En avril 2019, à l’issue du Grand débat national organisé en réponse au mouvement des Gilets jaunes, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’une « convention citoyenne pour le climat ». 150 citoyennes et citoyens tirés au sort ont été appelés à « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ». Dès la publication des propositions de la convention, les principaux secteurs industriels concernés (automobile, aéronautique, agrochimie, publicité) se sont lancés dans une grande offensive de lobbying pour obtenir leur détricotage : abandon de certaines échéances, repoussées pour d’autres, réduction de leur périmètre et de leur portée, exemptions… Ils semblent, selon un rapport-enquête de l’Observatoire des multinationales, rendu public ce 8 février, avoir largement réussi.
Les citoyens de la convention citoyenne pour le climat ont rendu leurs conclusions en juin 2020, alors que la France sortait de la première vague de l’épidémie de Covid-19. Leurs 149 propositions sont réparties en cinq grands thèmes : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir. Le 29 juin, Emmanuel Macron annonce qu’il retient l’ensemble des propositions, à l’exception de trois. Un sondage d’opinion suggère alors que ces propositions sont soutenues par une large majorité de Français.
Le compte n’y est pas.Ce 10 février 2021, le gouvernement doit présenter en conseil des ministres le projet de loi censé donner suite à ces propositions. Il sera examiné par le Parlement au printemps, complété par un projet de modification de la Constitution, soumise à référendum, pour inscrire la protection de la biodiversité, de l’environnement et du climat dans son article premier. Si le pouvoir assure que l’essentiel des propositions de la convention se retrouve bien dans le projet de loi, pour les organisations écologistes et une partie des « citoyens » réunis dans l’association « Les 150 », le compte n’y est pas. Un avis partagé par le Conseil national de la transition énergétique et le Conseil économique, social et environnemental.Durant ces dernières années, une grande partie du débat politique autour du climat s’est focalisé sur l’objectif général de réduction des émissions de gaz à effet de serre : fallait-il les réduire, de combien et à quelle échéance ? L’industrie pétrolière, principale émettrice au niveau global, a déployé des efforts considérables durant plusieurs décennies pour faire obstacle à toute action décisive dans ce domaine. Elle apparaît à juste titre dans l’opinion comme l’ennemi public numéro un du climat.
La convention climat illustre le passage à une deuxième étape de la bataille. L’objectif général est acquis – celui d’une réduction de 40% des émissions françaises d’ici 2030, comme précisé dans le mandat donné aux citoyens. La question qui demeure est celle de comment y parvenir, ce qui implique de s’attaquer aux facteurs structurants de nos émissions : le transport de personnes et de marchandises, le logement, le système agricole industriel, l’artificialisation des sols, etc. On est donc désormais « dans le dur », et on touche à un ensemble beaucoup plus vaste d’intérêts économiques solidement établis. On touche également plus directement aux habitudes de consommation du grand public, ce que les industriels ne manquent pas d’exploiter à leur profit.
Deuxième ligne d’obstruction climatique
Face à la convention citoyenne, c’est donc une deuxième ligne d’obstruction climatique qui occupe le devant de la scène et qui s’est mobilisée conjointement contre toute mesure ambitieuse. Ceci ne signifie pas que les intérêts liés aux énergies fossiles aient quitté la scène. Mais ils sont moins en évidence, ou agissent à travers d’autres secteurs industriels. Les arguments mobilisés sont dans les deux cas les mêmes : le coût trop onéreux d’une vraie transition (surtout pour ces industries elles-mêmes) et la promesse de futures technologies qui règleront le problème un jour. Si ces industries acceptent les objectifs climatiques tant qu’elles ne sont pas directement concernées, elles veulent maintenir un laisser-faire total quant aux moyens de les atteindre… ou pas.
