A l’occasion de l’ouverture de VITA NOVA, ces 18-19 septembre à Paris, événement connecteur entre artistes, scientifiques et citoyens, consacré aux fabriques du vivant, Philippe Marlière exprime comment les techniques s’insèrent aujourd’hui dans la vie. Il révèle ainsi que parole, code, chirurgie moléculaire… participent à une création permanente… qui doit rester modeste.
« Larger than life » est l’expression consacrée qui sert en anglais à caractériser un tempérament « haut en couleur » ou un événement « plus vrai que nature ». Prise littéralement, elle éclaire la signification profonde de la biologie de synthèse. Car c’est bel et bien d’agrandir la création qu’il est question, dans tous les sens du terme. La Création majuscule, en faisant advenir les créatures d’une biodiversité inédite depuis que le monde est monde, sans s’affranchir de la moindre précaution de principe. La création minuscule, en renouant avec les mystères subjectifs de la créativité qui engendre les arts, sans se priver d’oeuvrer comme auteur à part entière.
Le monde réel réclame d’être construit et pas seulement découvert. Scientifiques et artistes ne peuvent échapper à la fatalité de créer, ne serait-ce que pour comprendre, comme les mathématiciens l’ont su les premiers, en inventant le chiffre zéro, le nombre imaginaire dont le carré vaut -1, etc. A la proclamation de Leibniz: « Tout ce qui est possible exige d’exister », répond celle de Malraux : « Les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux ».
L’enjeu commun de la création déborde ainsi des clôtures du cadastre traditionnel fixant les impératifs épistémologiques des sciences fondamentales, les impératifs utilitaires des sciences appliquées et les impératifs esthétiques des démarches artistiques. La biologie de synthèse, que l’on serait tenté d’appeler «biologie non-euclidienne », offre un champ commun d’une fertilité sans pareille où concilier ces disciplines et croiser ces cultures.
Presque tous les biologistes au XXe siècle (à l’éminente exception de Jacques Ninio en France et d’Alex Rich en Amérique) ont présumé que pour réussir à reprogrammer ou à construire de toute pièce des organismes vivants artificiels, il serait indispensable de disposer auparavant d’une compréhension complète des organismes naturels suivant les lois de la physique. La biologie de synthèse est en passe de démontrer qu’il n’en est rien : il s’avère bien plus facile de créer des biomolécules, des organismes, des espèces, des écosystèmes, certes caricaturaux, que de rendre compte de l’apparition et du fonctionnement des entités naturelles. Il ne se passe plus de semestre sans qu’une instruction du dogme central, une structure macromoléculaire invariante ou une fonction cellulaire universelle ne soit dépassée, transgressée, remplacée. Pour ce faire, la biologie de synthèse allie les outils de la chimie aux méthodes de l’informatique pour conduire une exploration combinatoire au delà de l’horizon arpenté par la biosphère.
De l’incarnation biotechnologique considéré comme l’un des beaux arts
La biologie moléculaire nous a hélas laissés sur notre faim. Elle n’a pas permis d’analyser le phénomène le plus essentiel du monde vivant, celui par lequel les espèces inventent incessamment et spontanément les dispositifs et les procédés les plus divers, des molécules aux sociétés en passant par les cellules et les organes.
Nous en sommes ainsi réduits aux conjectures. Primo : en vivant dans l’univers, les organismes y exercent localement et arbitrairement des lois (comme celles de Mendel ou la grille du code génétique) qui s’ajoutent à celles de la physique (comme la relativité ou le principe d’exclusion). Secundo : pour accéder au rang de tels législateurs, ces organismes doivent nécessairement se montrer capables de proliférer et de varier. Tertio : nos œuvres, nos machines et tous nos algorithmes incarnés, tout notre appareil symbolique, constituent autant de lois additionnelles au cosmos et irréductibles à la physique. Ainsi, les créations de la biologie de synthèse se conçoivent, en toute candeur, comme des lois artificielles rendues autonomes de celles de la nature par leur inscription, par leur incarnation dans des organismes vivants.
Il y a une sorte de fatalité anthropologique dans l’académisme. Il nous plaît immodérément de voir des équations fondamentales se graver dans le marbre comme des épitaphes sur les mausolées. L’art se trouve lui aussi épisodiquement perclus de canons solennels et de pompes funèbres : en 1818, quand commença le triomphe du déterminisme scientifique et du machinisme industriel, il fallut fonder à Paris un « musée des artistes vivants » pour ménager un refuge où laisser respirer l’imaginaire !
Aux observatoires de jadis et aux laboratoires de naguère ont aujourd’hui succédé une multitude d’ateliers de biologie de synthèse, que l’on pourrait appeler des « exploratoires ». Leur ensemble forme un fervent « musée des biologistes vivants », où oeuvre avec style une multitude de créateurs modestes, de démiurges à la petite semaine, comblés quand ils parviennent à apprendre à la nature elle-même quelques tours qui ne lui seraient jamais venus à l’esprit.
Philippe Marlière, biologiste cofondateur des startups Isthmus et Global Bioénergies
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