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voiture autonome

La voiture sans chauffeur, bientôt une réalité

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Le véhicule autonome va radicalement transformer nos habitudes de mobilité, avec des conséquences sur l’architecture urbaine, sur la responsabilité et sur l’image sociale de la voiture. Aujourd’hui déjà, l’intelligence artificielle et le traitement numérique de l’information permettent à la voiture de prendre en charge plusieurs aspects de la conduite. Les avancées en matière d’automatisation du véhicule peuvent être vues comme une manifestation de la transition numérique. Dans une note d’analyse publiée le 18 avril, France Stratégie souligne que l’arrivée de nouveaux acteurs dans la filière automobile, une structuration de la chaîne de valeur autour de plateformes et une place croissante des services par rapport à la possession d’un véhicule sont à prévoir.
 
Le véhicule autonome semble engagé sur une voie rapide. Depuis des années déjà, les dispositifs d’aide à la conduite préparaient le terrain. Aujourd’hui, la mise au point d’un véhicule entièrement autonome — soit un robot doté de capacités d’analyse et de pilotage sans intervention humaine — devient une perspective crédible à moyen terme.
 
Souvent abordé sous l’angle strictement technologique, le véhicule autonome doit aussi se lire comme une manifestation de la transition numérique à l’œuvre dans les transports. On retrouve ici les mêmes facteurs qui ont contribué hier à transformer la téléphonie mobile ou les médias : les effets de réseau jouent à plein, la quête du système d’exploitation fait figure d’enjeu central, des usages innovants laissent présager de nouveaux modèles économiques. Des effets analogues à ceux apparus dans d’autres secteurs sous l’irruption du numérique sont aussi à prévoir, comme l’arrivée de nouveaux acteurs dans la filière automobile, la restructuration de la chaîne de valeur autour de plateformes ou la place croissante que tiendront les services par rapport à la possession d’un véhicule.

Déploiement du véhicule autonome (en pourcentage du parc automobile)
 
La vitesse de déploiement du véhicule autonome n’en demeure pas moins incertaine : elle dépend non seulement de la date de mise au point technique, mais aussi de la pénétration des usages et du renouvellement du parc automobile existant. À titre illustratif, cette note décrit un scénario tendanciel,
dans lequel le déploiement est très progressif à partir de 2040 ; et un scénario de rupture où, dès 2020, des véhicules qui ne sont pas encore autonomes mais peuvent le devenir par simple mise à jour logicielle accélèrent la période d’apprentissage et entraînent un déploiement rapide à partir de 2025. 

 
Symbole de l’économie du XXe siècle, socle de la production de masse, l’automobile a transformé la société en rendant chacun maître de ses déplacements, en désenclavant le monde rural et en remodelant les métropoles comme l’imaginaire social. À la fin des années 1990, un tournant s’est amorcé avec l’intégration de l’électronique et de l’informatique (1) : les véhicules ont progressivement acquis de multiples fonctionnalités d’aide à la conduite, tels le freinage assisté, le régulateur de vitesse ou l’aide au stationnement.
Les avancées récentes en matière d’autonomisation du véhicule font entrer le secteur dans une nouvelle phase, celle de la transition numérique. En témoigne l’intérêt porté au secteur par les géants Google ou Apple. Les constructeurs automobiles traditionnels voient se dessiner les prémices d’une mutation similaire à celle qu’ont connue il y a peu des secteurs comme la téléphonie, les médias, la photographie ou la musique.
 
Le véhicule autonome suscite des attentes mais aussi des interrogations quant à ses effets. Outre la transformation d’une filière, les enjeux ne sont pas anodins : la fin de la conduite humaine pourrait entraîner une diminution drastique des accidents de la route, une réduction des émissions de gaz à effet de serre et une amélioration du confort des trajets.
 
Trois questions sont examinées dans la note de France Stratégie. Les grands facteurs d’évolution repérés dans l’économie numérique s’appliquent-ils au véhicule autonome ? Quelles sont les implications de cette innovation pour l’organisation du secteur mais aussi plus largement pour la société ? Enfin, quels sont les chemins possibles de transition vers le véhicule autonome ?
 
La voiture sans chauffeur de Mercedes, la  « f 015 »

La voiture, nouvel objet numérique

On identifie généralement dans l’économie numérique trois dimensions structurantes : la force des effets de réseau, le besoin de technologies fédératrices et l’apparition d’usages innovants. Ces facteurs seront-ils aussi décisifs pour l’essor du véhicule autonome ?