Les lobbys contre-attaquent
Au début, les milieux d’affaires n‘ont pas pris la convention pour le climat très au sérieux. Ils n’en ont été que plus choqués lorsque les citoyens ont dévoilé leurs propositions et lorsqu’Emmanuel Macron, sur fond de vague écologiste aux élections municipales, s’est engagé à transmettre 146 d’entre elles « sans filtres » au Parlement. Les industries concernées se sont alors lancées dans une offensive de lobbying tous azimuts pour les réduire à néant, en mobilisant tous leurs leviers d’influence et leurs alliés habituels, y compris au cœur même de l’État.
Les industriels se sentant menacés ont sonné la mobilisation générale de toutes leurs troupes : en première ligne de front, les associations professionnelles sectorielles, chargées de défendre les intérêts communs de toute une industrie au niveau national ou international – comme l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA), la Plateforme française de l’automobile (PFA), ou encore l’IATA(International Air Travel Association) pour le secteur aérien. C’est ainsi que face aux propositions de la convention citoyenne, le secteur automobile n’a plus parlé que de voiture électrique, le secteur aérien d’« avion vert » et la publicité de sa contribution à la transition énergétique.
Ensuite, les organisations patronales, comme le Medef ou l’Association française des entreprises privées (Afep), qui interviennent en soutien des différents secteurs et traitent les questions transversales touchant au droit ou à la fiscalité. Bras armé de ces organisations, les cabinets de lobbying comme Boury Tallon ou Batout Guilbaud (mobilisé par Air France sur le dossier de la convention citoyenne), ainsi que des spécialistes de la communication et de la réputation comme FleishmanHillard, des cabinets d’avocats d’affaires, dont le rôle sera de mettre en avant un argumentaire juridique anti-régulation.
Enfin, au cœur du pouvoir, les industriels ont mobilisé des responsables politiques locaux ou nationaux proches des secteurs visés, ou issus de communes ou circonscriptions où sont établies leurs usines. De nombreux élus du Sud-ouest de la France sont ainsi montés au front ces derniers mois pour défendre le secteur aérien. Pour faire bonne mesure, des alliés potentiels ont été trouvés dans le monde syndical, inquiet pour l’emploi, voire dans des associations « de base » créées de toutes pièces ou entretenant la confusion entre défense des consommateurs et défense des industriels, comme en France « 40 millions d’automobilistes ».
Toute cette armada réunie parce qu’au fond, « la convention citoyenne a créé une brèche dans le confortable entre-soi qui s’est installé depuis des années entre les industriels et les responsables politiques et administratifs chargés de les réguler » écrivent les rapporteurs.
Un entre-soi confortable battu en brèche
Cet entre-soi résulte de plusieurs facteurs : la multiplicité des structures de concertation ou de régulation où hauts fonctionnaires et industriels se côtoient quotidiennement, la similitude de leurs profils sociaux et professionnels et leur recrutement dans les mêmes écoles, ou encore les « portes tournantes », c’est-à-dire le recrutement de responsables publics par le secteur privé ou inversement (comme Luc Chatel, ancien ministre aujourd’hui patron du lobby de l’automobile). Il est aussi entretenu par l’organisation d’événements spécifiquement dédiés, comme les « rencontres » organisées par M&M Conseil, où décideurs et industriels peuvent se côtoyer « entre gens sérieux », à l’abri de toute opinion divergente.
