Le glacier Petermann, au nord-ouest du Groenland, se rapproche progressivement de l’océan, de grands segments se détachant et dérivant sous forme d’icebergs. Ce glacier gigantesque fond beaucoup plus rapidement qu’on ne le pensait, ce qui pourrait accélérer l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale. Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs de la NASA et de l’université de Californie à Irvine expliquent que les modèles actuels pourraient avoir sous-estimé la vitesse à laquelle les océans se réchauffent et celle à laquelle les glaciers reculent.
Les scientifiques ont utilisé l’imagerie satellite pour observer la glace et ont remarqué que le glacier Petermann se déplaçait en fonction des marées océaniques. La ligne d’ancrage du glacier, c’est-à-dire l’endroit où la glace cesse de toucher le sol pour flotter, se modifie en fonction des marées. De 2017 à 2022, les chercheurs ont observé que la zone d’échouage avait reculé de 1,6 kilomètre sur le côté ouest du glacier et de 3,7 kilomètres au centre du glacier. Le mouvement et les marées plus chaudes ont fait fondre une grande cavité de 204 mètres de haut dans la partie inférieure du glacier.
Cercle vicieux
Si ces interactions océaniques se poursuivent, l’élévation du niveau de la mer due à la fonte des glaciers se produira plus rapidement que ce que les scientifiques pensaient jusqu’à présent. Ce constat est d’autant plus alarmant que les modèles actuels de réchauffement de la planète devront peut-être être ajustés pour tenir compte de la contribution à l’élévation du niveau de la mer de la fonte observée dans les zones d’échouage des glaciers. Le processus pourrait créer un cercle vicieux : le réchauffement des océans fait fondre les glaciers, ce qui entraîne une élévation du niveau de la mer, d’où un contact accru entre les glaciers et l’océan, d’où une nouvelle fonte des glaciers.
« Ces interactions glace-océan rendent les glaciers plus sensibles au réchauffement des océans », a déclaré Eric Rignot, chercheur au Jet Propulsion Lab de la NASA, dans un communiqué. « Ces dynamiques ne sont pas prises en compte dans les modèles, et si nous devions les inclure, cela augmenterait les projections d’élévation du niveau de la mer de 200 %, non seulement pour le glacier Petermann, mais aussi pour tous les glaciers qui se terminent dans l’océan, c’est-à-dire la majeure partie du nord du Groenland et l’ensemble de l’Antarctique. »
Ces résultats sont également inquiétants car « l’inlandsis groenlandais a perdu des milliards de tonnes de glace au profit des océans au cours des dernières décennies », ce qui a fait monter le niveau des mers de 14 millimètres depuis le début des années 1970, écrivent les chercheurs dans l’étude. De plus, la température des océans a augmenté au fil du temps, créant des conditions encore plus favorables à l’épuisement accéléré des glaciers par le réchauffement des eaux.
La pire fonte glaciaire est en Arctique
Des modèles actualisés utilisent la forme des glaciers ainsi que la température et la salinité des eaux environnantes pour prédire l’ampleur de la perte de glace sous-marine au Groenland. Ce n’est qu’avec des observations sur le terrain que les modèles climatiques informatisés peuvent mieux résoudre les différences régionales. Leurs conclusions suggèrent que lorsque les glaciers arctiques plongent leurs doigts et leurs orteils glacés dans la mer, ils deviennent particulièrement vulnérables à la fonte sous-marine. Baignant dans des eaux chaudes profondes, parfois à une centaine de mètres sous la surface, leurs extrémités fondent progressivement à un rythme de fond constant et faible.
Étant donné que l’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du monde, les chercheurs soupçonnent que la fonte sous-marine y est pire qu’en Antarctique. « La fonte par les eaux profondes et chaudes augmente le sapement des terminaisons des glaciers, induisant ainsi le vêlage et le recul du front des glaciers », écrivent Schulz et ses collègues, « ce qui entraîne une perte de masse dynamique qui s’ajoute à l’élévation du niveau de la mer. »
Dans un scénario futur sinistre, où toute la glace permanente du Groenland fondrait, le niveau des mers s’élèverait de plus de 7 mètres, et des études suggèrent déjà que le processus d’élévation du niveau des mers est commencé. En fait, certains scientifiques affirment que la calotte glaciaire du Groenland a déjà dépassé le point de non-retour ; d’autres pensent qu’elle pourrait disparaître d’ici 2035.
Rien qu’en 2019, la moitié d’un trillion de tonnes de glace a disparu du continent. L’Antarctique, en comparaison, perd sa masse de glace à un rythme moyen d’environ 150 milliards de tonnes par an.
Les effets mondiaux de la perte des glaciers vont bien au-delà de l’élévation du niveau de la mer. Lorsque la glace du Groenland fond dans l’océan, elle pourrait stopper les principaux courants océaniques qui contribuent à refroidir l’équateur de notre planète et tempérer notre hémisphère nord.