 
Le véhicule autonome exploite fortement les effets de réseau
 
Ces dernières décennies ont été pour le véhicule une période d’intégration continuelle des technologies de communication embarquée. Il s’est agi à la fois d’améliorer les composantes clés de la conduite — direction, freinage ou éclairage — et d’optimiser la maintenance des systèmes internes.
Le véhicule devenu autonome communiquera avec l’environnement par le biais de l’infrastructure routière, mais aussi avec les usagers et les autres véhicules : en s’intensifiant, les échanges de données feront apparaître ce qu’on appelle en théorie économique des effets de réseau. Trois
domaines principaux sont concernés :
 
– la connaissance de l’environnement : une cartographie dynamique sera essentielle pour actualiser en temps réel l’information sur les itinéraires. L’application Waze utilise d’ores et déjà les retours des conducteurs pour signaler les accidents, et la géolocalisation des téléphones portables pour évaluer les conditions de circulation.
Demain, les véhicules feront remonter eux-mêmes l’information issue des capteurs. Se constituera alors une cartographie en quatre dimensions, avec à la fois les trois dimensions de l’espace (la route elle-même, sa forme, son environnement immédiat, les bâtiments, etc.) et l’évolution dans le temps (position des autres véhicules, conditions de circulation ou météorologiques, etc.). Pour assurer la collecte de ces informations, Google et Apple ont ainsi annoncé le lancement de leur système d’exploitation pour les véhicules en 2014, tandis que Mercedes, BMW et Audi ont racheté à Nokia la cartographie Here en octobre 2015 ;
– l’apprentissage automatique de la conduite : les informations recueillies en conduite manuelle viennent nourrir les algorithmes de conduite automatique, favorisant ainsi l’apprentissage approfondi des logiciels (deep learning).
Certains constructeurs cherchent déjà à récupérer ces jeux de données : le constructeur de voitures électriques Tesla Motors a par exemple décidé d’équiper ses véhicules d’une fonction Autopilot, qui fait l’objet de mises à jour régulières (2) ;
– la communication directe entre véhicules, notamment pour la gestion de la sécurité. Cette optimisation des interactions suppose des formats d’échange communs entre constructeurs. La normalisation est un enjeu clé pour l’essor du véhicule autonome.

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Dans ces trois domaines, les avancées ne tiennent pas tant au déploiement d’une flotte de véhicules réellement autonomes qu’à la diffusion de véhicules dotés de « capacités d’autonomisation », c’est-à-dire possédant les capteurs, les systèmes de traitement et les outils de communication nécessaires, même si l’autonomie proprement dite n’est pas activée. En outre, la mise en réseau visée n’a pas que des effets positifs, puisqu’elle met les véhicules à la merci d’attaques informatiques. Elle permet toutefois des corrections rapides, comme l’a montré Tesla Motors en corrigeant à distance les vulnérabilités apparues sur son Model S (3). Un haut niveau de cybersécurité n’en demeure pas moins une condition nécessaire au déploiement effectif de la conduite autonome (4).
 
Innovation technologique : une robotisation complexe
 
Un véhicule autonome doit remplir trois fonctions qui sont traditionnellement du ressort du conducteur : recueillir des informations sur l’environnement, décider de la manœuvre appropriée et exécuter cette manœuvre. On reconnaît là les trois capacités que doit posséder un robot : « sentir, planifier et agir » (5). Sentir implique une grande variété de capteurs, allant des lidars (6), radars et caméras jusqu’aux technologies de géolocalisation GPS et INS7. Planifier
suppose le traitement des données et des algorithmes capables d’en déduire les actions adéquates, sur la base des situations d’apprentissage, le tout exécuté par des calculateurs embarqués dont la puissance devra garantir un délai de réponse acceptable. Agir se fait par l’intermédiaire des actionneurs qui assistent aujourd’hui le conducteur (direction, freinage) et qui demain le remplaceront.
 
Le véhicule autonome devra donc gérer une complexité technique nouvelle. C’est une des principales contraintes aujourd’hui, car elle implique un rapprochement très fin entre le matériel et le logiciel, avec une nouvelle interface unificatrice. Or depuis l’apparition de l’informatique, cette difficulté a toujours été résolue par la création de systèmes d’exploitation, chargés d’assurer la liaison entre les ressources matérielles, l’utilisateur et les applications (8). Il n’est donc pas étonnant que de nombreux constructeurs automobiles aient déjà noué des partenariats avec Google ou Apple pour concevoir un système d’exploitation permettant à la fois de conduire le véhicule en mode autonome et de bénéficier en prime des nombreuses fonctionnalités offertes par ces entreprises et leurs partenaires (applications professionnelles et récréatives). 
 
Une rupture dans l’usage et le modèle économique ?
 
