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Si tout le monde s’interroge sur la guerre à l’occasion de l’anniversaire de l’offensive russe en Ukraine, le troisième anniversaire du confinement de mars 2020 risque d’être vite zappé. Il nous appartient de faire preuve de mémoire et d’anticipation.

Loin, loin en arrière, il fut un temps où l’on parlait de « guerre » en évoquant un virus inconnu. On lui avait donné un nom bizarre, constitué d’un acronyme anglosaxon et d’un millésime. Ce virus a monopolisé notre actualité, et chaque soir on comptait les morts, ici et ailleurs. Nous avons tous été touchés d’une manière ou d’une autre mais progressivement, nous nous sommes habitués. On n’a plus compté les morts, ni les hospitalisations en soin intensif. Nous avons d’abord suivi avec angoisse l’arrivée de nouveaux variants (alpha, delta…) jusqu’à la lettre omicron. Et puis on s’est arrêté là. On a laissé l’épidémie poursuivre sa vie sans plus s’occuper d’elle, sans même savoir dire si elle était finie ou non. Qui s’est intéressé aux innombrables petit frères, petits-cousins d’Omicron ? J’avais découvert à la fin de l’année sur un blog du Monde un tableau entier avec la désignation des sous-variants qu’on avait renoncé à mémoriser moi le premier (BA.4, BA.5, XBB.1.5…). Les scientifiques s’étaient « amusés » à leur donner le nom de créatures mythologiques : Sphynx, Python, Cerbère, Chiron,… Après avoir révisé l’alphabet grec, nous n’avons pas révisé la mythologie !

Je suis allé récemment à l’hôpital pour un rendez-vous médical et je me maudissais en entrant d’avoir oublié de prendre un masque, voyant les gens sortir avec le rectangle bleu pâle sur le nez. La personne à l’accueil, auprès de qui je m’excusais platement, m’a annoncé comme une évidence que « le masque n’est plus obligatoire pour les patients ». Information manifestement pas partagée puisque tout le monde autour de moi portait le masque et regardait mon visage nu comme une obscénité. Rare survivance d’une pression sociale qui n’a jamais réussi à revenir cet hiver dans les wagons pourtant bondés de nos transports en commun.

Fini, pas fini ? Obligatoire, facultatif ? Plus rien n’est clair. Et finalement tout le monde s’en moque. On a même fini par oublier le nombre des victimes qui est devenu une statistique, une parmi d’autres.

Nous sommes subrepticement passés à autre chose avec une actualité lourde de crises nouvelles ou récurrentes. Se rappelle-t-on encore notre dernière frayeur quand la Chine a décidé de laisser le virus se répandre ? Nous avons craint une vague immense, la diffusion de nouveaux variants et un nouveau cycle de pandémie mondiale. Même si la Chine n’a pas joué la transparence, on peut penser que la saturation des hôpitaux et des morgues n’a pas duré. Ce matin j’entendais un reportage sur France Inter qui présentait la ruée des Chinois vers les vacances au soleil après trois ans de confinements sans un mot sur la manière dont on était passé de la situation d’urgence épidémique de la fin décembre à l’euphorie de février. Le COrona Virus Disease s’est évaporé.

L’OMS vient d’annoncer la fin d’une épidémie. Mais ce n’est pas celle du coronavirus. Il s’agit d’une épidémie d’Ebola en Ouganda. Une épidémie localisée qui a été bien maîtrisée malgré les craintes de la fin 2022. Rien de tel pour le virus qui nous a tant obsédé. L’OMS avait annoncé fin 2021 que l’épidémie de Covid-19 se terminerait en quelques mois et pourtant 2022 a vu se succéder plusieurs vagues moins létales mais persistantes. A l’automne 2022, l’OMS ne donnait plus de date tout en se voulant prudemment optimiste. Il faut sans doute s’attendre à ce que la fin officielle de l’épidémie soit déclarée alors que nous serons déjà tous passés à autre chose.

L’absence de fin officielle n’est évidemment pas un problème, ce qui pose question, c’est notre incapacité à faire le bilan. Nous avons tourné la page, sans la lire jusqu’au bout. Bien sûr, il y aura des commissions, des rapports et des évaluations mais je crains que nous ne sachions pas collectivement tirer des leçons politiques pour savoir faire mieux face à une menace que nous savons récurrente.

En juillet dernier, le philosophe Abdenour Bidar se disait « éberlué et indigné de ce passage du catastrophique à l’inexistant, du catastrophisme au circulez, il n’y a plus rien à voir ». Il appelait à un grand débat pour « nous soigner collectivement de tous les traumatismes qui nous ont été imposés, pour retisser les liens déchirés et réparer les injustices subies, pour être particulièrement attentifs aussi aux risques futurs de la suspension certes provisoire mais inquiétante de nos libertés pendant la crise ».

