des ouvriers construisent un mur en béton sur l’une des rives proches, pour tenter de protéger le village de l’érosion. Kamran Iqbal avait investi 500.000 roupies (2.350 euros), une somme empruntée à une ONG locale, pour ouvrir une aire de pique-nique pour les touristes, dans un lieu qui bénéficie d’une vue à couper le souffle. La beauté des glaciers a fait de cette région l’une des plus touristiques du pays. Son affaire tournait bien, jusqu’à cette « nuit d’horreur » l’an passé, quand une crue a tout emporté.

Même si les objectifs internationaux les plus ambitieux consistant à limiter à 1,5° la hausse des températures liée au réchauffement climatique d’ici la fin du siècle sont respectés, près d’un tiers des glaciers pakistanais pourraient avoir fondu d’ici là, avait indiqué l’organisation International Centre for Integrated Mountain Development (Icimod), basée au Népal, dans une étude parue en 2019.

« En 2040, nous pourrions commencer à être confrontés à des problèmes de pénurie (d’eau), qui pourraient mener à la sècheresse et à la désertification. Et avant cela, nous pourrions devoir faire face à d’intenses et fréquentes inondations le long des rivières, et bien sûr à des crues soudaines », estime Aisha Khan, la cheffe de l’Organisation pakistanaise de protection des montagnes et glaciers.

Le Pakistan, qui abrite une population de 220 millions d’habitants, dit n’être responsable que de moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Malgré cela, il est particulièrement menacé par le dérèglement climatique, car très dépendant de son agriculture et de ses ressources naturelles, des secteurs très sensibles aux modifications du climat. « Nous n’avons pas d’usines ou d’industries ici qui puissent causer de la pollution (…) Notre environnement est propre », déclare Amanullah Khan 60 ans, un des aînés du village d’Hassanabad. « Mais pour ce qui est de la menace posée par le changement climatique, nous sommes en première ligne », souligne-t-il.

Asif Sakhi, un militant politique local, remarque que les habitants de la région craignent de plus en plus la menace posée par les glaciers, et regrette : « Cette zone appartient aux glaciers ; nous l’avons occupée ».

AFP

Image d’en-tête : Photo aérienne, prise le 10 juin 2022, du glacier de Passu, près du village de Passu, dans la région pakistanaise du Gilgit-Baltistan. Photo Abdul Majeed/AFP

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