Sans surprise, les industries concernées ont donc été chercher leurs principaux alliés…dans les ministères.Sans surprise, les industries concernées ont donc été chercher leurs principaux alliés…dans les ministères. C’est ainsi qu’on a vu le ministre des Transports s’opposer à l’« aviation-bashing » ou encore le ministre de l’Agriculture s’opposer à une « écologie de l’injonction ». L’un des instruments privilégiés de ce lobbying interne à l’État aura été la rédaction d’études d’impact destinées à décrédibiliser les propositions des « citoyens ». Un premier exemple est la note de la Direction générale de l’action civile (DGAC) évaluant le coût de l’écocontribution sur les billets d’avion à 3 milliards d’euros et 70 000 emplois – un chiffre ensuite largement repris par l’industrie. Un autre exemple est la note du ministère de l’Agriculture étrillant la proposition d’une redevance sur les engrais de synthèse pour son « manque de pertinence » et ses risques pour la « compétitivité ».Dans les deux cas, ces études ont été contestées pour leur méthodologie rudimentaire et pour la non-prise en compte des bénéfices environnementaux et économiques associés aux propositions. Il est pourtant possible que ce processus de neutralisation se poursuive au-delà des ministères concernés. Selon La Lettre A, l’étude, qui « sert de base argumentaire aux lobbyistes de l’aérien » a été « menée sous la houlette » de Patrick Gandil, patron de la DGAC. Celui-ci a entre-temps rejoint les rangs du Conseil d’État, lequel est justement chargé d’évaluer… l’impact du projet de loi.
Ce contexte permet peut-être de comprendre les charges violentes et méprisantes de nombreux représentants de l’industrie contre des citoyens « pas sérieux », ignorants des réalités économiques et techniques, qui n’auraient pas suffisamment consulté les gens compétents, ou qui auraient été manipulés par des fanatiques écolos et leurs propositions « radicales ». Ce qui leur est au fond reproché, c’est précisément d’avoir court-circuité cet « entre-soi », qui a toujours servi de redoutable machine à neutraliser les ambitions réformatrices et à éviter les mesures contraignantes.
Affrontement pour le « monde d’après »
Les propositions de la convention citoyenne pour le climat ont été élaborées et rendues publiques dans un contexte particulier, celui de l’épidémie de Covid-19, marqué par la thématique du «monde d’après». Le confinement du printemps 2020 a montré la possibilité d’un monde où l’on travaillerait et consommerait autrement, et où les déplacements en voiture et surtout en avion seraient moins nécessaires. Les citoyens de la convention ont donc semblé donner corps à une certaine vision de ce « monde d’après » plus écologique et solidaire. En même temps, cependant, la crise sanitaire a frappé de plein fouet les secteurs économiques ciblés par leurs propositions, comme l’aérien et l’automobile. De sorte que l’épidémie a aussi servi de justification pour ne pas aller trop loin dans les réformes, afin de ne pas fragiliser encore plus ces industries. « Une nouvelle taxe sur les véhicules, dans ce contexte économique et sanitaire très préoccupant, serait une catastrophe pour le secteur automobile et l’industrie française tout entière », a ainsi fait valoir l’association 40 millions d’automobilistes.
De l’écologie punitive aux lampes à huile des Amish
Ce contexte explique sans doute que l’offensive de lobbying contre les propositions de la convention se soit singulièrement placée sur le terrain de la confrontation des imaginaires et des visions du monde. Une sorte de guérilla anti-écolo a été orchestrée par les milieux d’affaires et leurs soutiens, puisant dans des clichés anciens – comme celui de la « lampe à huile » ou encore celui des « Amish » repris à son compte par Emmanuel Macron lui-même. « Ce que vise la convention, c’est revenir à l’économie du confinement à perpétuité », résume sans rire le chroniqueur de TF1 François Lenglet à l’annonce des propositions.
Dans le même registre, les propositions des citoyens de la convention sont systématiquement présentées comme l’expression d’une écologie « radicale » et « extrémiste », acquise à l’idéologie de la « décroissance », voire de l’« effondrement ». Autre reproche : ces propositions seraient basées sur une logique « punitive » d’interdiction et de taxation. D’où l’accusation de « populisme écolo » ou d’« alimenter le populisme », selon les termes du fabricant de pesticides BASF. Ce motif de l’« écologie punitive », omniprésent dans les discours des lobbys depuis quelques années, participe d’une remise en cause du principe même de la régulation climatique et environnementale. Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour dénoncer les citoyens de tendances « écolo-totalitaires ». Un journaliste proche de l’industrie automobile est allé jusqu’à comparer les propositions sur les SUV à l’obligation de porter l’étoile jaune…
Enfin, les opposants à la convention ne manquent pas une occasion de suggérer que les « citoyens » auraient été les marionnettes consentantes ou non d’un complot écologiste. « Je me dis que ce ne sont pas eux qui ont écrit leurs propositions tellement ils avaient du mal à répondre à nos questions », a par exemple déclaré la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, tandis que des chroniqueurs évoquaient « une assemblée de rencontre, et passablement manipulée » ou des « membres pas totalement choisis au hasard ».
