La machine à broyer le vivant vient de s’emballer avec la crise du coronavirus. Mais les conséquences qui résultent de notre imprévoyance obligent à alerter et à mobiliser sur l’urgence d’autres dangers qui n’ont pas disparu pendant cette mise en pause pour motifs sanitaires du temps : réchauffement climatique, disparition de la biodiversité, système mondialisé de l’alimentation… mettent en péril toute l’humanité. Celle-ci, est attaquée de toutes parts par un système marchand dont le but essentiel est l’efficacité productive à court terme et sa rémunération financière ; harcelée par un impératif de surconsommation poussée à son paroxysme, au mépris de la diversité. Or la diversité est l’essence même de notre système écolonomique ; la crise du coronavirus nous le rappelle cruellement. Saurons-nous en tirer les leçons ?
Depuis des décennies maintenant, les écologues insistent sur le caractère essentiel de la diversité dans le maintien des équilibres des systèmes vivants, quel que soit leur niveau d’organisation : les cellules, les organismes, les individus, les espèces, les écosystèmes. Cette diversité est ce qui permet à un système de s’adapter au(x) changement(s) en ayant intrinsèquement une solution alternative à celle mise en difficulté.
Pour en suggérer l’importance par une image caricaturale mais suggestive : que deviendrait une ville n’ayant que des restaurants italiens en cas de pénurie de spaghetti ? Heureusement alors qu’il existe des restaurants de cuisine française, libanaise, chinoise et autres pour prendre le relais… Et que peut faire un MacDo’ quand il n’a plus de quoi préparer son hamburger mono-produit ?
Dans un écosystème équilibré, quand une espèce est défaillante dans une de ses fonctions, d’autres espèces compensent la déficience : c’est la raison de la diversité des espèces bactériennes pour assurer la décomposition des matières organiques dans la nature, y compris dans nos intestins, et la raison de la diversité des espèces dont se nourrissent les autres.
Dans de tels écosystèmes, des espèces différentes remplissent aussi des fonctions différentes mais intrinsèquement complémentaires : ainsi la fonction de pollinisation est-elle remplie par une catégorie bien définie d’espèces, elles aussi diversifiées : il n’y a pas qu’un seul genre d’abeilles et rien ne remplace les insectes pollinisateurs dans cette fonction. Mais il existe une diversité d’espèces d’abeilles particulières à chaque écosystème.
Comme dénoncé depuis longtemps déjà, les pratiques agricoles industrialisées ont largement mis en péril cette « biodiversité » des systèmes écologiques du fait de l’usage intensif d’armes de destructions massives phytopharmaceutiques ou de la sélection extrême d’un petit nombre de variétés d’espèces sur le seul critère de leur productivité alimentaire immédiate, comme des variétés d’abeilles, d’espèces bovines, d’arbres, de blé, de maïs, de soja … Mais cette perte de diversité rend le système de production alimentaire sensible à des risques de catastrophes mettant en péril ces quelques espèces « mondialisées » : catastrophes génétiques ou … épidémiques : voir celles qui atteignent aujourd’hui les plantations d’oliviers, celles qui ont fait disparaître les ormes et bientôt les frênes, pour ne citer que celles-là. La pression que nos consommations alimentaires exercent sur les animaux et les plantes que nous consommons intensifie aussi la réduction de la biodiversité ; reste à savoir si les efforts importants de conservation de la diversité génétique des plantes cultivées dans des banques de gènes suffira à enrayer la tendance ou à restaurer cette biodiversité au sortir d’une situation de crise.
Ce qui est fascinant est que ces contraintes et avantages de la diversité ne se limitent pas aux seuls systèmes écologiques : comme l’évoquait déjà la caricature de la pénurie de spaghetti, ces mêmes contraintes et avantages s’appliquent aux systèmes socio-économiques et nous en vivons la démonstration tragique : la catastrophe sanitaire qui traverse l’espèce humaine est particulièrement amplifiée par les pertes de diversité résultant de la mondialisation, uniformisant certaines fonctions. C’est la diversité de leurs sources et ressources qui contribuent tout aussi fondamentalement à la résilience des fonctions dont dépend la multitude des communautés qui constituent les systèmes socio-économiques de l’espèce humaine. La concentration géographique de la production et de la distribution de ressources essentielles pour des raisons d’efficience économique immédiate peut ainsi réduire considérablement la disponibilité de celles-ci en quantités, lieux et temps utiles : ressources sanitaires, alimentaires, énergétiques technologiques, humaines, pour ne citer que celles-ci.