Que faisons-nous aussi des alertes de l’anthropologue Frédéric Keck qui nous appelait à réfléchir à la fois en « pasteurs » et en « chasseurs ». Il nous disait : les virologues sont des « chasseurs » de microbes ou de virus, capables de prendre le point de vue des oiseaux, des chauves-souris, des singes en examinant finement l’incertitude des relations aux animaux. Le « pasteur », lui, est dans la maîtrise, avec son troupeau, il peut décider quels sont les animaux qu’il faut soigner et ceux qu’il faut abattre ou sacrifier pour protéger le reste du troupeau. Les épidémiologistes, les autorités sanitaires, sont du côté des pasteurs. Il nous invitait à nous situer dans l’espace intermédiaire, entre cynégétique et pastoral. « Entre préparation et prévention, c’est la précaution ». Quelle stratégie de précaution sommes-nous capables d’inventer ? Quels compromis devons-nous construire pour éviter les décisions couperets quand plus aucune autre solution n’est possible faute d’anticipation (l’abattage de tout un cheptel, le confinement de toute une population) ? Il faut impérativement anticiper pour mener une politique de précaution ! Et en débattre, car il n’y a pas de solution évidente (scientifique), il n’y a que des choix et des priorités (politiques) à établir collectivement.

Que ce soit pour les raisons morales et politiques de Bidar ou pour celles scientifiques et politiques de Keck, nous devons revenir au Covid même si nous n’en avons plus envie. Nous le devons pour éviter des souffrances futures et des risques majeurs. Nous le devons et pourtant nous ne serons pas invités à le faire. Médias et politiques sont passés à d’autres défis, d’autres drames.

Nous avons le terrible inconfort de subir des crises qui s’enchaînent : la guerre en Ukraine et ses multiples conséquences ont remplacé le Covid à la Une de l’actualité. Mais les crises ne se substituent pas les unes aux autres, elles s’additionnent et se complexifient mutuellement. La crise climatique n’a pas disparu, on le sait bien. Les causes profondes des pandémies non plus. Les dérèglements se suivent, en réalité ils se cumulent. Nous pouvons baisser les bras et nous laisser submerger par le syndrome de l’anticipation anxieuse. Nous pouvons apprendre à vivre avec l’inconfort. C’est ça pour moi la grande nouveauté du temps qui vient. Une rupture radicale avec soixante-dix ans de montée progressive du confort, et de l’indifférence qui en est hélas le corollaire. Cynthia Fleury dans un entretien aux Echos week-end constatait : « Nous n’avons plus l’habitude de résister à autant de chocs (pandémie, risque nucléaire, guerre, inflation, crise énergétique, etc.), cela demande beaucoup d’énergie physique et psychique pour encaisser, et génère logiquement de la fatigue tant physique que psychologique. […] Nos ancêtres avaient les ressources collectives pour vivre en « mode dégradé ». Nous sommes plus démunis. »

Pour ma part, je ne vois qu’une seule manière de faire face à cette pression, c’est de disposer d’espaces de parole et d’échange. Seul, on ne peut pas faire face et le déni devient la seule « solution ». Et si, à la montée du confort dans l’isolement (mon pavillon, mon SUV, ma piscine…), succédait une gestion de l’inconfort à plusieurs ? Je dis « à plusieurs » parce que je ne crois pas aux collectifs imposés. Il faut partir de ce que nous sommes devenus, une société d’individus, avec ses aspects positifs et négatifs, et voir comment ces individus peuvent se relier de proche en proche pour aborder de façon pragmatique les questions communes. Une des premières questions communes à traiter, j’y insiste, c’est celle des suites du Covid.

C’est donc à nous d’exiger ce débat partout où nous le pouvons, auprès de nos gouvernants, de nos mairies, de nos mutuelles, de nos associations, … C’est à nous de prendre l’initiative même si, nous aussi, nous sommes accablés par les nouvelles étapes du dérèglement du monde. Des conversations, des échanges entre pairs, des débats locaux, des forums plus larges, jusqu’à ce que des synthèses puissent être faites et des lignes d’action proposées.

Hervé Chaygneaud-Dupuy, Chroniqueur invité de UP’ Magazine – Essayiste – Consultant développement durable et dialogue parties prenantes. Auteur de « Citoyen pour quoi faire ? Construire une démocratie sociétale », éditions Chronique sociale.

L’original de ce texte est paru sur le blog de M. Chayneaud-Dupuy, persopolitique.fr
Avec nos chaleureux remerciements à l’auteur.

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