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Un monstre de méthane, tapi sous l'Arctique, menace de se libérer dans l’atmosphère.
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Un monstre de méthane, tapi sous l’Arctique, menace de se libérer dans l’atmosphère

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La communauté internationale a feint, hier 13 décembre à Dubaï en clôture de la COP28, de découvrir le rôle désastreux des énergies fossiles sur le climat. Tout le monde ou presque a applaudi et a salué un événement « historique » : la prise de conscience —tardive de quarante ans ! — du nécessaire abandon des combustibles fossiles. Il serait temps car au même moment, une nouvelle étude nous rappelle l’urgence de concrétiser cet engagement. L’été 2023 a été le plus chaud, jamais enregistré dans l’Arctique, région du monde qui se réchauffe quatre fois plus vite que partout ailleurs. Une des conséquences est la fonte du pergélisol et la libération dans l’atmosphère de quantités astronomiques de carbone et surtout de méthane, l’un des gaz à effet de serre les plus dangereux. Nous sommes assis sur une bombe climatique à retardement et nous applaudissons.

Les scientifiques ne savent pas encore quelle est l’ampleur de la menace ni où elle frappera en premier, mais ce qui est clair, c’est que le sol gelé en permanence de l’Arctique, appelé pergélisol, est en train de fondre, menaçant de libérer de sa prison glacée d’énormes quantités d’un combustible fossile extrêmement puissant.

Le permafrost fond

Le permafrost (pergelisol en anglais) désigne des étendues immenses de sols gelés toute l’année. Il recouvre un bon quart des terres émergées de l’hémisphère Nord, en Russie, au Canada et en Alaska. Les sols de ces régions sont composés de masses de glace pure qui s’accumulent sur des épaisseurs allant de quelques centimètres à plusieurs centaines de mètres.

Ces sols gelés en permanence renferment 1 700 milliards de tonnes de CO2 piégés là depuis des millénaires sous forme de matière organique gelée, c’est-à-dire de restes de plantes pourries et d’animaux morts depuis longtemps, séquestrés dans les sédiments et recouverts ensuite par des couches de glace. Le chiffre de 1 700 milliards représente le double du dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère, dont on connaît les conséquences sur le climat actuel et futur.

Avec la hausse des températures, le permafrost se réchauffe et commence à fondre, libérant progressivement les gaz qu’il neutralisait jusque-là. Et le phénomène devrait s’accélérer, selon les scientifiques, qui décrivent un cercle vicieux : les gaz émis par le permafrost accélèrent le réchauffement, qui accélère la fonte du permafrost. Et en matière de réchauffement, l’Arctique bat en ce moment tous les records.

Un gaz toxique pour le climat

Contributeur majeur au changement climatique, le méthane (CH4) a un pouvoir de réchauffement sur 100 ans environ 30 fois supérieur à celui du CO2. Sur les vingt dernières années, ce gaz a quatre-vingt-quatre fois plus réchauffé la planète sur les deux dernières décennies que le dioxyde de carbone (CO2). Selon les Nations unies, le CH4 serait à l’origine d’environ 30% du réchauffement climatique depuis l’ère préindustrielle. Un quart des émissions anthropiques de ce gaz à effet de serre provient de l’exploitation mondiale du charbon, du pétrole et du gaz naturel, dont le CH4 est le principal composant.

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En février 2022, pour la première fois, une équipe de recherche internationale, pilotée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ) associé à la société Kayrros, a quantifié mondialement les plus abondantes des émissions de méthane libérées dans l’atmosphère par le secteur des hydrocarbures. Il peut s’agir de rejets accidentels ou liés à des opérations de maintenance, qui conduisent à des fuites très importantes. Les chercheurs ont pour cela analysé de façon systématique des milliers d’images produites quotidiennement pendant deux ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Ils ont ainsi cartographié 1 800 panaches de méthane à travers le globe, dont 1 200 ont été attribués à l’exploitation d’hydrocarbures. Ils estiment que ces « fuites » ont un impact climatique comparable à celui de la circulation de 20 millions de véhicules pendant un an. Cela, c’était sans compter la fonte du pergélisol et la libération du méthane piégé dans les glaces.