Dans de nombreux domaines — musique, vidéo, presse —, le numérique a conduit les utilisateurs à abandonner la possession matérielle pour le simple usage du service. Un même mouvement est à l’œuvre dans le secteur des mobilités, où  se multiplient les services d’autopartage, de voitures de
tourisme avec chauffeur ou de covoiturage. Alors qu’il a augmenté régulièrement de 1980 jusqu’en 2011, passant de 70,8 % à 83,5 %, le taux de ménages motorisés en France s’est infléchi et décroît depuis lors pour se situer à 82,8 % en 2014.
Pour le véhicule autonome, au-delà du fait qu’il devra cohabiter avec la voiture traditionnelle le temps de la transition, deux scénarios sont envisageables. D’une part, un modèle fondé sur l’usage partagé et les services, où le véhicule devient purement utilitaire : la banalisation du matériel permet d’optimiser les coûts et de créer des flottes de véhicules qui s’apparentent à des taxis automatisés, voire aux transports en commun en cas de mutualisation
des trajets (9). D’autre part, un prolongement du modèle automobile actuel, donc fondé sur la possession, mais intégrant de multiples services de confort, de divertissement ou d’ordre professionnel, pour combler la disparition de la conduite. Difficile de dire quel scénario prévaudra : les coûts additionnels des équipements nécessaires à l’autonomisation du véhicule, qui paraissent prohibitifs aujourd’hui, devraient cependant diminuer fortement avec leur industrialisation et s’amortir sur davantage d’utilisateurs si l’usage partagé se généralise. 
 
La Model S de Tesla 
Le constructeur californien Tesla Motors a lancé en juin 2012 sa Model S. Ce véhicule haut de gamme électrique se caractérise par sa technologie avec des systèmes intégrés utilisant des données issues de quatre modules différents : une caméra, un radar, des capteurs à ultrason et un GPS.
Ces systèmes complémentaires produisent des données en temps réel sur la flotte Tesla, en vue d’en améliorer le fonctionnement au fil du temps. La Model S est équipée du pilotage automatique qui permet de maintenir le cap sur une voie, de changer de voie en activant simplement un clignotant et de moduler la vitesse grâce au régulateur de vitesse dynamique. Le contrôle numérique du moteur, des freins et du volant contribue à éviter les collisions frontales et latérales, tout en empêchant les sorties de route. Tesla poursuit l’amélioration des fonctionnalités de son logiciel et les propose via des mises à jour à distance. La Model S est commercialisée à partir de 71 760 euros hors bonus.

Model S de Tesla
 
Le véhicule autonome, notamment en flotte partagée, sera vraisemblablement à l’origine de nouveaux modèles économiques, portés par de nouvelles entreprises. Les entreprises installées ont souvent du mal en effet à s’approprier une technologie de rupture, leur expertise acquise devenant même un obstacle (10).
Pour les activités recourant à des conducteurs salariés, le véhicule autonome est un moyen de réduire les coûts de production, notamment dans le cas du camion autonome ou du transport de passagers (11). Pour les activités de production et de conception, il peut provoquer un glissement de la valeur du matériel vers le logiciel, donc vers le service. Pour les acteurs du numérique enfin, il offre une occasion de se diversifier, de capter des informations valorisables et de proposer de nouvelles formes de monétisation. Facebook offre ainsi l’accès à une réservation d’un service Uber par le biais d’une interface de programmation (API).
Les possibilités d’évolution des modèles d’affaires sont vastes : elles peuvent aller jusqu’aux modèles numériques de « gratuité », avec des projets comme Free Car Projectoù le coût du véhicule est couvert par des enseignes et par les fournisseurs de services partenaires. Des mouvements coopératifs nouveaux pourraient se diffuser bien plus largement avec des véhicules autonomes à l’usage plus « serviciel ». 

Une innovation aux multiples implications

Effets de concentration et plateformes : le « winner takes all » sera-t-il la règle ?
 
Dans les secteurs transformés par le numérique, les effets de réseau tendent à concentrer la valeur autour de quelques entreprises à très forte croissance, qui modifient profondément les chaînes de valeur, avec des « plateformes » comme nouveaux modes d’intermédiation entre acteurs. On voit poindre ce même schéma dans les partenariats noués entre assureurs automobiles, constructeurs et sociétés du logiciel pour définir le modèle d’affaires du véhicule autonome.
Mais ces plateformes d’intermédiation porteront-elles sur l’offre d’un service de mobilité, sur la gestion de flottes, sur un système d’exploitation commun ou sur des modèles fondés sur la gratuité du véhicule et la monétisation des déplacements ? Différentes options restent envisageables.
Leur force viendra de leur capacité à capter des données au plus près des utilisateurs. D’où la nécessité de penser dès maintenant cet accès aux données et leur contrôle.
 
