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Fléau des faux médicaments

Impostures, profits, faux-semblants : ce qui se cache derrière le fléau des faux médicaments

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Les « faux » médicaments inondent le marché mondial, provoquant leur lot de faits divers tragiques. Face à ce fléau, la lutte s’organise, au nom de l’accès pour tous, au Nord comme au Sud, à des médicaments de qualité, soigneusement contrôlés. Mais la réalité est complexe, et cette croisade anti-contrefaçon n’est pas toujours dénuée d’arrière-pensées, comme le révèle l’enquête menée par Mathieu Quet, chargé de recherche au Ceped. La bataille contre les faux médicaments fournit en effet à l’industrie pharmaceutique un moyen de reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappait, entre montée en puissance de l’industrie générique, croissance des échanges commerciaux entre pays du Sud, patients dénonçant les effets pervers de la propriété intellectuelle, et contre-attaque des gouvernements des pays les plus pauvres.

Nous publions ici les bonnes feuilles de son ouvrage, « Impostures pharmaceutiques : médicaments illicites et luttes pour l’accès à la santé », édité par La Découverte.


La chasse aux faux médicaments

Si l’on en croit l’actualité des dernières années, la chasse aux « faux médicaments » et autres produits médicaux « contrefaits » s’organise dans le monde et prend de l’ ampleur.

Mi-mai 2013, les douanes françaises saisissaient au Havre 1,2 million de sachets d’aspirine de « contrefaçon », « la plus importante saisie de contrefaçon de médicaments jamais réalisée par les services douaniers en France et dans l’Union européenne », selon le ministère de l’Économie.

Le 13 juin 2013, l’Organisation mondiale des douanes et l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM) rendaient publics les résultats de l’opération Biyela organisée en avril en partenariat avec les douanes de vingt-trois pays africains. Celle-ci avait conduit à la saisie de plus d’un milliard d’articles, dont environ 550 millions de doses de médicaments illicites comprenant de « faux antibiotiques, de faux antipaludéens, des faux antidouleurs et anti-inflammatoires, ainsi que des médicaments contrefaits utilisés contre l’hypertension artérielle et le diabète, ou encore des compléments alimentaires illicites ». L’ampleur de l’opération était également soulignée par l’Organisation mondiale des douanes.

Le 27 juin 2013, Interpol annonçait à son tour la saisie d’environ dix millions d’unités de médicaments « contrefaits » à la suite de l’opération Pangea 6 menée dans 99 pays, visant en particulier les sites Internet. Aline Plançon, sous-directrice du programme sur la criminalité pharmaceutique d’Interpol, révélait à cette occasion que les quantités saisies étaient en augmentation de 100 % par rapport à l’opération précédente de 2012.

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Outre les opérations de saisies, les initiatives se sont multipliées afin de lutter contre la circulation de médicaments illicites. Le Kenya a annoncé en 2015 la mise en place d’un partenariat entre l’organisation à but non lucratif Mission for Essential Drugs and Supplies (MEDS), l’autorité de régulation pharmaceutique nationale et la US Pharmacopeial Convention, un organisme américain établissant des standards pharmaceutiques suivis par 140 pays. Cette collaboration, qui a vu le jour grâce à un financement de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), a pour but d’améliorer la qualité des médicaments en circulation pour « aider à régler le problème de la prolifération des médicaments faux et sous-standards au Kenya ».

Parallèlement à ce type de coopération, un marché proliférant de technologies promet de garantir la traçabilité des médicaments et la protection des marchandises pharmaceutiques : codes-barres, numéros d’identification et hologrammes apposés sur les boîtes en sont quelques exemples. En 2012, au Forum économique mondial de Davos, les puissants de ce monde saluaient l’émergence d’un tel marché en remettant le titre de Young Global Leader au Ghanéen Bright Simons, astucieux inventeur d’un système de traçabilité des médicaments au moyen du téléphone mobile.

Autre indicateur de l’engouement pour la chasse aux médicaments illicites, les textes juridiques réglementant les circulations pharmaceutiques n’ont cessé de se multiplier. L’Union européenne a adopté une directive sur la circulation des produits médicaux « falsifiés » en 2011, le Kenya a voté une loi « anti-contrefaçon » en 2008, l’Inde a renforcé les sanctions contre les producteurs et vendeurs de médicaments non conformes tout au long des années 2000.

