Plus que quelques semaines avant la COP21, la 21ᵉ Conférence des Nations unies sur le changement climatique, qui réunira à Paris les représentants de tous les États de la planète pour leur faire signer un même contrat « universel ». L’objectif ? Trouver une réponse commune au problème du changement climatique, aux émissions de gaz à effet de serre qui, depuis la révolution industrielle, ont progressivement réchauffé la Terre. Autrement dit, faire en sorte que les sociétés de l’hémisphère Nord comme de l’hémisphère Sud s’engagent, ensemble, sur une trajectoire d’émissions de carbone qui permettra de limiter le réchauffement global à +2 °C d’ici la fin du siècle. Sans cette entente, c’est un monde à +4 °C, voire plus, que nous risquons de léguer aux générations futures. La COP21, c’est donc la première brique d’un monde meilleur, en tout cas moins pire.
L’enjeu est immense. Prenons l’exemple de l’océan. Il absorbe la majeure partie de la chaleur et du dioxyde de carbone (CO₂) qui s’accumule dans l’atmosphère ; il est aussi le réceptacle des eaux de fonte des calottes glacières et des glaciers continentaux. Sans lui, le changement climatique serait donc encore plus grand. Mais ce service a un coût : l’océan se réchauffe (+0,4°C depuis le dernier quart du XIXᵉ siècle), son acidité augmente (+30 % sur les 250 dernières années), et son niveau de surface a augmenté (+1,7 mm par an depuis le début du XXᵉ siècle, avec une accélération à +3,2 mm/an depuis 1993).
Cette perturbation des paramètres physiques et chimiques de l’océan mondial a des implications très sérieuses sur la vie marine, des organismes calcaires (ptéropodes, coquillages, etc.) aux écosystèmes (récifs coralliens, herbiers, etc.). Évidemment, au-delà des conséquences sur la biodiversité, tout cela se répercute sur les services que l’océan nous rend de manière plus ou moins directe au quotidien : stocks de poissons, adoucissement des températures de l’air sur les littoraux, conditions favorables au tourisme balnéaire estival, protection contre les vagues, etc.
+2 °C ou +4 °C, des scénarios très différents
Un autre grand service rendu par l’océan concerne la captation du carbone atmosphérique : plus l’océan se sature en CO₂, plus sa capacité à réguler le changement climatique dans le futur se dégradera, et donc plus ce dernier s’accélèrera. Les scientifiques ont montré que des impacts modérés à forts sont déjà observés sur la vie marine (sur les coraux tropicaux, par exemple), et cette tendance se poursuivra inexorablement dans le futur. Mais dans quelles proportions ? De quel futur parlons-nous ? De celui dans lequel tous les pays s’engagent, en signant l’Accord de Paris à la COP21, à réduire fortement leurs émissions de gaz à effet de serre ? Ou d’un tout autre futur, plus carboné, plus dangereux ? C’est la question que des scientifiques, regroupés au sein de l’Initiative Océans 2015, ont étudié en comparant deux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin du siècle : le premier caractérise des efforts rapides, substantiels et soutenus d’atténuation à l’échelle mondiale, et il est cohérent avec l’objectif de +2 °C ; l’autre traduit la poursuite des tendances actuelles et mène à un monde plus chaud d’au moins 4 °C.
Dans un monde à +2 °C, les impacts que l’océan subit déjà certes s’intensifieront, mais resteront dans des proportions qui pourraient laisser certaines marges de manœuvre aux sociétés humaines pour réajuster le tir (par exemple, au travers de la restauration des écosystèmes dégradés, ou de la protection de ceux peu à pas affectés) et s’adapter aux changements pour partie désormais inévitables. Dans la perspective d’un réchauffement de l’ordre de +4 °C, les générations futures seront confrontées à un monde qui ne ressemblera que très peu à l’actuel : une grande partie des organismes marins (coraux tropicaux, ptéropodes, poissons et krill) seront très probablement confrontés à des risques excessivement élevés de déplacement des espèces ou de mortalité de masse. Il en résulte que les activités économiques et d’exploitation de telles ressources naturelles devront être fondamentalement repensées, au Nord comme au Sud. À ceci près que la rapidité des changements environnementaux en cours dans l’océan pose clairement la question de la capacité des sociétés à trouver des solutions efficaces à temps. Et ce, d’autant qu’il faudra en parallèle faire face aux effets induits de l’augmentation de la température de l’air : modification des régimes de précipitations, possible intensification d’événements extrêmes de diverses natures (cyclones et tempêtes, par exemple), etc.
Tenter de prévenir des impacts irréversibles
Il ne s’agit nullement pour nous ici de « crier au loup » pour faire bouger les choses « à tout prix ». Ces conclusions sont scientifiquement robustes, c’est-à-dire qu’elles sont fondées sur la littérature scientifique la plus récente, laquelle mêle expériences en laboratoire, observations de terrain et modélisations, et démontre la cohérence de ces résultats avec les données estimées pendant les périodes de forte concentration de CO₂ dans le passé géologique. N’en déplaise aux quelques sceptiques qui subsistent, ces conclusions sont crédibles. C’est donc ce message d’ensemble qui doit arriver sur la table des négociations climatiques des jours à venir : un engagement planétaire pour une réduction rapide, substantielle et soutenue des émissions de CO₂, qui serait la marque d’une COP21 réussie, est impératif si l’on veut prévenir les impacts massifs et irréversibles sur les écosystèmes marins et les services qu’ils nous rendent.
Le futur se construit donc aujourd’hui, et il faut que l’ambition soit à la hauteur. Or, il y a deux grandes conditions à une telle ambition. La première, c’est que les équipes de négociation climatique de chaque pays ainsi que les chefs d’État mettent tout ce qu’ils ont d’énergie et de pouvoir au service de cette cause. Il y a des signaux positifs qui vont dans ce sens. La seconde condition, c’est que les sociétés adhèrent aux politiques de lutte contre le changement climatique qui découleront de l’Accord de Paris, que chacun comprenne pourquoi certaines contraintes se feront jour et les accepte, au nom des générations futures. Réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre va en effet demander de profondes modifications de nos systèmes énergétiques et de transport, notamment, et donc de nos modes de consommation et de déplacement individuels. De la même manière, les impacts du changement climatique ont déjà commencé à se faire sentir sur le cycle des saisons, la disponibilité en ressources naturelles (eau, animaux, végétaux, etc.), etc., et cela aussi va affecter nos modes de vie individuels.
Alexandre K. Magnan, Docteur en géographie, Chercheur « Vulnérabilité et Adaptation au changement climatique », Iddri – Sciences Po
Alexandre Magnan a publié divers ouvrages (Ces îles qui pourraient disparaître, Des catastrophes… « naturelles » ? Changement climatique : tous vulnérables ?) ainsi que de nombreux articles scientifiques.
Jean-Pierre Gattuso, Directeur de recherche en océanographie, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)
Photo : © Tarik Tinazay/AFP
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.