Ces changements structurels expliquent qu’une course à l’innovation intense soit engagée autour du véhicule autonome. Les effets de réseau obligent à mener des stratégies d’expansion très agressives, pour gagner en pouvoir de marché, selon la logique du « winner takes all » (« le gagnant rafle tout »). L’année 2014 a vu les signes avant coureurs d’une telle lutte, puisque tous les grands constructeurs mondiaux ont annoncé travailler sur un projet de
véhicule autonome, ainsi que plusieurs grandes entreprises du numérique impliquées dans la mobilité, comme Google, Tesla, Uber et Apple.
Cette course de front représente un changement important pour l’industrie automobile, plus habituée à ce qu’un premier constructeur supporte les coûts de développement et de lancement d’une innovation forte, qui n’est reprise ensuite par la concurrence qu’une fois adoptée massivement. Le défi industriel est donc le suivant pour le véhicule autonome : le développeur d’une innovation centrale, par exemple un système d’exploitation, sera-t-il demain le leader mondial de l’automobile ? Ou bien ne bénéficiera-t-il finalement que très peu de sa technologie, une fois copié par les autres acteurs ? Pourra-t-il se rémunérer grâce aux services annexes ?
 
Restructuration de la chaîne de valeur : quelle organisation entre acteurs ?
 
Un des éléments qui pourrait le plus contribuer à réorganiser en profondeur la chaîne de valeur est la cartographie. C’est une clé à la fois pour le développement du véhicule autonome et pour l’émergence de nouveaux services (12). L’objectif est de cartographier l’ensemble des parcours et des obstacles — notamment dans l’espace urbain — mais aussi d’intégrer les mises à jour nécessaires à la circulation des véhicules autonomes.
Des questions de protection des données personnelles se font jour cependant, dès lors que les véhicules vont scanner en permanence leur environnement et actualiser une carte partagée. Une fracture territoriale pourrait aussi apparaître : les territoires les plus attractifs disposeront des données, des infrastructures et des moyens nécessaires pour modéliser leur espace en 4D, quand les moins attractifs devront se contenter d’une représentation spatiale statique (13).
Le partage de la valeur entre constructeurs automobiles, concepteurs de logiciels, opérateurs de transport, créateurs de services et possesseurs de véhicules autonomes va se trouver remis à plat. L’arrivée des concepteurs de systèmes d’exploitation, de nouveaux services urbains ou interurbains, tel Uber, et des opérateurs potentiels de flottes de véhicules autonomes, de type Autolib’, pourrait avoir des conséquences lourdes pour les constructeurs automobiles : si on en juge par les rapprochements opérés par certains grands acteurs du logiciel sur des projets de véhicules autonomes, il s’agit pour l’heure moins d’une menace directe que de partenariats.
Pour mémoire, en 2014, l’industrie automobile — constructeurs, équipementiers, carrosserie — représentait en France 226 000 emplois directs, portés à 2,3 millions avec les emplois induits, soit 9 % de la population active (14).
 
Les projets français 
 
Le prototype Drive4U de Valeo et Safran
Après un partenariat signé en septembre 2013, les deux équipementiers Safran et Valeo ont présenté fin mars 2015 un véhicule expérimental autonome, la Drive4U, sur l’esplanade des Invalides à Paris. Il s’agit d’une voiture classique (Volkswagen Passat) mais équipée de systèmes de vision à 360 degrés et d’une centrale inertielle pour se guider, respecter la signalisation et éviter les obstacles, sans aucune intervention humaine. La démonstration s’est déroulée dans un environnement de feux rouges, de véhicules à l’arrêt et en mouvement (maximum 20 km/h).
La centrale inertielle a sur le GPS l’avantage de n’utiliser aucune information extérieure : elle n’est donc pas affectée par les passages souterrains, les systèmes de brouillage, et surtout, elle résiste mieux au piratage. Le Drive4U fait suite au Cruise4U présenté en janvier 2014 par Valeo, mais qui ne disposait pas de caméras périphériques ni de centrale inertielle.
 
Le prototype Citroën C4 de PSA
Début octobre 2015, une voiture autonome du groupe PSA a effectué le trajet de Paris à Bordeaux (580 km) en mode automatique, mais avec un conducteur prêt à reprendre le volant en cas de besoin. Grâce à un système complexe de radars, elle peut s’insérer dans une file, doubler, adapter sa trajectoire en fonction de la circulation, accélérer… Fin novembre, la Citroën C4 a rejoint les centres de production de Vigo et Madrid, soit un périple d’environ 600 km sur autoroute. Le groupe PSA a obtenu une autorisation pour faire rouler ses véhicules à titre expérimental sur 2 000 km de routes « ouvertes » en France.
 