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Si le méthane piégé dans la glace se libère, cela pourrait sérieusement exacerber la crise climatique, et pourtant la plupart des recherches menées jusqu’à présent n’ont fait qu’effleurer la surface de la quantité de méthane qui se trouve sous le pergélisol. Une nouvelle tentative d’analyse systématique de la distribution du méthane en profondeur dans l’archipel norvégien du Svalbard publiée ce 13 décembre dans la revue scientifique Frontiers a révélé une nouvelle vérité effrayante.

Des accumulations considérables de méthane

En examinant les données de huit puits d’exploration forés par des entreprises de combustibles fossiles dans le pergélisol local, des chercheurs norvégiens ont constaté que la moitié d’entre eux contenaient d’importantes accumulations de méthane.

Cette découverte suggère que le méthane en profondeur, à deux mètres sous la surface, sous la partie gelée du sol, n’est pas difficile à trouver dans l’archipel et qu’il peut facilement migrer vers la surface lorsqu’il est « débloqué ». Cela vaut probablement aussi pour d’autres parties de l’Arctique, qui ont des origines géologiques similaires. « Tous les puits qui ont rencontré des accumulations de gaz l’ont fait par coïncidence. En revanche, les puits d’exploration d’hydrocarbures qui ciblent spécifiquement des accumulations dans des environnements plus typiques ont un taux de réussite bien inférieur à 50 % », explique le géologue et auteur principal Thomas Birchall, du centre universitaire de Svalbard.

« Un exemple anecdotique est celui d’un puits de forage récemment réalisé près de l’aéroport de Longyearbyen. Les foreurs ont entendu un bruit de bulles provenant du puits, nous avons donc décidé d’y jeter un coup d’œil, armés d’alarmes rudimentaires conçues pour détecter des niveaux explosifs de méthane – qui se sont immédiatement déclenchées lorsque nous les avons tenues au-dessus du puits de forage ».

Malgré plus de 50 ans de forage par des entreprises d’énergie fossile, il s’agit de la première étude à analyser systématiquement la quantité de méthane qui se trouve à la base du pergélisol du Svalbard. À l’heure actuelle, il n’existe pas d’estimation claire permettant de prédire la quantité de méthane qui s’échappe actuellement du pergélisol arctique. Il y a tout simplement trop d’inconnues.

Les recherches menées actuellement au Svalbard s’appuient sur des données provenant de 18 puits de prospection d’hydrocarbures, d’environ 500 forages de prospection de charbon et de 10 forages scientifiques. Les résultats mettent en évidence certaines régions préoccupantes. Alors que le pergélisol des vallées du Svalbard semble constituer un scellant efficace en tant que « couvercle cryogénique », empêchant le méthane en profondeur de s’échapper dans l’atmosphère, les zones montagneuses forment des barrières beaucoup moins solides, ont constaté M. Birchall et ses collègues.

Cela s’explique très probablement par le fait que le pergélisol des vallées est formé par la nappe phréatique sous-jacente, qui crée un sceau de glace épais et imperméable qui peut rapidement s’auto-régénérer par le bas. Dans ce cas, les chercheurs ont pu détecter une augmentation de la pression à mesure que le gaz s’accumulait dans les trous de forage.

En revanche, les zones d’altitude disposent de moins d’eau, ce qui entraîne la formation d’une glace plus fine et plus irrégulière sur le sol gelé du pergélisol. Lorsque les compagnies d’énergie fossile forent dans ce type de paysage, elles ont tendance à trouver moins d’hydrocarbures gazeux, car ceux-ci ont déjà migré soit vers une autre zone du pergélisol à travers des caractéristiques géologiques, soit dans l’atmosphère, soupçonnent les chercheurs.

Il reste encore beaucoup à faire pour bien comprendre comment le pergélisol de l’Arctique retient les gaz, mais les auteurs de l’étude actuelle concluent que « les systèmes de fluides souterrains du Svalbard sont dans un état de déséquilibre et qu’une migration généralisée d’hydrocarbures est probablement en cours à l’heure actuelle ».

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Alors certes, on peut se réjouir benoitement des résultats de la COP28, on peut dire « mieux vaut tard que jamais » en saluant la prise de conscience internationale du rôle néfaste des énergies fossiles sur le climat, on peut se forcer à l’optimisme pour ne pas lasser ni démoraliser les troupes, il n’en demeure pas moins que les actions à prendre concrètement, laissées à la bonne volonté des États, sont de plus en plus urgentes et coûteuses. À cet égard, les résultats de la dernière COP28 laissent amèrement perplexes.

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