La divine technologie comme solution à tous les problèmes
À cette écologie punitive et populiste attribuée aux « citoyens », les industriels opposent généralement leur foi dans le progrès et la technologie pour résoudre le problème du climat. Il faut dire qu’en même temps que les propositions de la convention citoyenne se discutaient, divers plans de sauvetage ou de relance étaient menés, avec à la clé d’importantes aides publiques directes ou indirectes. Raison supplémentaire de mettre en avant, de façon très opportuniste, des promesses technologiques vertes comme la voiture électrique, l’avion décarboné ou l’hydrogène.
À cette écologie punitive et populiste attribuée aux « citoyens », les industriels opposent généralement leur foi dans le progrès et la technologie pour résoudre le problème du climat.De nombreux secteurs industriels ont ainsi élaboré au cours de l’année leurs propres « propositions » ou « programmes d’avenir », insistant incidemment sur le besoin de soutien public à l’industrie et faisant office de contre-feu aux préconisations des « citoyens ». Quelques jours avant la publication de ces dernières a ainsi été lancé un nouveau pôle énergie-climat au sein de Rexecode, l’institut d’études patronal, financé par plusieurs grandes entreprises et fédérations industrielles. Quelques jours avant la présentation du projet de loi en conseil des ministres, ce pôle a publié une étude suggérant que les mesures du plan de relance étaient largement suffisantes pour que la France atteigne ses objectifs climatiques. Les experts du Haut conseil pour le climat avaient rendu un avis bien moins favorable en appelant le gouvernement à « renforcer la compatibilité du plan de relance avec l’objectif de neutralité carbone ». De son côté, le cabinet de consultant BCG, partenaire historique du secteur aérien, publiait en juillet une étude sur la « relance durable » réalisée pour le compte d’Entreprises pour l’environnement, le lobby écolo du CAC40.La société M&M Conseil, émanation du cabinet de lobbying Boury Tallon – qui compte parmi ses clients des entreprises directement concernées par la convention comme Air France et BASF —, s’est également positionnée sur ce créneau en organisant à partir de juin 2020 une série de « rencontres » autour des thèmes de la transition. Le principe de ces événements financés par les entreprises est de réunir des élus et des industriels pour discuter « entre gens civilisés », à l’abri des voix critiques. Une de ces rencontres, sur « l’accélération écologique » en septembre 2020, financée par BASF (agrochimie) et Coenove (gaz vert), a permis à des représentants de ces entreprises et de la FNSEA de dialoguer avec les parlementaires qui seront chargés d’examiner le projet de loi convention citoyenne. Quelques semaines plus tard, c’était Total qui était invitée à parler d’agrocaburants pour le transport aérien.
Le secteur aérien est sans aucun doute celui qui aura le plus tiré sur la corde du solutionnisme technologique. Thales, Airbus et surtout Safran ont rivalisé de zèle pour défendre la cause de l’« avion décarboné » et de l’hydrogène, séparément ou collectivement à travers des événements comme le Paris Air Forum de novembre 2020. En octobre, le groupe Safran a entrepris d’inviter quelques-uns des 150 citoyens à visiter une de ses usines, à l’initiative du député LREM de Toulouse, Mickael Nogal. Dans ses efforts de séduction, cette industrie a pu compter sur le soutien de Bertrand Piccard, l’ingénieur, aéronaute, psychiatre et investisseur suisse associé à l’avion solaire « Solar Impulse », qui a pris position dans la presse contre l’« aviation-bashing » et les propositions de la convention citoyenne. Une caution verte particulièrement bienvenue.
