A l’occasion du 85ème sommet de l’ACFAS, à l’Université McGill de Montréal, un colloque se tiendra les jeudi 11 et vendredi 12 mai 2017 sur le thème « Innovations technoscientifiques et perspectives interdisciplinaires pour une éducation au vivant : finalités et stratégies ». Depuis 1933, la communauté scientifique francophone profite de ce rendez-vous pour présenter ses plus récents travaux, connaître les derniers développements en recherche, débattre de questions d’actualité et échanger des idées avec des collègues, des associations et des groupes participants. Ce cadre stimulant est propice au partage de nouveaux savoirs qui donnent aujourd’hui sa forme au monde dans lequel nous vivrons demain.
Photo: Université Mc Gill Montréal © F. Marion, UP’ magazine
Depuis la fin du 20e siècle, les avancées technoscientifiques en lien avec le vivant soulèvent des questions. S’appuyant sur des modèles provenant de nombreuses disciplines biologiques pour comprendre et appréhender le vivant, certaines de ces avancées induisent des formes de maîtrise ou de façonnement du vivant. La place du vivant dans la recherche de solutions durables aux problèmes énergétiques, alimentaires ou de santé est au cœur des préoccupations, que ce soit pour préserver la biodiversité ou pour l’employer en tant que ressource. Ces différents buts et usages interpellent les scientifiques, les citoyens et les acteurs œuvrant dans le champ éducatif. Ouvrant la voie à des transformations du vivant, ces innovations interrogent nos rapports au vivant et remettent en question nos représentations de l’humain et ses relations avec les autres formes du monde vivant et non vivant.
À l’instar d’Atlan, n’avons-nous pas intérêt à considérer sérieusement la fin du tout génétique, pour repenser les enjeux médicaux et sociétaux de certaines pathologies au regard des interactions entre gènes et environnement ou mode de vie ? Quel est l’intérêt et quelles sont les limites de la virtualisation du vivant offerte par les simulations et les modélisations informatiques grâce à la biologie de synthèse ? Doit-on fabriquer du vivant et pour quelles finalités ? Est-ce éthique de breveter le vivant ? L’instrumentalisation du vivant est-elle une posture viable ?
L’enseignement répond-il à la finalité d’une formation des futurs citoyens et citoyennes pouvant se positionner face à ces interrogations ? Quels choix sont faits dans le champ éducatif pour positionner ces enjeux et par qui sont-ils réalisés ?
La perspective de ce colloque est celle d’interroger d’une part les nouveaux enjeux et défis auxquels les éducations au vivant doivent faire face et, d’autre part, les nouvelles mises en œuvre convoquant un regard interdisciplinaire dans cette même voie d’une éducation au vivant.
Jeudi 11 mai 2017
Présidence/Animation : Marie-Claude Bernard (Université Laval)
Discutant : Corinne FORTIN (Université Paris Est Créteil -LDAR)
09 h 00 : Innovations technoscientifiques : enjeux et questions pour l’éducation scientifique virginie albe (Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay)
Les mutations que vit, à l’échelle internationale, l’éducation scientifique au secondaire depuis les quinze dernières années, questionnent et bouleversent les disciplines scientifiques, tant dans leurs contenus que dans leurs finalités. Ainsi, par exemple, l’émergence de recherches et de pratiques éducatives sur des controverses socioscientifiques contemporaines, ayant une forte vivacité sociale, telles les nanotechnologies, les biotechnologies, les changements climatiques a posé à nouveau frais la question des références sur lesquelles fonder les savoirs scolaires. Très schématiquement s’opposent deux visions, l’une selon laquelle seul l’apprentissage de savoirs scientifiques disciplinaires pour former la future génération de spécialistes est légitime, l’autre selon laquelle est visée l’éducation d’un(e) citoyen(ne) cultivée en sciences, apte à participer aux choix politiques d’élaboration des programmes de recherche et à en débattre publiquement, impliquant une nécessaire refonte des disciplines scientifiques. Nous proposons dans cette communication de faire le point sur les enjeux et les questions soulevées par l’introduction de controverses socioscientifiques dans le curriculum scientifique, et de discuter des évolutions qui peuvent être repérées quant aux mutations des disciplines scientifiques et à leurs relations aux « éducations à ».
