Réécrire l’Amérique – Vers une littérature des lieux, de Barry Lopez – Editions Wildproject, octobre 2020 – 96 pages
On commence la lecture de ce petit ouvrage par la « redécouverte de l’Amérique » : un récit qui raconte la destruction brutale des peuples indigènes et de leurs cultures, comme l’événement fondateur de la modernité, et la matrice de la crise écologique. Une relecture qui est cruciale et instructive, comme le proposait l’écrivain et critique français Tzvetan Todorov dans La Conquête de l’Amérique. « Mais il n’est pas bon d’oublier, de ne pas regarder honnêtement ce qui s’est passé, la façon dont le monde a oublié l’extermination des Arméniens en Turquie vingt cinq ans avant Buchenwald. Et si nous nous disons, oui, c’est vrai, c’était nous, et le schéma se poursuit, alors comment devons-nous le comprendre ? Comment pouvons-nous clarifier pour nous-mêmes ce qui a mal tourné ? Comment pouvons-nous soutenir, non pas que nous sommes différents, mais que nous souhaitons, ayant vu ce qui s’est produit dans le sillage de nos actes, prendre maintenant une direction différente ? »
Il s’agit là d’un manifeste, qui formule les convictions poétiques et narratives de cette génération de nature writers à laquelle Barry Lopez appartient. Il démontre que « notre problème avec le Nouveau Monde qui était censé ravitailler un Vieux Monde qui avait connu une sorte de décadence – est que depuis le début, nous avons imposé, et non proposé. Nous n’avons jamais dit aux peuples, aux animaux, aux plantes, aux rivières ou aux montagnes : « Que pensez-vous de ça ? » Nous avons dit ce que nous pensons, et plié à notre volonté tout ce qui pouvait y résister. »
« C’est en regardant la terre non comme possesseur, mais comme compagnon. »
« Lorsque nous entrons dans le paysage pour apprendre quelque chose, nous sommes obligés, je crois, de prêter attention, plutôt que de poser constamment des questions. Approcher la terre comme nous l ferions d’une personne, en ouvrant une conversation intelligente. […]« . « Si dans une philosophie des lieux, nous examinons notre amour de la terre – je n’entends pas ici un amour romantique, mais l’amour qu’Edward Wilson appelle biophilia, l’amour de ce qui est vivant, et le contexte physique dans lequel cela vit […].
Un entretien avec Oren Lyons, leader amérindien et défenseur des droits indigènes, du clan de la Tortue des nations Sénécas de la Confédération iroquoise, explique le manque de volonté des dirigeants mondiaux, de leur incapacité à remettre en question les forces économiques qui déchirent les communautés humaines du monde entier et la Terre elle-même.
Il rapporte notamment ces mots du Messager : « Vous devrez être tolérants (face aux critiques sévères) et ne pas répondre de la même manière, mais comprendre [leur peur] et être prêts à encaisser tout cela, parce que tout ne viendra pas de vos ennemis. Cela viendra de vos amis et de vos familles. Cela, vous pouvez vous y attendre« .
Page 57, Barry Lopez soulève la question de l’aspiration à « devenir le compagnon d’un lieu, et non pas son maître, ni son propriétaire. » Pour lui, « il serait peut-être plus important pour la survie de l’espèce humaine aujourd’hui d’être amoureux que d’être en possession de pouvoir. Il est peut être plus important aujourd’hui d’entrer dans une relation éthique et réciproque avec tout ce qui nous entoure que de continuer à essayer d’avoir un contrôle sur le monde physique, comme nous y aspirons jusqu’à récemment. » Un recueil pour décoloniser nos territoires et nos imaginaires.
Né en 1945, Barry Lopez est l’un des grands nature writers américains contemporains. Notamment lauréat de l’Académie américaine des arts et des lettres, de la fondation Guggenheim, de la National Science Foundation, il a œuvré à l’invention d’une nouvelle littérature des lieux.