Ces initiatives se sont accompagnées d’une production croissante de données : combien de médicaments en circulation sont-ils concernés ? Quel est leur impact sur la santé ? sur l’économie ? Une série d’articles ont par exemple été publiés à grand bruit en avril 2015 par l’American journal of Tropical Medicine and Hygiene. Ils dénoncent la « pandémie globale » des médicaments illicites et soulignent, sur la base d’enquêtes et de tests de conformité, la mauvaise qualité des médicaments dans de nombreux pays.

Un combat commun, mais des intérêts différents

Toutes ces initiatives – policières, organisationnelles, technologiques, juridiques et scientifiques – semblent ainsi converger dans un combat commun contre la circulation des médicaments illicites.

Les institutions qui affichent cette préoccupation viennent d’horizons divers. On trouve des organisations internationales (l’Organisation mondiale de la santé, Interpol, l’Organisation mondiale des douanes), des organismes professionnels (l’international Nurses Association), des fondations (comme la Fondation Jacques Chirac), des institutions privées à but non lucratif financées par des laboratoires pharmaceutiques (le Partnership for Safe Medicines, l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments) et les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes.

Tous partagent le souci de lutter contre les médicaments illicites, mais les intérêts qu’ils défendent ne coïncident pas toujours, et les solutions qu’ils mettent en avant pour favoriser un marché pharmaceutique mondial de qualité sont parfois contradictoires. À les écouter cependant, malgré toutes leurs différences, les personnes et les institutions engagées dans la lutte contre les « faux » médicaments sont toutes frappées de la même indignation face à la gravité du problème. Il n’y a qu’à en juger par les affaires.

En novembre 2014, 12 femmes trouvèrent la mort en Inde parce que les antibiotiques qu’on leur avait fournis à la suite une opération de stérilisation contenaient des substances toxiques. En 2009, un faux antidouleur contenant un solvant utilisé comme antigel causa le décès d’au moins 84 enfants nigérians. Et même les riches sont en danger : l’enquête qui suivit la mort du chanteur Prince révéla qu’il était en possession de faux Fentanyl, beaucoup plus puissant que le générique enregistré, et dont la consommation aurait conduit à l’overdose. Le cas le plus tristement célèbre arriva en 1995, lorsque plus de 50 000 faux vaccins contre la méningite, attribués aux laboratoires Pasteur Mérieux et SmithKline Beecham mais probablement copiés au Nigeria, furent administrés au Niger et entraînèrent la mort d’environ 2 500 personnes.

Un marché en croissance

Les faits divers tragiques ne manquent pas, et les initiatives de protection du marché s’autorisent ainsi d’une représentation commune du problème des « faux médicaments », auquel sont attribuées plusieurs caractéristiques. D’abord, les dénonciateurs considèrent que le marché de ces produits a considérablement augmenté en volume et en valeur au cours des dernières années. Les pays du Sud seraient de loin les plus touchés, mais les pays du Nord seraient également menacés, notamment à cause de la complexification des réseaux de distribution et du nouveau rôle joué par la vente sur Internet.

Les chiffres et les estimations avancés font frémir : le marché est estimé entre 75 et 200 milliards de dollars, sa croissance est présentée comme vertigineuse, et l’OMS elle-même envisage qu’un médicament sur dix en circulation dans les pays en développement soit de qualité inférieure ou falsifiée. Christophe Zimmermann, coordinateur de la lute contre la contrefaçon et la piraterie de l’Organisation mondiale des douanes, a pu déclarer :

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« Il y a maintenant plus de faux que de vrais médicaments sur le marché. En 2007-2008, la croissance a été de 596 % ».

Une étude a estimé à 122 350 le nombre de décès d’enfants de moins de 5 ans liés à la consommation d’antipaludiques de mauvaise qualité. Pour les croisés de l’anticontrefaçon, il s’agit d’abord d’une pratique criminelle, parfois liée à d’anciens réseaux de banditisme ayant adopté cette activité parce qu’elle présente moins de risques pour des bénéfices élevés. Le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) explique :

« Par comparaison avec d’autres crimes comme le trafic de drogue, la production et la distribution de biens contrefaits présente un rapport risque/profit très avantageux pour les criminels. La contrefaçon nourrit le blanchiment d’argent et encourage la corruption. Il y a aussi des preuves de recoupement avec le trafic de drogue et d’autres activités criminelles graves ».

Si l’on s’en tient à cette avalanche de déclarations et de mises en garde, il est donc impératif de mettre en œuvre des législations punissant le plus sévèrement possible le trafic de médicaments. Dans la mesure où il s’agit, par nature, d’un problème transnational et transfrontalier, il est également essentiel d’encourager la collaboration des pays concernés avec la communauté internationale.