09 h 25 : Perception du vivant et protection de la biodiversité : analyse curriculaire des tensions entre vision patrimoniale et approche évolutive
Marco BARROCA-PACCARD (UQO – Université du Québec en Outaouais), Pierre-Henri Gouyon (Museum National d’Histoire Naturelle (Paris, France))
La perception du vivant dans nos sociétés se modifie à la fois par le développement biotechnologique, mais aussi par la prise de conscience de la fragilité des systèmes naturels (Caillon et Degeorges, 2005). La biodiversité porte en elle cette redéfinition en cours de la perception du vivant. Cette notion nécessite, si on veut éviter de rester dans le sens commun, la construction d’une opinion raisonnée entre une vision naïve d’une nature idyllique agressée par une humanité destructrice et une vision techniciste associée aux experts (Lange, Trouve et Victor, 2007 ; Maris, 2010). Mais, il faut aussi comprendre quelle perception du vivant est portée par cette notion : une vision du vivant comme patrimoine à protéger ou comme résultat du processus évolutif (visions qui rejoignent la distinction entre événement et phénomènes (Orange-Ravachol, 2012)) ou même comme ressource pour des approches technoscientifiques (OGM). Cette communication propose l’analyse épistémologique de ces trois visions pour construire une grille d’analyse des curricula français. Une analyse de contenus des programmes scolaires et des manuels scolaires de SVT en classe de Troisième et de Seconde générale a montré la dichotomie entre la construction d’un rapport au vivant fortement marqué par la théorie évolutive et une présentation de la protection/gestion de la biodiversité qui reste ancrée dans une vision patrimoniale d’un vivant figé et harmonieux qu’il faudrait préserver du développement humain.
09 h 50 : Comment l’instrumentalisation des bovins par les innovations biotechnologiques est-elle traitée dans des manuels scolaires de l’enseignement zootechnique français?
Michel VIDAL (montpellier supagro)
Depuis le début du XIXe siècle, les politiques promouvant la productivité en élevage font l’objet de débats éthiques quant à l’instrumentalisation des animaux de production (Burgat, 2001). Nous interrogeons comment les manuels scolaires de l’enseignement de l’agriculture prennent en compte l’instrumentalisation de la reproduction de l’espèce bovine sur deux périodes de protection animale (Baratay, 2012) (1800 à 1915 et 1970 à 2014). Nous nous fondons sur deux modèles complémentaires, Knowledge, Values, Practices (Clément, 2010) et les régimes de l’imaginaire (Durand, 1993). Durant la première période, les auteurs s’inscrivent dans des imaginaires soit « héroïque », invitant à améliorer, perfectionner les troupeaux, à s’abstraire de la nature, soit « synthétique », proposant des modes de sélection soucieux de l’adaptation de l’animal à son milieu. Ils s’appuient sur des conceptions d’un animal-fonction et sur des éthiques anthropocentrées. Durant la deuxième période, l’insémination artificielle, la sélection génomique, les techniques de clonage et de transgenèse sont décrites au travers d’imaginaires soit « héroïque », d’un animal assimilé à son seul génome et d’éthiques animales niées ou décriées, soit « synthétique » en réponse à la perte de variabilité génétique ou à des problèmes éthiques non explicitées. Les positionnements divergents des auteurs vis-à-vis des débats sur la protection animale rendent malaisés l’enseignement d’un raisonnement éthico-techno-scientifique.
Session 2 Axe I — Innovations technoscientifiques : défis et enjeux pour une « éducation au vivant »
Présidence/Animation : Nathalie Panissal (LAAS CNRS)
Discutant : Alexandre Dal-Pan (Université Laval)
11 h 00 : Devenir « plus » : augmentation, amélioration ou apprentissage du vivant?
Julie NOACK (École normale supérieure de Lyon)
Une frange non négligeable de la recherche biomédicale remplace actuellement la visée thérapeutique par une visée de transformation volontaire de l’organisme sain par la technique (Goffette, 2008). Cette « anthropotechnie » transhumaniste prétend augmenter l’organisme humain – c’est le sens quantitatif du terme « human enhancement » : rendre le corps plus fort, plus rapide, plus durable – et même l’améliorer – selon le sens qualitatif : rendre l’humain plus libre, plus heureux, « plus vivant ». Or, le besoin de transformer son propre corps par la technique – de doubler le « corps donné » par un « corps produit » (Canguilhem, 2002 : 59) – peut aussi être interprété comme un effort de santé, définie comme « le sentiment d’une capacité de dépassement des capacités initiales » (Canguilhem, 2002 : 61). Dès lors, le moyen ne peut plus être le simple recours à une machine : la volonté de devenir « plus vivant » relève d’un apprentissage, par le corps vivant, de sa propre vitalité – et c’est tout le rapport à la technique qui s’en trouve modifié. En effet, les anthropologues nous apprennent qu’avant d’être montée en dispositifs mécaniques, la technique traverse notre corps (Mauss, 1936) pour en structurer les gestes et les postures. Dès lors, « apprendre à devenir plus vivant » signifie faire effort pour s’approprier ces techniques qui nous conditionnent – et ainsi tenter de (re)conquérir notre vitalité.