Prototype C4 de PSA
 
La lutte devrait néanmoins s’accentuer lorsque le véhicule autonome verra le jour. La voiture devient en effet une composante parmi d’autres d’un service de mobilité et une nouvelle source de collecte de données, d’où le surnom de « smartphone à roues » que lui donne parfois la Silicon Valley. Pour faire face aux modèles économiques développés par les nouveaux entrants qui se rémunèrent en assurant l’intermédiation entre producteurs et consommateurs, les opérateurs historiques de transport en France cherchent à conserver un lien direct avec les clients en devenant eux-mêmes gestionnaires de plateformes collaboratives, afin d’offrir un service de porte-à-porte (la SNCF développant par exemple son propre site de location de voitures entre particuliers, OuiCar).
 
Un enjeu de société
 
Quelle sera l’utilité sociale d’un déploiement massif du véhicule sans chauffeur ? Du point de vue de l’individu, l’autonomisation devrait se traduire par un accès plus grand à la mobilité pour les personnes sans permis de conduire ou à mobilité réduite, telles les personnes âgées, handicapées ou vulnérables. Le véhicule autonome permet une offre de mobilité personnalisée et une desserte des territoires non couverts par les transports publics (zones périurbaines et rurales, dessertes de nuit ou en heures creuses).
En outre, il restitue à l’usager, à des fins professionnelles ou de loisir, le temps aujourd’hui consacré à la conduite. Du point de vue de la collectivité, le véhicule autonome peut signifier une baisse des externalités négatives tels la pollution, les embouteillages et les accidents routiers. De nouvelles formes d’insécurité apparaîtront toutefois : conflits de véhicules autonomes entre eux ou avec des voitures traditionnelles, cohabitation à risque avec les piétons et les cyclistes, défaillances liées aux changements de mode de conduite, cyberdéfaillance, cybermalveillance, etc. L’accidentologie qui en résultera est inconnue, mais pour répondre aux attentes sociales son niveau devra être significativement plus faible que celui observé aujourd’hui (15).
Les opérateurs de transport, quant à eux, optimiseront leurs coûts de desserte grâce à la souplesse des services, calibrés en fonction des flux (16). En matière d’emploi, des réallocations sectorielles pourront se produire, la disparition progressive du métier de chauffeur se trouvant partiellement compensée par une demande forte dans la gestion des systèmes de contrôle accompagnant le véhicule autonome.
 
L’autonomisation de la conduite pose néanmoins la question de l’acceptabilité sociale et individuelle de véhicules circulant selon un mode non conventionnel, où la conduite est déléguée à la machine. Cela implique un changement de comportement des individus, notamment un nouveau rapport de confiance noué avec la machine. Se poseront également des questions de transparence et de certification : comment l’algorithme de conduite agira-t-il dans une situation d’urgence (renverser un piéton ou verser dans le fossé) ? Comment l’organisme certificateur ou le juge pourront-ils analyser ce choix « caché » dans les millions de lignes de programmation ? Ces questions mériteront un travail tout particulier de la part des pouvoirs publics, pour définir le partage des responsabilités entre conducteur, mécanique et algorithme. Gagner la confiance des utilisateurs impliquera de fait une clarification des responsabilités.
Les pouvoirs publics pourront par exemple demander l’installation de « boîtes noires » à bord des véhicules autonomes, et définir les conditions d’accès au code source, nécessaire pour mener les expertises.
 

LIRE AUSSI DANS UP’ : Intelligence artificielle : quelle responsabilité en cas d’accident ?

Les chemins de transition

Les expérimentations ont commencé
 
L’adaptation des infrastructures routières peut certes contribuer à l’essor du véhicule autonome (17) mais pour des raisons tant économiques qu’écologiques, priorité doit être donnée aux véhicules capables de s’insérer à moindre coût dans l’environnement existant. Des expérimentations sont
en cours, qui s’efforcent de concilier innovation et sécurité. En France, outre les navettes autonomes Navya et Citymobil 2, des tests ciblés ont eu lieu (Drive4U de Valeo et Safran, Citroën C4 de PSA) mais aussi un tour de France de 4 000 km effectué par le prototype Cruise4U de Valeo fin 2015.
 