Guerre des plateaux
L’offensive de lobbying contre les propositions des citoyens se déploie à plusieurs niveaux à la fois : à travers les arguments économiques habituels sur la compétitivité, et la menace de pertes d’emploi ou de hausse de prix pour les consommateurs ; sur le plan des imaginaires, en dénonçant la vision du monde « décroissante » et « punitive » attribuée aux citoyens ; et enfin par la disqualification des citoyens jugés « ignorants » au profit d’« experts » liés plus ou moins directement à l’industrie. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’elle trouve un terrain privilégié non seulement dans les couloirs des ministères, mais aussi dans les médias – et, de plus en plus, les réseaux sociaux.
Dégénérescence du débat public pour le plus grand profit des industriels.Cette offensive est d’ailleurs remarquablement concentrée dans un petit nombre de médias qui ne sont pas, dans leur majorité, des titres économiques : les prises de position des opposants aux « citoyens » apparaissent certes dans Les Échos pour les arguments les plus techniques, mais aussi et surtout dans Le Figaro, L’Opinion, Le Point ou encore dans des chaînes d’information continue comme Cnews, qui ont en commun une ligne éditoriale résolument conservatrice. Tous accordent une place de choix aux critiques les plus féroces de la convention, et mettent en scène des débats pseudo-contradictoires où les citoyens et leurs soutiens sont sous-représentés ou carrément absents. Sur les plateaux télévisés, la discussion politique contradictoire a cédé la place à l’invective. Pendant plusieurs semaines, les « experts » n’ont cessé de se plaindre du « fanatisme écolo » et « des khmers verts ». « On a assisté à une dégénérescence du débat public pour le plus grand profit des industriels », juge l’Observatoire des multinationales, qui dénonce également des conflits d’intérêt. Il n’est en effet pas anodin de rappeler que ces médias sont la propriété d’hommes d’affaires et de grands groupes industriels, dont certains comme Dassault (propriétaire du Figaro) ou Vivendi de Vincent Bolloré (propriétaire du groupe Canal+ dont Cnews) sont directement intéressés aux propositions de la convention. D’autre part, nombre de journalistes et chroniqueurs qui ont pris position contre les préconisations des « citoyens » cumulent leur travail régulier avec des prestations rémunérées (régulières ou occasionnelles) pour le compte d’entreprises directement impactées par les mesures de la convention citoyenne..En corrélation avec les médias, un rôle considérable aura été joué dans le débat sur la convention climat par des « think tanks » d’inspiration néolibérale. L’Institut Montaigne a par exemple regretté que les « citoyens » aient privilégié le recours à des régulations contraignantes plutôt que des mécanismes de marché. Dès 2019, de manière préemptive, il avait rendu public un sondage suggérant que les Français jugeaient la convention citoyenne « inutile ». De même, le directeur de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) a vertement critiqué les propositions de la convention à la télévision et à l’occasion d’une journée organisée par l’Union française des semenciers, où il a dénoncé des citoyens « compétents en rien, élus par personne ». De son côté, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques — l’Ifrap — a multiplié les notes pour dénoncer le coût exorbitant des propositions de la convention. D’autres think tanks moins connus sont également intervenus activement dans les médias, comme l’Institut Sapiens. Or tous ces « instituts » et ces « fondations » sont financés de fait par les grandes entreprises. Y a-t-il un hasard à ce qu’ils défendent des positions favorables à leurs intérêts ?