La menace grandit
L’élévation rapide du niveau de la mer déjà observée menace les villes côtières du monde entier. Elle devrait impacter plus de d’1 milliard de personnes au XXIe siècle avec un réchauffement de 2°C. Le chercheur en climatologie Benjamin Brown et son équipe estimaient déjà, en octobre 2021, que « si l’humanité parvient à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, le niveau des mers augmentera et submergera les villes où vivent actuellement un demi-milliard de personnes. ». « Dans un monde qui se réchaufferait d’un demi-degré de plus que ce seuil, 200 millions de citadins supplémentaires se retrouveraient régulièrement dans l’eau de mer jusqu’aux genoux et seraient plus vulnérables aux ondes de tempête dévastatrices (…) ».
Quel que soit le scénario, c’est l’Asie qui sera la plus touchée, avec neuf des dix mégapoles les plus menacées. Les terres où vivent plus de la moitié des populations du Bangladesh et du Viêt Nam tomberaient sous la ligne de marée haute à long terme, même dans un monde à 2 °C. Les zones bâties de Chine, d’Inde et d’Indonésie seraient également dévastées.
Il est donc déjà trop tard pour espérer n’observer aucune montée des eaux. La France ne serait pas le pays le plus durement touché. Mais la montée des eaux aura tout de même de lourdes conséquences dans plusieurs villes de l’Hexagone, telles Bordeaux, Anglet ou Nice. Si les émissions de gaz à effet de serre provoquent une augmentation de 3°C de la température de la planète, Bordeaux pourrait bien se retrouver sous l’eau. La ville de Nice n’échapperait pas non plus à la montée du niveau de la mer Méditerranée. La fameuse Promenade des Anglais, tout comme le vieux Nice et son célèbre Cours Saleya seraient immergés.
D’autres zones côtières françaises doivent également s’attendre à subir les conséquences de la montée des eaux, comme la Vendée ou la Charente-Maritime : l’île de Ré, l’île d’Oléron, la Rochelle et surtout le marais Poitevin seront ainsi exposés à la submersion marine si le niveau des eaux augmente d’un mètre (un scénario possible à l’horizon 2100 selon le dernier rapport du GIEC). Sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais, l’élévation du niveau de la mer d’un mètre inonderait même l’intérieur des terres dans une zone allant de Calais à Dunkerque.
Retraite stratégique
D’ores et déjà, l’augmentation des inondations et l’érosion du trait de côte perturbent le marché immobilier, les propriétaires littoraux voyant la valeur de leurs biens chuter au fil du temps. Aussi, face à la montée des eaux et des risques de submersion, certaines (rares) communes françaises réfléchissent à reculer dans les terres un camping littoral ou une ferme d’agneaux de prés-salés : des projets de « repli stratégique » commencent à voir le jour face à la mer qui grignote les côtes mais l’argent manque pour financer ce grand déménagement pourtant inéluctable avec le changement climatique.
« On a décidé de relocaliser notre camping », actuellement à 50 m du rivage, « ici à 700 m de la mer pour éviter les inondations qui ont meurtri ce camping et prendre en compte le changement climatique, le recul du trait de côte », explique Jean-François Bloc, maire depuis 34 ans de Quiberville (Seine-maritime), une station balnéaire qui affiche 2.500 habitants l’été. Derrière lui s’affairent les pelleteuses sur le terrain du futur « camping nature » annoncé pour l’été 2023.
Ce « repli stratégique » dans les terres face aux risques de submersion les plus importants est prôné depuis une dizaine d’années par l’Etat, après des décennies « où on a bétonné un peu partout », et accéléré ainsi l’érosion, selon un haut fonctionnaire. La tempête Xynthia en 2010 a marqué un tournant. La mise en œuvre de cette « relocalisation » demeure pourtant « très rare », souligne Stéphane Costa, référent scientifique de la stratégie nationale de gestion du trait de côte.
Pour lui, il est « urgent » d’agir. D’ici à 2100, le niveau de la mer devrait augmenter d’un mètre environ. Et « au moins 50.000 logements » devraient être concernés en France par l’érosion et le risque de submersion, selon le ministère de la Transition écologique.
Le recul du trait de côte, le maire de Quiberville en est plus que conscient. « Pendant des décennies, ce territoire comme tant d’autres, a lutté contre la nature. Aujourd’hui au lieu de faire des murs, mettre des pompes, on choisit d’enlever les équipements submersibles pour ouvrir la vallée à la mer », explique Régis Leymarie, délégué adjoint du Conservatoire du littoral de Normandie.
À 40 km de Quiberville, Criel-sur-mer mène aussi une « étude pour laisser entrer la mer ». Mais au-delà du financement, « le repli stratégique, il va se faire où ? », alors qu’il faut également éviter l’artificialisation des terres agricoles, interroge le maire Alain Trouessin. Au total, « l’impact financier de l’érosion est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros », selon l’Association nationale des élus du littoral (ANEL) qui « attend depuis longtemps les outils et les ressources nécessaires à l’adaptation à l’érosion côtière ».
Image d’en-tête : Ginny Catania, National Geographic
Avec Earther, AFP, Nature
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