Si rien n’est fait rapidement pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, la France risque de sauter dans l’inconnu. Avec des températures flirtant allègrement avec les 50°C, des périodes caniculaires longues, des nuits tropicales étouffantes, une sécheresse transformant nos prairies verdoyantes en plaines arides, le climat des cinquante dernières années de ce siècle n’aura plus rien à voir avec celui que nous connaissons. C’est ce qu’indique Météo-France dans un rapport alarmant, synthèse de très nombreuses données climatiques, qui vient d’être rendu public.
En pleine controverse sur le niveau d’ambition du projet de loi issu de la Convention citoyenne climat et alors qu’une décision est attendue cette semaine dans la procédure intentée par plusieurs ONG contre l’Etat pour inaction climatique, le pire scénario étudié place la France métropolitaine sur une trajectoire de +3,9 degrés par rapport à la température moyenne de la période de référence (1976/2005).
Un score situé bien au-delà des objectifs de l’accord de Paris de limiter le réchauffement « nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels », si possible sous 1,5°. Or, selon les experts, le réchauffement depuis l’ère pré-industrielle approche déjà un degré. Et la France, qui s’est engagée à réduire de 40% ses émissions d’ici à 2030 par rapport à 1990, a dépassé les budgets carbone qu’elle s’était elle-même fixés.
Ce seuil de 1,5°C pourrait même être franchi dès 2024, tandis que 2020, avec son lot d’ouragans, de canicules et de méga-feux, a été l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde, à égalité avec 2016, clôturant une décennie de températures record.
Accélération sans précédent
Météo-France, dont la présidente Virginie Schwarz rappelle en introduction à cette nouvelle publication que « toutes les observations recueillies à l’échelle planétaire confirment une accélération sans précédent du changement climatique », a travaillé avec l’Institut Pierre Simon Laplace et le Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique.
A partir de modélisations effectuées pour l’Onu, les chercheurs ont réalisé des projections selon les trois scénarios des experts du Giec (émissions de gaz à effet de serre maîtrisées, modérées ou non-réduites) et selon trois horizons de temps – 2050, 2070 et 2100. Les données mises en ligne sont travaillées à l’échelle régionale, avec l’objectif de favoriser les initiatives d’adaptation au changement climatique des territoires.
Au niveau national, le réchauffement est contenu, dans les trois scénarios étudiés, à autour de 1 degré jusqu’en 2040. Mais les trajectoires divergent ensuite fortement. Si la hausse est stabilisée autour de +1° dans un scénario d’émissions maîtrisées, l’augmentation atteint +2,2° en moyenne dans le scénario intermédiaire et s’envole à +3,9° en moyenne (et +4,5° au pire) dans le scénario de fortes émissions.
Les records absolus enregistrés lors de la canicule de l’été 2019 – avec 46 degrés dans le sud de la France – pourraient alors être souvent dépassés, avec une augmentation des températures estivales moyennes de 6 degrés. Dans le pire scénario, les épisodes caniculaires seraient ainsi multipliés par 10.
On pourrait donc ainsi s’attendre à 20 à 35 jours de canicule en moyenne par an dans le scénario 4,5. Pour mémoire, nous n’avons compté que trois à quatre jours de ce type sur la période 1976-2005. Cette hausse pourrait s’étendre à même un ou deux mois entiers l’été avec des températures voisines de 50° dans les régions françaises les plus chaudes comme l’arc méditerranéen, le couloir rhodanien ou la vallée de la Garonne.
Nuits tropicales torrides
Quant aux « nuits tropicales », où la température ne redescend pas sous les 20 degrés et met à mal la récupération du corps humain, les chercheurs projettent que dans le pire scénario « en fin de siècle, seules les zones de montagne et le littoral de la Manche restent quasi épargnés tandis qu’on enregistrerait 30 à 50 nuits par an et même trois mois de nuits insoutenables dans les régions les plus chaudes comme l’arc méditerranéen.
De leur côté, les épisodes de sécheresse augmentent de 30 à 50% dans les scénarios moyen et haut. Et ce, même si l’évolution du régime de précipitations est plus difficile à prévoir, attendu en légère hausse en hiver mais en nette baisse en été (plus de 20% dans le pire scénario).
Côté phénomènes météo extrêmes, les chercheurs se heurtent aux « incertitudes », mais alertent sur la possibilité de voir augmenter l’intensité des pluies extrêmes, ou des vents forts dans le quart nord-est du pays. A contrario, la neige et le gel en hiver pourraient ne devenir que de vieux souvenirs. Les projections régionalisées montrent en effet une hausse de la température annuelle moyenne jusqu’à 6 degrés sur certaines zones des Alpes et des Pyrénées.
« Ce rapport montre bien la vulnérabilité de la France au changement climatique. Il présente des températures un peu plus élevées que les précédentes projections, ainsi qu’une baisse des précipitations plus marquée sur le sud du pays », synthétise le climatologue Jean Jouzel interrogé par Le Monde.
Avec AFP