Le grand dérangement, d’Amitav Ghosh – Editions Wildproject, janvier 2021 – 250 pages
Tout commence par une question simple : pourquoi le dérèglement climatique est-il absent de notre littérature contemporaine ?
La crise climatique est un nouveau type d’événement, difficile à se représenter, car incompatible avec les récits et l’imaginaire qui ont structuré notre monde. Ce phénomène constitue la réfutation de nos récits, de nos histoires et de nos mythes modernes. Ghosh nous invite donc à un remaniement en profondeur de nos cadres narratifs.
D’abord en appelant de ses vœux une autre littérature, émancipée de cette Nature immuable et cantonnée à l’arrière-plan des actions humaines. Ensuite en réécrivant l’histoire de la modernité, pour en finir avec le mythe d’une industrialisation uniquement menée par les pays du Nord. Enfin en interrogeant les États-nations, dont la structure impériale est indissociable de la débauche énergétique qui cause le réchauffement climatique.
Extrait
« Mais les gens n’ont-ils pas toujours aimé vivre au bord de l’eau ?
Pas vraiment ; pendant une grande partie de l’histoire humaine, les gens considéraient l’océan avec grande inquiétude. Même ceux que la mer faisait vivre, qu’ils soient pêcheurs ou commerçants, bâtirent rarement de grands villages sur le littoral : les grands ports européens, comme Londres, Amsterdam, Rotterdam, Stockholm, Lisbonne et Hambourg sont tous protégés du large par une baie, un estuaire ou un système deltaïque. C’est vrai aussi des anciens ports asiatiques : Cochin, Surate, Tamluk, Dacca, Mrauk U, Guangzhou, Hangzhou et Malacca en sont des exemples. C’est comme si un consensus général avait prévalu, avant les débuts de l’époque moderne, qu’il était nécessaire de prendre des dispositions pour se protéger des furies imprévisibles de l’océan – tsunamis, ondes de tempête et autres.
Ce principe de précaution semble même avoir perduré lors des débuts de l’expansion coloniale européenne au 16e siècle : ce n’est qu’au 17e siècle que l’on commença à bâtir des villes coloniales sur les fronts de mer, un peu partout dans le monde. Les fondations de Mumbai, Chennai, New York et Charleston datent toutes de cette époque. Par la suite, les bâtisseurs se firent encore plus confiants au 19e siècle, comme dans le cas de Singapour et Hong Kong. Ces villes, toutes créations des logiques coloniales, sont aujourd’hui parmi les plus exposées au changement climatique. »
Né en 1956 à Calcutta, Amitav Ghosh est l’un des plus importants écrivains anglophones contemporains. Mondialement reconnu pour ses vastes romans historiques comme Un océan de pavots (2010, sélection Booker Prize) et Les Feux du Bengale (Prix Médicis étranger, 1990), et également salué pour ses essais (par Giorgio Agamben, Naomi Klein, Roy Scranton…), Ghosh est considéré comme l’un des plus grands penseurs de l’Anthropocène.
La question du changement climatique, auparavant présente à l’arrière-plan de son œuvre, est au cœur du Grand Dérangement. Cet essai a également inspiré son dernier roman, Gun Island.
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