Navette Navya
 
Les États-Unis mènent des expérimentations depuis déjà six ans avec la Google Car. Quatre États — le Nevada, la Californie, la Floride et le Michigan — autorisent la circulation des véhicules autonomes, sous réserve qu’un conducteur puisse reprendre le volant.
Au-delà des expérimentations, la conduite autonome se heurte dans de nombreux pays à des contraintes règlementaires (18). Faisant suite à la convention de Genève de 1949, la convention de Vienne sur la circulation routière de 1968, signée par la France, stipule notamment que « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule et éviter toute activité autre que la conduite » (19). Un amendement entré en vigueur le 23 mars 2016 régularise les systèmes d’aide à la conduite, quand ils sont de sécurité et non de confort, tels l’ABS, l’alerte de changement de trajectoire ou le limiteur de vitesse. Dans les pays signataires, la convention de Vienne n’en devra pas moins être adaptée en préalable à tout déploiement à grande échelle
du véhicule autonome.
 
LES NAVETTES AUTOMATISÉES
La technologie des navettes automatisées est quasiment mûre, car c’est le segment où le cahier des charges technique est le moins contraignant : faible vitesse d’exploitation en urbain, circuits réguliers et prédocumentés, opportunités en sites semi-ouverts, etc. Des navettes circulent déjà en Australie. En février 2016, la mairie de Paris a annoncé qu’elle projetait de relier les gares de la capitale en minibus électriques sans chauffeur d’ici à 2020.
 
Minibus Navia d’Induct Technology
La start-up française Induct Technology a créé en 2009 un minibus électrique sans chauffeur de huit places, le Navia. Destiné au transport de personnes dans des univers fermés avec des parcours préprogrammés (université, parc d’attractions, hôpital, aéroport, zone piétonne, etc.), il circule à la vitesse moyenne de 20 km/h. Les capteurs balaient le paysage à 360°, 25 fois par seconde, pour détecter tout obstacle et adapter la vitesse, jusqu’à l’arrêt du véhicule si besoin. Primé en 2014 au Consumer Electronic Show de Las Vegas, le Navia a obtenu l’autorisation de circuler en France à titre expérimental, sous réserve d’accord du maire. Son coût de 250 000 dollars pourrait selon le constructeur être réduit de moitié en cas de production à grande échelle. Son prix d’usage reste inférieur de 40 % à celui d’une navette à moteur thermique avec chauffeur. En 2014, la société Navya a repris les activités d’Induct Technology.
 
Minibus Citymobil 2 à La Rochelle
Dans le cadre du projet européen Citymobil 2, La Rochelle a testé de mi-décembre 2014 à fin avril 2015 des minibus électriques pouvant transporter jusqu’à dix personnes. L’expérience a été menée sur une ligne de 1,6 kilomètre, à une vitesse de 8 à 15 km/h. Conçus par le constructeur français Robosoft pour un coût unitaire de 200 000 euros, ces minibus sont équipés d’un GPS et d‘un faisceau laser balayant sur 30 mètres devant et sur les côtés. La ville a bénéficié d’une dérogation spécifique, conditionnée à la présence d’un opérateur dans le minibus. Citymobil 2 a été testé à Lausanne en Suisse en 2015, puis à Sophia Antipolis jusqu’à fin mars 2016, et pourrait l’être bientôt dans d’autres pays.
 
La Google Car
Après des expérimentations depuis 2010, avec un prototype circulant sur des pistes privées, la Google Car est entrée depuis juin dernier dans une phase de tests sur des routes publiques à Mountain View, en Californie. Sa vitesse est limitée à 40 km/h et, par rapport au projet initial, elle est équipée d’un volant et de pédales pour respecter la réglementation californienne, qui impose la présence d’un conducteur pouvant reprendre le contrôle.
Près de trois millions de kilomètres ont ainsi été parcourus en test, avec un bilan de 14 collisions non causées par la voiture autonome et un accrochage avec un bus en février 2016. Ce premier accident causé par un véhicule autonome donne lieu à des analyses approfondies pour apporter les corrections nécessaires au logiciel de pilotage. Le coût en équipement est estimé entre 150 000 et 200 000 dollars, auquel s’ajoute le prix de la voiture.
Deux scénarios de déploiement
 
Il est difficile de prévoir à quelle échéance pourrait intervenir une commercialisation du véhicule autonome. Cette section se contente de présenter deux scénarios possibles : un scénario de rupture où le véhicule autonome se déploie rapidement grâce à la diusion d’un logiciel de pilotage (éventuellement dans certaines zones seulement) et un scénario tendanciel où le véhicule autonome se déploie au rythme du renouvellement du parc automobile. Ces scénarios illustrent l’impact qu’auront trois facteurs clés :
 
– la date à laquelle un premier véhicule effectivement autonome sera commercialisé (20). Si les avancées récentes font envisager la conduite autonome sur autoroute à horizon de quelques années, il reste un long chemin à parcourir pour que le véhicule soit complètement autonome.
Nous retenons ici les dates de 2025 dans un scénario de rupture et de 2040 dans un scénario tendanciel ;
 