11 h 25 : Le bio-art, un espace de questionnement sur les enjeux biotechnologiques des transformations du vivant pour l’éducation
Eric TRIQUET (Université d’Avignon), Jean-Loup Héraud (Université Claude Bernard, Lyon 1)
Prolongeant nos travaux sur le rôle de la « fiction réaliste » dans les apprentissages scientifiques nous nous intéressons au bio-art pour questionner, dans un cadre éducatif, les enjeux relatifs aux biotechnologies du vivant. Utilisant de façon subversive des outils et des processus biotechnologiques sur le vivant, des artistes ou collectifs contemporains (par exemple Stelarc, Kac) ouvrent une voie alternative pour explorer, à partir de leurs œuvres, le champ des transformations du vivant. Nous situons ces évolutions technologiques dans un contexte de fiction artistique, se démarquant des discours idéologiques ou sociaux. Le cadre théorique des « mondes possibles » de fiction de Lewis (1973) sous-tend le potentiel épistémologique de telles œuvres. Pour lui, un monde possible se construit, à partir d’une hypothèse « contraire aux faits de notre monde », comme le monde le plus proche du monde existant. Les pratiques du bio-art ont ainsi le pouvoir de a/figurer visuellement ces mondes possibles, b/d’en faire l’objet d’une expérience sensible collective, c/d’ouvrir un questionnement critique. Cette approche fictionnelle permet de concevoir de nouvelles situations d’éducation scientifique, en convoquant des visées épistémologiques et éthiques. S’agissant de modifications du corps, ces situations réinterrogent notre rapport au vivant ainsi que le statut des notions de « dignité humaine » et « de personne » (appliquées à l’animal), récemment redéfinies en droit français.
Session 3 Axe II — Innovations technoscientifiques : perspectives interdisciplinaires pour une « éducation au vivant »
Présidence/Animation : Corinne FORTIN (Université Paris Est Créteil -LDAR)
Discutant : Manon ALBERT (Université Laval)
13 h 15 : L’apport de Vigie-Nature dans l’éducation à la biodiversité (France)
Sébastien TURPIN (Muséum national d’Histoire naturelle)
Vigie-Nature est un dispositif de sciences participatives porté par le Muséum national d’Histoire naturelle. Dans ce dispositif, des citoyens volontaires vont collecter, via des protocoles simples et standardisés, des données sur un grand nombre de sites répartis sur toute la France. Un des axes de recherche de notre équipe est d’évaluer l’impact des pratiques humaines sur la biodiversité. A titre d’exemple, nous présenterons des résultats basés sur les données issues de l’Observatoire des jardins. Cette étude a permis d’évaluer l’effet de l’utilisation de pesticides sur l’abondance de papillons et de bourdons dans des jardins de particuliers. D’autres résultats préliminaires montrent un effet de la participation sur le comportement de nos observateurs : ils utilisent de moins en moins d’engrais ou de pesticides. Outre le grand public, nous souhaitons impliquer les scolaires dans ces démarches participatives. Vigie-Nature École (VNE) propose donc aux enseignants et à leurs élèves de réaliser des suivis de biodiversité. Sept protocoles permettent d’étudier des groupes variés (des escargots aux plantes sauvages en passant par les chauves-souris…). En 2015-2016, près de 6500 élèves, de la maternelle au lycée, ont participé à ce dispositif. Nous présenterons les résultats d’une étude montrant que les élèves participant à VNE déclarent s’intéresser davantage à la biodiversité de leur établissement et placent plus d’éléments naturels dans les dessins que nous leur avons demandés.
13 h 40 : Débattre de la nanosanté en formation d’enseignants : quels enjeux ?
Nathalie Panissal (LAAS CNRS)
Les controverses inhérentes aux pratiques à la nanosanté (Noury & Lafontaine, 2014) interrogent notre rapport au monde, au vivant. Les valeurs comme la dignité, le respect de la vie, l’autonomie sont bousculées par des techniques visant à optimiser les performances dans un contexte économique néolibéral. L’éveil de la pensée citoyenne constitue donc un défi pour l’éducation. Depuis 2007, nous co-construisons des dispositifs d’éducation à la nanomédecine dans le cadre de la didactique des Questions Socialement Vives (Legardez & Simonneaux, 2006). Nous présentons ici un dispositif de formation d’enseignants de sciences et analysons le corpus de débat sur le thème des biopuces à ADN produit dans le cadre de ce dispositif. Les arguments des débatteurs sont repérés et les justifications analysées. Les débatteurs mettent la responsabilité au cœur du débat. Nous discutons de l’intérêt des apports du care pour apporter une nouvelle voix au questionnement éthique (Tronto, 2013). Nous interrogeons l’heuristique d’une démarche d’enquête (Dewey, 2011) au service d’une capacitation éthique des citoyens (Guchet, 2014).
Grande conférence
Présidence/Animation : Marie-Claude Bernard (Université Laval)
Discutant : Corinne FORTIN (Université Paris Est Créteil -LDAR)
15 h 30 : Industrialiser le vivant, jusqu’où ?
Dorothee BROWAEYS (Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1))
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