Livre Blanc – Toutes les options pour gérer une crise bancaire systémique – Bernard Lietaer, Robert Ulanowicz, Sally Goerner Novembre 2008
Paradoxalement, d’un point de vue macroéconomique, la « mondialisation » peut aussi accroître aussi qualitativement la diversité. Depuis l’Antiquité, le commerce a permis des échanges de produits, comme le thé, la pomme de terre, le café ou les épices en Europe, la porcelaine, ou encore le Porto à Londres et la laine à Lisbonne.
Ce qui est en cause alors, c’est la concentration de certains types de production dans certaines régions « spécialisées » qui est destructrice de biodiversité, comme la concentration de certaines fonctions spécifiques exercées dans les organes d’un individu. Cette concentration renforce certes l’efficience globale de la production d’un « système individuel mondialisé » mais il est clair qu’une espèce, dans sa multitude diversifiée, a plus de chance de survivre face à une crise qu’un seul individu, fut-il temporairement plus « efficace ».
Une raison d’être de cette spécialisation mondialisée est en le système marchand dont le but essentiel est l’efficacité productive à court terme et surtout sa rémunération financière par le biais d’un marketing mondialisé poussant à la surconsommation au détriment de la diversité d’entités locale auto-suffisantes au sein du système (les circuits courts), donc au détriment de sa capacité de résilience. Cette forme marchande de système de « circulation sanguine » et aussi, de plus en plus, de « système nerveux » (via la numérisation digitale), véhiculant l’essentiel des « richesses », s’assure une rémunération devenue prédatrice pour la stocker sous forme d’obésités localement paradisées mais peu « hygiéniques » pour l’organisme dans son ensemble, sans parler des risques d’hypertensions financières facilitées par les addictions virtuelles que représentent les dettes et autres instruments boursiers…
Cerise sur le gâteau, cette concentration des activités industrielles spécialisées dans certaines régions du monde y entraîne aussi celle des pollutions (phyto)chimiques associées contre lesquelles il n’existe pas de « fonction rénale planétaire ».
Les conditions actuelles de la mondialisation économique en voie de monopolisation mettent donc en jeu l’ensemble de l’organisme écolonosystèmique planétaire actuel et surtout une proportion immense de ses sous-ensembles : que restera-t-il de la majorité des « variétés » littéralement asphyxiées que sont les communautés humaines de la planète ?
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La circulation sanguine n’assurant plus ses fonctions essentielles et vitales, ce sont les organes et les cellules d’un organisme, des millions de cellules, voire des organes entiers, qui disparaissent dans leur « fonctions » au sens propre, jusqu’à mettre en péril l’existence de l’humanité dans son ensemble … Mais peut-être une certaine « élite » voit-elle positivement une telle régression démographique dont elle a de moins en moins besoin pour assurer ses profits…
Au-delà de la biodiversité, l’enjeu essentiel est que l’espèce humaine ne se limite plus depuis longtemps à prélever les revenus (les « fruits ») du capital planétaire mais en ravage de façon irréversible le capital, comme le montrent notamment les indicateurs de son empreinte écologique.
Cette crise, dont il est encore difficile d’évaluer la gravité et ses conséquences ultimes, permettra-t-elle à ses rescapés physiques et économiques d’en tirer enfin les leçons pertinentes ? Ou, au contraire, cette crise, comme bien d’autres dans le passé, feront-elles resurgir une fois encore les psycho-réflexes simplistes du recours mystique à des idéologies dogmatiquement simplistes et ses prophètes « providentiels » ? Que sera leur pouvoir plus ou moins « numéris-armé » pour diriger autoritairement les écolonosystèmes vacillants ? Pour imposer leurs visions et leurs systèmes encore moins éconologiquement soutenables, ils auront toujours besoin de la diversité de fonctions assurées par les divers « organes » de la société dont ils se seront emparés, mais ils ne pourront en disposer que par des pratiques dictatoriales (réquisitions, travail obligatoire, nationalisations, …), formes d’esclavagisme dont les exemples abondent tragiquement dans le siècle précédent…
Jacques de Gerlache, (éco)toxicologue – Fondateur du site Greenfacts.org
Image d’en-tête : Angélica Dass / humanae project