– la vitesse d’adoption par la population, qu’il s’agisse de l’achat d’un véhicule autonome ou de l’activation d’une option existante, qui dépend de considérations réglementaires mais surtout de l’appétence des consommateurs. Le téléphone portable et le smartphone fournissent des exemples d’une pénétration rapide d’un bien dans la population, dès lors qu’il répond à un besoin : le taux d’équipement en téléphonie mobile en France a augmenté de près de 25 points entre 1999 et 2000. Le déploiement du véhicule autonome pourrait même être accéléré s’il ne dépend que d’une mise à jour logicielle. Nous retenons une commercialisation progressive sur 10 ans dans un scénario de rupture (la part des véhicules neufs autonomes commercialisés passant de 0 % en 2025 à 100 % en 2035) et sur 20 ans dans un scénario tendanciel (cette part passant de 0 % en 2040 à 100 % en 2060).
Ces scénarios correspondent aux valeurs haute et basse des temps de diffusion observés pour des innovations antérieures (ceinture de sécurité, ABS, stabilisateur de trajectoire ; 
 
– la vitesse de renouvellement du parc, de l’ordre de 5 % à 6 % par an aujourd’hui. Les deux scénarios présentés retiennent une durée de vie des véhicules de 18 ans et un âge moyen du parc de 9 ans (approximativement la situation actuelle). Ce facteur se révèle crucial : même dans le scénario de rupture d’un véhicule autonome prêt en 2025, un déploiement généralisé à l’ensemble du parc n’interviendrait pas avant 2050 (voir graphique ci-dessous) ; il s’étendrait jusqu’en 2070 dans le scénario tendanciel.
 
Une situation où tous les véhicules sont autonomes est certes préférable car elle maximise les bénéfices en matière de mobilitéet de sécurité (21). En pratique, une longue phase de cohabitation est inévitable, compte tenu de la durée de vie du parc existant. On peut envisager aussi l’option d’un
déploiement accéléré sur certaines zones ou itinéraires, par exemple en cas de remplacement massif de véhicules individuels par des flottes automatiques partagées (de type Autolib’ dans les centres urbains) ou de flottes de bus financées par les autorités organisatrices de transports urbains.
 
Déploiement du véhicule autonome (scénario de rupture)

 
Un phénomène pourrait également accélérer les choses. La finalisation du véhicule autonome pourrait en effet ne concerner que les logiciels, la partie matérielle étant réglée.
C’est d’ores et déjà le cas pour les actionneurs : le véhicule peut rouler, tourner et freiner seul, il ne reste qu’à perfectionner les capteurs et les technologies de communication. On peut donc imaginer que, dès 2020, certains véhicules commercialisés ne soient pas autonomes mais « autonomisables », c’est-à-dire susceptibles de devenir autonomes par une simple mise à jour du logiciel (comme le pratique déjà Tesla Motors). Se constituerait ainsi un parc de véhicules autonomisables rendant possible une diffusion accélérée dès que la technologie serait prête, à partir de 2025 dans notre scénario de rupture. Ce schéma permettrait en outre de recueillir plusieurs années de données sur la conduite non automatisée, qui viendraient alimenter les logiciels d’intelligence artificielle. Il pourrait alors en résulter un déploiement généralisé du véhicule autonome dès 2040, grâce à ces effets d’apprentissage
(voir graphique ci-dessus).
Une telle hypothèse se trouverait renforcée par l’apparition d’un modèle attractif ou d’un usage innovant. Comparable à une « killer app » dans les télécoms ou à l’arrivée de l’iPhone sur le marché du smartphone, une telle innovation se traduirait par une bascule rapide du marché après des années d’attente. Nous sommes bien dans la transformation numérique.

Conclusion

Le véhicule autonome va radicalement transformer nos habitudes de mobilité, avec des conséquences sur l’architecture urbaine, sur la responsabilité juridique, sur la logistique et sur l’image sociale de la voiture. Lancés dans une course de vitesse, les constructeurs et les grands acteurs du numérique annoncent pour un avenir proche la commercialisation des premiers véhicules autonomes. Mais les obstacles à un déploiement massif restent
nombreux : ils tiennent d’abord à la mise au point de logiciels réellement fiables, ensuite à la lenteur du remplacement du parc automobile, sans parler de la nécessaire adaptation règlementaire.
 
