Il n’y aura pas de nouvelle dérogation pour les néonicotinoïdes, ces pesticides qualifiés par ses détracteurs de ‘tueurs d’abeilles. » Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a déclaré, lundi 23 janvier, que le gouvernement renonçait à demander une mesure dérogatoire autorisant leur usage notamment pour les semences de betteraves sucrières et interdits de mise sur le marché au sein de l’UE depuis 2018.
La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les États membres ne pouvaient pas déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes, mettant un terme à un contournement de la loi dont profitait notamment la France. Un projet de décret avait ainsi été soumis à consultation par le ministère de l’Agriculture, début janvier, afin d’autoriser l’usage de néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières pour une troisième année consécutive.
Plusieurs substances sont interdites dans l’UE depuis 2018, mais une dizaine de pays ont pris des dérogations pour préserver les rendements sucriers, ces insecticides permettant de lutter contre un puceron vecteur de la jaunisse de la betterave. Or, les néonicotinoïdes, qui s’attaquent au système nerveux des insectes, sont mis en cause dans le déclin massif des colonies d’abeilles.
« On a tout ce qu’il faut pour faire différemment »
« Je n’ai aucune intention de balader les agriculteurs et en particulier ceux qui sont inquiets », a déclaré le ministre de l’agriculture Marc Fresneau lors d’un point-presse à Paris. « J’ai convenu avec les représentants de la filière qu’on mettrait en place un dispositif qui permettrait de couvrir le risque de pertes qui serait liée à la jaunisse le temps qu’on trouve les alternatives dont on a besoin », a-t-il précisé.
Pour Jean-Marc Bonmatin, chimiste et toxicologue, chercheur au CNRS, ces alternatives existent déjà. « En 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a sorti un rapport extrêmement détaillé qui nous donne 22 alternatives aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, dont quatre solutions sont applicables immédiatement », a-t-il déclaré sur franceinfo le 4 janvier. « Sur le principe même, je ne comprends pas qu’on continue à faire des dérogations, alors qu’on a tout ce qu’il faut pour faire différemment. »
Ces solutions « demandent un peu plus de travail, un peu plus de surveillance », a-t-il concédé, alors que les agriculteurs craignent une perte « en productivité », a expliqué l’un d’eux à franceinfo vendredi. « Ce sont des emplois perdus, un savoir-faire qu’on perd et le sucre qu’on ne va pas produire nous, d’où va-t-il venir ? ».
Lors du point-presse, Marc Fesneau a déclaré vouloir également « faire activer au niveau européen les clauses de sauvegarde pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence ». La France est le premier producteur européen de sucre.
« Nous saluons cette décision et cette victoire que nous emportons après de rudes batailles. Cela fait des années que nous alertons le gouvernement sur cette impasse que sont ces dérogations accordées à des produits extrêmement dangereux et qui plus est interdits ! Aujourd’hui c’est une grande victoire pour la biodiversité et les pollinisateurs » déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.
Repenser notre modèle agricole
« Le gouvernement doit désormais changer de direction et faire évoluer en profondeur notre agriculture vers l’agroécologie. Nous demandons donc que la future Loi d’Orientation Agricole qui s’annonce permette enfin de repenser notre modèle agricole en favorisant des systèmes de production qui ne soient plus dépendants des intrants chimiques et en premier lieu des pesticides de synthèse. » conclut-il.
Les dérogations européennes avaient été attaquées en justice par le réseau d’associations Pesticide Action Network (PAN) Europe, après un recours devant le Conseil d’Etat belge. Selon le réseau, la France n’est pas le seul pays à avoir accordé des dérogations. Entre 2019 et 2022, pas moins de 236 dérogations ont été délivrées pour des substances considérées comme « hautement toxiques », dont près de la moitié pour des néonicotinoïdes.
En revanche, des pays comme l’Italie avaient prouvé qu’il était possible de se passer des néonicotinoïdes, y compris pour les betteraves, en ne sollicitant aucune dérogation. L’Allemagne, la Pologne et la Belgique avaient, de leur côté, déjà renoncé à prolonger la dérogation cette année.
L’enjeu de cette interdiction est de taille pour les abeilles dont au moins 30 % de la population était décimée chaque année par ces pesticides. Sans compter tous les insectes pollinisateurs sauvages qui tombaient à cause de ces substances toxiques diffusées dans la nature. Un crime contre la biodiversité était ainsi perpétré avec des conséquences non seulement sur les populations animales mais aussi très directement sur les humains.
Une étude réalisée récemment par des chercheurs de l’université d’Harvard a modélisé l’impact du défaut de pollinisation sur la production agricole, les prix et les effets induits sur l’alimentation et la santé. Publiés dans la revue Environmental Health Perspectives, en décembre 2022, les résultats de cette étude sont saisissants : à l’échelle mondiale, l’impact alimentaire du défaut de pollinisation des cultures serait responsable de près d’un demi-million de morts prématurées par an. Un chiffre sans doute en deçà de la réalité, selon les auteurs.