Les formes envisagées sont multilatérales : entre États, entre organisations internationales, entre États et organisations internationales, entre secteur privé et secteur public, entre secteurs privés à non lucratif et à but lucratif. Toutes les initiatives sont bienvenues, et aucun effort ne doit être épargné pour empêcher la catastrophe qui nous menace : celle d’un monde en proie à des médicaments qui, au lieu de soigner, sèmeraient la mort.

La diversité des « faux » médicaments

Dans tout cet affairement contre les « faux » médicaments, une question est cependant laissée en suspens. Au fond, qu’est-ce qu’un faux médicament ? Non sans une certaine ironie, l’agitation qui entoure la lutte contre les faux médicaments est en effet concomitante avec la mise entre parenthèses des efforts pour interroger de façon critique la notion de « faux », comme s’il était nécessaire de brandir l’image d’un monstre pour mieux mobiliser les forces en présence.

L’expression est pourtant plus ambiguë qu’elle n’en a l’air. Elle s’applique à des cas très différents : trafics de toutes sortes, fabrication intentionnelle ou non de produits de mauvaise qualité, conflits de propriété intellectuelle entre marques concurrentes. Contrefaçons ? Malfaçons ? Médicaments sous-standards ? Médicaments périmés ? En vertu de quel souci de santé publique des médicaments sont-ils considérés illicites ? Comment sont produites les enquêtes et les estimations des quantités en circulation ? La question des « faux médicaments » constitue-t- elle un problème à part entière ou doit-elle être subsumée sous celle de la qualité pharmaceutique ?

[…]

[L] a notion de « faux » médicament recoupe des situations diverses et des formes très différentes de « mauvais médicaments » : imitations illégales de médicaments de marque (qui peuvent contenir ou non le bon principe actif, en bonne ou mauvaise quantité), médicaments détériorés (par des conditions climatiques ou de transport), médicaments périmés ou remballés, parfois même placebos intentionnels (le médicament ne contient pas ou très peu de principe actif) ; mais également médicaments essentiels à la survie des patients, bannis d’un territoire en raison de drois de propriété intellectuelle ; médicaments qui pourraient sauver des vies si les réglementations commerciales durement négociées entre organisations internationales États et firmes pharmaceutiques n’étaient pas si souvent en faveur des profits des entreprise les plus puissantes.

Quand la lutte contre les « faux » médicaments divise

La caractéristique commune des médicaments est de ne pas avoir été contrôlés en tant que tels par le système de régulation compétent sur le territoire et d’être vendus sans respecter les normes pharmaceutiques nationales ou internationales. Mais le fait d’aborder ces situations de front pose problème, comme l’indiquent les débats soulevés par la lutte contre les « faux » médicaments. En effet une telle croisade n’a pas été sans s’attirer des critiques.

Elle a provoqué des conflits virulents et des alliances entre organisations non gouvernementales (ONG) internationales, associations professionnelles, gouvernements et associations locales pour dénoncer des stratégies commerciales mettant en danger l’accès aux médicaments dans les pays du Sud, sous couvert de lutte contre les faux médicaments.

Ellen ‘t Hoen, ancienne directrice de la campagne pour l’accès aux médicaments de MSF, célèbre militante pour l’accès le plus large aux traitements, a notamment critiqué dans un article paru en 2015 l’importance donnée aux médicaments falsifiés au regard du problème beaucoup plus grave de l’accessibilité des traitements essentiels. Selon elle, le flou qui entoure la notion de médicament « falsifié » ou « contrefait » risque de détourner l’attention des questions de qualité pharmaceutique qui sont beaucoup plus importantes.

Si elle dénonce les efforts réalisés pour combattre les médicaments falsifiés ou contrefaits, c’est parce qu’ils renforcent la position des promoteurs des médicaments de marque les plus chers – et peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’accès à des médicaments génériques de qualité.

Mais alors, qu’est-ce qu’un « faux » médicament ? un médicament « falsifié » ? un médicament « contrefait » ? En vertu de quelles lois, de quelles normes, de quels standards, de quelle conception de la santé publique des médicaments sont-ils considérés comme illicites ? La lutte contre ces médicaments est-elle une œuvre de santé publique ou masque-t-elle une stratégie commerciale qui ne dit pas son nom ? Désigne-t-elle un grave problème ou contribue-t-elle à promouvoir les intérêts de la Big Pharma ?

Mathieu Quet, Chargé de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original

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