En attendant, la collecte et la maîtrise des données constituent d’ores et déjà un enjeu central, en particulier pour la constitution d’une cartographie de l’environnement mise à jour en permanence, essentielle à la circulation automatisée des véhicules et à leur géolocalisation en temps réel, qui pourra servir à la fourniture de nouveaux services. Il importe de définir au plus vite, au niveau européen, les règles du jeu, pour ne pas se trouver exclu du futur terrain de jeu. Il faudra concilier protection de la vie privée et efficacité de fonctionnement, et s’atteler au problème de la cybersécurité.
 
Au-delà des limites techniques, il faut s’interroger dès maintenant sur les limites sociales et éthiques de l’intelligence artificielle et de la robotisation. Car la mutation annoncée sera avant tout sociale : elle n’aura lieu que si les utilisateurs s’emparent de cette innovation. En d’autres termes, les contraintes de cybersécurité, de responsabilité ou de législation pourraient ne pas peser bien lourd face à ce dernier défi pour le véhicule autonome : convaincre le
conducteur de lâcher le volant. 

 
Lionel Janin, Mehdi Nemri et Christine Raynard
Département Développement durable et numérique France Stratégie

 

1. Institut de l’iconomie (2015), L’automobile et l’iconomie, Cahier de l’iconomie, 15 septembre.
2. McHugh M. (2014), « Tesla’s cars now drive themselves, kinda », Wired, 10 octobre
3. Zetter K. (2015), « Researchers hacked a Model S, but Tesla’s already released a dispatch », Wired, 6 août.
4. Ce domaine est notamment nancé par l’armée américaine et son agence DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), déjà à l’origine de plusieurs
 compétitions destinées à promouvoir le véhicule autonome.
5. En anglais « sense, plan, act » (SPA).
6. Light detection and ranging : télédétection à laser.
7. Inertial navigation system, en français navigation inertielle ou centrale à inertie.
8. Par exemple, la plateforme RTMaps développée par l’entreprise française Intempora vise à gérer les ux provenant en temps réel de multiples capteurs.
9. Une étude réalisée pour l’Ademe montre que le principal motif d’utilisation des services de covoiturage longue distance est économique : Ademe (2015), « Enquête
 auprès des utilisateurs du covoiturage longue distance », septembre. 
10. Abernathy W.J., Clark K.B. et Kantrow A.M. (1983), Industrial Renaissance, Basic Books, New York.
11. Le transport routier de marchandises est un marché probable pour le véhicule autonome, compte tenu du poids important des coûts de personnel (30 % des coûts
 totaux). Le potentiel de ventes est toutefois plus limité : en 2014, on dénombrait en France 550 000 poids lourds contre 31,7 millions de voitures particulières.
12. Services de sécurisation des routes ou d’information sur des commerces, via la technologie de positionnement par balise (beacon) par exemple.
13. Les enjeux relatifs à la cartographie 4D de l’environnement ont été indiqués par Frédéric Kaplan (École polytechnique fédérale de Lausanne), lors de son audition
 le 22 janvier 2016 par France Stratégie.
14. Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).
15. Selon l’OMS, le nombre de morts sur la route s’élève à 1,25 million par an dans le monde. Dans leur immense majorité, ces accidents sont dus à des erreurs
 humaines. Ce qui fait dire à Elon Musk, fondateur de Tesla Motors, que l’avènement du véhicule autonome incitera tôt ou tard les pouvoirs publics à interdire la
 conduite humaine, considérée comme trop dangereuse
16. Selon l’université de Columbia, le véhicule autonome partagé peut assurer un service de taxi compétitif avec une otte réduite en diminuant le temps d’attente des
 clients mais aussi les coûts (absence de chauffeurs donc de dépenses salariales). La société de voitures de tourisme avec chauffeur Uber rééchit à cette option et
 a lancé en février 2015 un partenariat avec l’université Carnegie Mellon à Pittsburgh (Pennsylvanie).
17. À titre d’exemple, SCOOP@F est un projet de déploiement pilote de systèmes de transport intelligents coopératifs du ministère chargé des transports.
18. Fin 2015, le Department of Motor Vehicles (DMV) de Californie a proposé la présence obligatoire d’un chauffeur ou « opérateur » dans tous les véhicules autonomes.
 Mais en février 2016, la direction nationale de la sécurité routière (NHTSA), confortant Google, a afrmé la légalité de la circulation d’un véhicule autonome. En avril,
 l’assemblée législative de Californie examine un projet de loi autorisant une voiture sans chauffeur, ni volant ni pédale.
19. Voir aussi l’article R. 412-6 du code de la route : « Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur ». 
20. Niveaux d’autonomie, rapport J 3016 de la SAE (Société des ingénieurs automobiles américains), « Taxonomy and denitions for terms related to on-road motor
 vehicle automated driving systems », janvier 2014.
21. Forte diminution de la flotte nécessaire, d’après le modèle développé par l’université Columbia
 

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