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COP28 ou la fabrique de l’impuissance collective

COP28 ou la fabrique de l’impuissance collective

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Comme s’ils découvraient subitement que les combustibles fossiles étaient responsables de 75 % des émissions de gaz à effet de serre, plus de 190 pays ont accepté mercredi matin à Dubaï un texte appelant, sans les obliger, à les « abandonner ». Et l’on parle de « victoire », d’accord « historique », « inédit », pour saluer un accord minimum, non contraignant, aléatoire dans sa mise en œuvre. Un accord présenté comme marqueur de la fin du gaz, du pétrole et du charbon, mais qui oriente toujours le monde sur la « route de l’enfer » décrite par le secrétaire général des Nations-Unies, loin de l’optimisme général affiché.

Il serait temps :  il a fallu 30 ans de sommets climatiques quasi annuels pour parvenir à un accord qui comporte des orientations à peu près claires sur l’avenir des combustibles fossiles. Le texte adopté mercredi matin, connu sous le nom de « Bilan global », invite pour la première fois les pays à s’engager dans une élimination de facto des combustibles fossiles. Mais il ne les y oblige pas et contient « une litanie de lacunes », selon les petits États insulaires les plus vulnérables aux impacts de la crise climatique, qui empêcheront le monde de réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière suffisamment drastique pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5C au-dessus des niveaux préindustriels.

Le président de la Cop28 Sultan Al Jaber, s’est félicité de l’adoption du texte clé ce matin du mercredi 13 décembre et l’a qualifié de « consensus des Émirats arabes unis ». Un consensus, mais pas tout à fait une unanimité. Car cet accord présente de nombreux problèmes. Les pays pauvres ont encore besoin de centaines de milliards d’euros supplémentaires pour les aider à abandonner le charbon, le pétrole et le gaz. Les pays développés et les producteurs de pétrole ne seront pas contraints d’agir aussi rapidement que le préconise la science du climat. Les États-Unis s’en tireront à bon compte en conservant leur position de premier producteur mondial de pétrole et de gaz. La Chine continuera à produire du charbon tout en exploitant les énergies renouvelables, et l’industrie charbonnière indienne n’a pas grand-chose à craindre.

Ambiguïtés et fragilités

Malgré toutes ses faiblesses, l’accord s’est heurté à une opposition acharnée de la part des pays producteurs de pétrole. L’Arabie saoudite a tenté jusqu’aux derniers instants, aux premières heures du mercredi matin, de supprimer toute référence aux combustibles fossiles, et a réussi à insérer quelques références à la capture et au stockage du carbone, une technologie qu’elle prétend aimer mais dans laquelle, étrangement, elle n’investit pas. La Russie a travaillé en coulisses pour faire échouer les progrès, et elle le fera encore plus l’année prochaine, lorsque la COP se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan. Cet accord, comme tous les accords multilatéraux des Nations unies, est fragile et les producteurs de pétrole pourraient tenter de faire marche arrière l’année prochaine. C’est le cas des États-Unis, si Donald Trump était réélu.

Un accord final fragile car il joue sur les ambigüités. Il ne donne aucune injonction aux producteurs d’énergies fossiles de baisser leur production. Ceux-ci n’en ont d’ailleurs pas l’intention : ils disent seulement qu’ils veulent bien baisser les émissions mais pas forcément la production. « Ce n’est pas la même chose » commente le climatologue Jean Jouzel, car « toute la question est de savoir si une baisse des émissions peut être faite, comme ils le prétendent, en maintenant ou en augmentant la production de fossiles. On connaît la réponse : c’est impossible, même avec la technologie de captage et de stockage du carbone. »

Le texte, rédigé mot par mot au prix de dures négociations, appelle les États à « opérer une transition hors des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques [transitioning away from fossil fuels in energy systems], d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie cruciale afin d’atteindre le niveau zéro d’ici 2050 » (article 28). En utilisant le terme “transition away”, le Bilan mondial ne propose qu’un changement progressif et non une transformation. Le texte ne mentionne plus de « phase out » (« sortie ») du pétrole, du gaz et du charbon, un terme devenu depuis des mois la bannière derrière laquelle se rangeait plus d’une centaine de pays et des milliers d’ONG.

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Interrogé par Libération, Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement, estime que le terme de «transition», utilisé à tout va, ne s’appuie sur aucune réalité : « le mot “transition” donne à croire que l’on va passer des énergies fossiles aux renouvelables, comme on est passé de l’âge de pierre, à celui du bois. Il n’y a rien de plus faux ».

« Le signal est là mais il est encore faible » écrit le Réseau Action climat. De plus, le gaz est présenté comme une énergie de transition, une terminologie qui aurait pu être écrite par un grand producteur de gaz fossile. Or la science est claire : le gaz est un combustible fossile et non un combustible de transition. Le texte fait aussi des mentions inquiétantes à la capture et au stockage carbone : des technologies non matures, coûteuses et potentiellement dangereuses à long-terme. « La référence faite à la capture et au stockage de carbone dans le texte du Bilan mondial de la COP28 souligne l’influence perceptible de l’Opep et de l’industrie des combustibles fossiles sur la prise de décision à Dubaï », dénonce de son côté la coalition d’organisations Climate action against disinformation.

Enfin, pour aider les décideurs à décarboner leur bouquet énergétique, la présidence émirienne a aussi proposé une série de modes de production d’énergie labellisés « bas carbone » : renouvelables et nucléaire. Sur ce dernier point, l’inclusion de l’énergie nucléaire dans l’accord est soulignée comme une victoire par le président français Emmanuel Macron.

Intentions et actions

Certes, l’Accord entérine le triplement de la production des énergies renouvelables d’ici 2030, le doublement de l’efficacité énergétique, ainsi qu’une reconnaissance de la baisse rapide des coûts des énergies renouvelables. Logique, car la sortie des énergies fossiles ne se fera pas sans l’entrée dans les énergies renouvelables et les moyens nécessaires pour le faire. Ici encore tout est question d’intentions et de moyens. Car l’Accord de Dubaï acte des intentions qui ne seront validées que par les mesures concrètes que les pays prendront pour le mettre en œuvre au cours de la décennie à venir.

Un défi de taille quand on voit que certains des pays qui ont plaidé en faveur d’un langage fort sur la restriction des combustibles fossiles – notamment les États-Unis, le Canada, la Norvège et l’Australie – ont simultanément augmenté leur production de pétrole et de gaz. Ainsi, alors que M. Kerry et l’équipe de négociation du département d’État préconisaient l’abandon progressif des combustibles fossiles, les États-Unis, qui sont déjà le plus grand producteur de pétrole au monde, ont produit des quantités record de pétrole cette année. « La question de savoir s’il s’agit d’un tournant qui marque véritablement le début de la fin de l’ère des combustibles fossiles dépend des actions à venir », remarque en fin connaisseur de la diplomatie climatique l’ancien vice-président Al Gore dans un communiqué.

Nous ne tarderons pas à voir si cette COP tient les promesses qu’elle a actées. Pour ramener notre trajectoire sous les 1.5°C de l’Accord de Paris, il faudra réduire de 43% les émissions mondiales d’ici 2030, dans sept ans. Et de 60 % d’ici 2050. Aujourd’hui, nous sommes sur une trajectoire de 3°C à 4 °C, qui rend inhabitable une bonne partie de la Terre. A moins d’un sursaut collectif extraordinaire, ce n’est pas gagné.

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