L’ingénierie génétique revient en politique. Ce 7 avril, se sont tenues à Paris des auditions sur les enjeux des nouvelles biotechnologies, avec en ligne de mire le sujet polémique du recours et des usages de la technique CRISPR-Cas9 dans le champ médical comme agronomique. A l’origine de la démarche, Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (OPECST), qui considère ces outils de chirurgie des génomes comme des « ruptures techniques considérables ». Le député qui a œuvré dans les années 90 pour mettre en débat les OGM – on se souvient de la conférence de citoyens de l’OPECST en 1998 – entend jouer à nouveau un rôle d’éclaireur, aux côtés de ses deux collègues vice présidentes de l’OPECST, la députée Anne-Yvonne Le Dain, et la sénatrice Catherine Procaccia.
La Commission environnement de l’Assemblée nationale a saisi en 2015, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (OPECST), pour évaluer les conséquences pour les écosystèmes des nouvelles biotechnologies. Les auditions du 7 avril – que nous relatons ici – seront suivies par une seconde salve d’auditions à l’automne avant la remise du rapport fin 2016. Ce travail s’appuie sur des analyses déjà parues comme celle du Comité européen d’experts du SCENIHR sur les risques pour l’environnement et la biodiversité relatifs à la biologie de synthèse.
Ce 7 avril à Paris, les 14 orateurs ont apporté au sujet des nouvelles techniques d’ingénierie moléculaire (New breeding techniques NBT) des éclairages divers et contrastés. Chacune de leurs interventions peuvent être écoutées ici.
On retiendra l’insistance de Philippe Horvath, cadre scientifiques chez Dupont pour faire valoir ses travaux précurseurs sur les ferments lactiques menés avec Eric Lander (conseiller scientifique d’Obama) sur la prédation virale et la robustesse des bactéries. Dupont a d’ailleurs déposé des brevets majeurs dès 2005 avant la publication majeure de Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier en 2012, attestant de l’usage puissant du système immunitaire bactérien pour modifier de manière ciblée les génomes. Il a décrit la « course de relais » qui caractérise la compétition de la recherche internationale et qui a aboutit à un imbroglio juridique sur la paternité (ou maternité ?) de ces découvertes.
On a pu apprécier les apports de Pierre Jouannet (spécialiste de la fécondité, Académie nationale de médecine) et Jennifer Merchant, politologue de l’Université Paris 2, qui ont participé tous deux aux réflexions de décembre 2015 organisées à Washington par les Académies de médecine américaine, chinoise et anglaise. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est intervenu pour souligner que ces approches plus faciles, plus rapides, moins couteuses, changent la nature de ce que l’on fait (« more is different »). Ces nouveaux modes de « domestication du vivant posent des question sur l’intention, la réversibilité, et la compréhension des effets » a-t-il insisté rappelant les travaux récents de Craig Venter qui a réussi à créer un mycoplasme fonctionnant avec 473 gènes (soit le plus faible nombre de gènes pour un organisme vivant) mais dont le tiers des gènes ont une utilité qui restent totalement incomprise.
L’intervention d’André Choulika, PDG de Cellectis a mis en exergue un « parti-pris néfaste à tout focaliser sur l’approche CRISPR-Cas9. Nous privilégions la technologie TALEN car elle a beaucoup moins d’inconvénients que l’édition de gènes par CRISPR-Cas9 qui fait des tas de coupures hors cible », a insisté le fondateur de Cellectis qui a misé sur TALEN et déposé les brevets sur cette démarche. Cette incise sur les « effets hors cible « non intentionnels et non maitrisés d’André Choulika a fait l’objet de nombreux débats qui ont opposé Jean-Christophe Pagès, président du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) et Yves Bertheau, directeur de recherche à l’INRA, démissionnaire du Comité scientifique du HCB. « On est en train de se laisser séduire par les plats savoureux obtenus mais on oublie la cuisine et les dommages collatéraux », a indiqué ce dernier.
On retiendra les présentations nuancées et convergentes de l’économiste Michel Griffon et d’Eric Marois, spécialiste des modifications génétiques sur les moustiques (Université de Strasbourg, INSERM) plaidant l’un et l’autre pour « une innovation sociale dans la gestion de ces projets ». Le dernier a décrit la puissance des « systèmes contraceptifs par forçage génétique, développés pour éradiquer des populations d’anophèles, vecteurs du paludisme » tout en soulignant l’importance de la manière de faire : « il est nécessaire d’avoir une stratégie d’antidote pour pouvoir défaire ce qui a été fait, a-t-il insisté. De plus, le mode opératoire choisi est capital pour piloter et donner confiance. Il serait tout à fait possible que les pouvoirs publics prennent en charge de telles opérations, plutôt que de les laisser aux bons vouloir de compagnies privées ».
Dans le même esprit, Michel Griffon qui défend une agroécologie intensive a montré que les « greffes de fonctionnalités que permettent ces techniques d’édition vont fournir des variétés dotées de qualités stratégiques. Il y a des risques monopolistiques, des problèmes avec le verrouillage par brevets, la dépendance croissante des agriculteurs vis-à-vis des firmes… auxquels il faut répondre par un encadrement public des usages. Le contrôle des ravageurs est une course aux armements : tout solution massive nouvelle est limitée dans le temps et l’espace… »
L’absence d’intervenant issu de la société civile a été critiqué vertement par plusieurs personnes lors des discussions. Patrick de Kochko comme Guy Kastler du Réseau Semences paysannes – qui a quitté le CEES du HCB dénonçant une manipulation – ont pris à parti Jean-Yves Le Déaut à ce sujet. Ils ont indiqué que les deux documents publiés en février par le HCB sont traités comme des avis auxquels se réfèrent désormais les autorités gouvernementales françaises. Or ces documents tendent à considérer la plupart des nouvelles constructions génétiques comme les autres techniques de mutagenèse qui ont été exclues de la réglementation OGM (cf Directive 2001/18). Pour les contradicteurs, il s’agit d’une manœuvre qui ne permet pas le débat public. La tension est vive puisque dans les faits en Europe, toute semence reconnue comme OGM se retrouve interdite, a souligné le directeur des affaires internationales de Limagrain, Jean-Christphe Gouache.
Si la députée Anne-Yvonne Le Dain a reconnu que nous sommes dans « un imbroglio sociétal considérable dans le domaine agricole », les Parlementaires n’ont pas semblé vouloir entendre un appel à reconsidérer les catégories d’analyses de ces propositions techniques. On ne peut en effet baliser un projet sur les seules descriptions techniques. Les questions centrales de finalité, de gouvernementalité, et d’orientation de nos modes de développement agroalimentaires restent dans l’ombre de telles auditions, comme l’a souligné Frédéric Jacquemart, président du GIET et co-pilote de la mission biotechnologies de FNE. « Le vieillissement et la mort sont traités comme des anomalies dans une compréhension erronée du vivant », a-t-il témoigné. Il nous faut débattre sur les rapports au vivant que nous voulons cultiver ».
Face à des acteurs restés en embuscade depuis la crise des OGM, il faudrait autre chose que ces auditions rapides et technocentrées pour renouveler la compréhension mutuelle des parties prenantes. Les associations – qui sont sorties du CEES du HCB en février – ont bloqué mercredi 6 avril la tenue d’une réunion de leur organisme. Quelle médiation le gouvernement pourra-t-il ménager sur ces sujets qui interfèrent avec la feuille de route qu’i prépare sur la bioéconomie ?
Un prochain rendez-vous sur la technique CRISPR-Cas9 et ses « cousines » est prévu le 29 avril 2016 à l’Académie de médecine.
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