Le Conseil d’Etat a donné neuf mois à l’Etat pour prendre des mesures supplémentaires pour respecter les engagements de la France contre le changement climatique. Une décision inédite susceptible d’alimenter le débat de la campagne présidentielle.
Saisi par Grande-Synthe, commune du Nord qui s’estime menacée par la montée du niveau de la mer, le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative française, a relevé que les trajectoires actuelles de la France ne lui permettaient pas de respecter ses engagements dans le cadre de l’accord de Paris. Il a donc ordonné « au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (…) afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs » de la France dans le cadre des Accords de Paris, soit la baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Le Conseil d’Etat a donné au gouvernement jusqu’au 31 mars 2022, soit en pleine campagne pour la présidentielle, pour justifier de ses actions. Il reviendra ensuite aux magistrats de « décider si tout va bien ou s’il convient de poursuivre » : « si les mesures sont toujours insuffisantes », le Conseil aura la possibilité de prononcer une astreinte financière. Un processus assez long qui n’aboutira toutefois pas avant le scrutin présidentiel, mais devrait alimenter le débat sur le bilan contesté d’Emmanuel Macron en matière de lutte contre le réchauffement.
Cette décision, sans précédent en France, intervient juste après que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) a estimé une nouvelle fois mardi dans son rapport annuel que « les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs » de la France. Malgré une baisse des émissions de -1,9% en 2019 et de -9,2% estimé pour 2020, chiffre exceptionnel dû à la mise à l’arrêt de l’économie par la pandémie de Covid-19.
L’action insuffisante voire l’inaction de l’Etat est inlassablement dénoncée par les organisations non gouvernementales et les défenseurs de l’environnement. Le contraste est en effet saisissant entre l’accélération du dérèglement climatique et l’inertie des États. Le dernier événement en date — la chaleur inédite qui s’abat sur l’Ouest américain et sur le Canada — prouve si besoin était l’emballement du climat. Les commentateurs ne cessent de s’étonner des « records » de température qui tombent les uns après les autres — près de 50°C au Canada cette semaine. Or, les spécialistes savent et alertent depuis longtemps que ces événements extrêmes sont appelés à se multiplier partout dans le monde. Et la France n’est pas à l’abri. Comme le titre Libération, « elle n’y coupera pas ». Le climatologue Jean Jouzel, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), rappelle fréquemment que les températures en France pourraient être de l’ordre de 50 degrés, voire 55 degrés sur l’Est de la France à partir de 2050. Et peut-être avant car les climatologues ne se demandent plus « si » ces événements vont arriver mais « quand ».
Le tocsin dans le désert
L’urgence climatique ne fait pas de doute mais le tocsin semble sonner dans le désert. Même le dernier rapport du Giec dont plusieurs éléments ont fuité la semaine dernière dans la presse, malgré son contenu singulièrement alarmant, a laissé le monde des décideurs politiques indifférent. Nicolas Hulot s’est dit « atterré » face au manque de « réaction de la classe politique ». « De droite ou de gauche, chacun devrait en prendre acte et dire que maintenant c’est la priorité », a réclamé l’ancien ministre de l’Environnement démissionnaire d’Emmanuel Macron, mercredi 30 juin sur France Info. L’écologiste estime désormais que « toute politique publique doit être pensée à l’aune de cette perspective » de l’urgence climatique. « Ce qu’on pouvait faire en trente ans, on va devoir le faire en quelques années », a-t-il expliqué. S’il n’y a aucun changement, il prévient : « Il y a un moment où on ne va plus pouvoir regarder nos enfants dans les yeux ».
À l’approche de la présidentielle, Nicolas Hulot estime que le sujet de l’urgence climatique ne doit plus concerner qu’un seul parti. « Aucun candidat ne sera crédible si ce sujet n’est pas sa priorité dans sa réflexion, ou alors il y a une forme de déni, a-t-il insisté. On est dans un moment historique pour l’histoire de l’humanité. Chacun doit prendre ses responsabilités. Si c’est de nouveau un sujet de division, de moquerie, ou de caricature, on va aller dans le mur ».
Le jugement « historique » du Conseil d’Etat va sans doute créer un précédent. Selon Marta Torre-Schaub, directrice de recherche CNRS et spécialiste du contentieux climatique, citée par Le Monde, « désormais, les juges peuvent contrôler l’action ou l’inaction de l’Etat par rapport aux trajectoires de réduction des émissions, non seulement passées mais aussi celles à venir. »
« L’étau se resserre autour de l’Etat », a commenté de son côté Celia Gautier, porte-parole de l’Affaire du siècle, coalition de quatre ONG qui s’était jointe à l’action de Grande-Synthe et poursuit également l’Etat pour « inaction climatique » dans une autre procédure. Soutenues par une pétition signée par plus de 2,3 millions de personnes, elles ont obtenu en février une première condamnation de l’Etat, reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement.
La décision du Conseil d’Etat de ce 1er juillet condamne les autorités étatiques à respecter leurs engagements. Mais, ce faisant, elle enjoint implicitement les entreprises, les organisations, les citoyens, c’est-à-dire l’ensemble des Français à prendre chacun leur responsabilité face à l’urgence climatique. Il faut espérer que face à la pression des événements climatiques et de la société, il va désormais devenir difficile, pour ceux qui en seraient tentés, de persister dans les postures de déni et les stratégies de l’autruche.
Avec AFP
Avec la pandémie la majorité des gouvernants ont donné un coup de frein sans précédent à l’économie mondiale et ils ont pris des mesures de restriction des libertés individuelles sans précédent. L’urgence climatique commande de prendre des mesures à effet immédiat d’une ampleur comparable; néanmoins à ce jour, je n’en vois aucune. Tous les jours, on se lamente en constatant l’ampleur et l’accumulation des effets du dérèglement climatique et l’inaction des uns et des autres. Les actions et mesures prises comme – la loi climat résilience, la saisie de la justice pour non conformité avec l’accord de Paris, l’appel à… Lire la suite »