Tournant libertarien assumé
Les thématiques développées par ces organisations d’influence ont depuis longtemps dépassé le simple climato-scepticisme. Elle se caractérisent par une orientation délibérément libertarienne, étroitement liée à la conviction que « l’innovation » apportera toutes les réponses aux problèmes écologiques. C’est pourquoi elles puisent souvent dans des idées d’inspiration « transhumanistes » de dépassement de la condition humaine à travers la technologie.
Ces discours se font notamment entendre à propos de l’aviation : « L’humain a besoin de l’avion pour son propre développement », déclare ainsi l’essayiste et chroniqueur Nicolas Bouzou, fondateur du cabinet de lobbying Asteres, au Paris Air Forum. C’est même « un outil au service de l’humanisation », précise-t-il lors d’une rencontre organisée par Students for Liberty, un mouvement fondé en en 2008, qui s’inscrit dans le projet libertarien de former des intellectuels pour mener la « bataille des idées » dans les universités et au sein des grandes institutions publiques et privées. La stratégie de Students for Liberty, élaborée aux États-Unis et également adoptée en France sous le nom « Les Affranchis », consiste à se présenter comme une organisation défendant « toutes les libertés », y compris en matière de consommation d’alcool, de drogues et de tabac ou de sexualité, pour mieux faire passer son message de libéralisme économique radical et de refus de la régulation publique.
L’Institut Sapiens, think tank néolibéral et pro-technologie, et son directeur Olivier Babeau, incarnent bien ces orientations. « En lisant les propositions de la ‘convention citoyenne’ on reste ahuris par tant de bêtises, de simplismes, d’inconséquence… Elles transformeraient la France en Venezuela en deux mois », réagissait-il sur Twitter. Dans une tribune publiée par Figaro Vox, d’ailleurs citée avantageusement dans un communiqué de presse de BASF, il enfonce le clou : la convention aurait été « détournée en porte-voix des élucubrations écolo-totalitaires les plus folles… Le projet est l’abolition du droit de propriété et la détermination, par des fonctionnaires de l’État vert, de la façon dont vous devez rechercher le bonheur. »
Cette « coalition de l’inertie » contre la lutte pour le changement climatique s’est révélée à l’occasion de la convention citoyenne. Mais son influence va au-delà d’elle et, estiment les auteurs du rapport, « apparaît plus que jamais comme un obstacle à toute réelle action climatique ». C’est dans ce contexte que l’on peut lire le tweet publié par Emmanuel Macron ce 7 février, se félicitant d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 1,7% en 2019 dans le pays. Un résultat qui va « au-delà de notre objectif », écrit le chef de l’Etat qui promet d' »encore accélérer » avec la loi climat présentée mercredi en Conseil des ministres. « C’est le résultat d’une écologie du concret et du progrès. C’est le fruit de nos efforts à tous », se félicite-t-il aussi, oubliant de préciser que l’objectif initial de baisse était de 2.3 %, et que, jugé intenable, il avait été ramené par le gouvernement à 1.5 % il y a tout juste six mois.
Cette inertie puissante face à l’urgence climatique perdure malgré les coups de semonces de la société civile. Le tribunal français jugeant l’Etat « responsable » de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique fait à cet égard figure de symbole.
Source : Rapport de L’Observatoire des multinationales
Image d’en-tête : Photo Sébastien Calvet/Les Jours
Bel exemple de complotisme; les méchants contre le bon populo. Le traditionnel clivage. De quoi pleurer…de rire. La convention citoyenne n’a jamais eu pour objet de légiférer sur le climat, mais d’être un groupe de réflexion sur ce sujet. Comme beaucoup d’autres groupes, dans lesquels d’autres citoyens réfléchissent et s’expriment. On ne peut pas prendre toutes leurs propositions, sans en avoir évalué la « faisabilité » et l’opportunité. L’idéalisme, est un phare qui se heurte à la réalité de la vie. Il faut cesser de croire que la France, avec ses 1% de la population mondiale, va sauver la planète…Quant à la… Lire la suite »