BILLET D’HUMEUR
Ce ne sont pas des écolos barbus vêtus de pulls aux manches trop longues tricotés en laine vierge qui le disent. Non. Ce sont des financiers au costume taillé dans les meilleures étoffes, des habitués des conseils d’administration et hautes tours de headquarters. Un consortium réunissant des représentants des plus grandes firmes mondiales a fait ses comptes. Les bouliers, calculateurs et autres machines intelligentes ont sérieusement chauffé pour répondre à une question de nature désormais existentielle : combien coûterait une planète décarbonée, habitable pour les générations futures menacées par les dérèglements climatiques causés par les activités humaines ? La réponse tient en un chiffre : 3 000 milliards de dollars. Un chiffre qui paraît astronomique et qui ne dit rien en soi mais qui, mis en perspective, est parfaitement dérisoire : il représente 1.3 % de la richesse mondiale accumulée en une année.
Ainsi, en distrayant 3 000 milliards des usages habituels (dividendes, investissements spéculatifs, yachts, jets et autres placements juteux dans le pétrole), on pourrait sauver l’humanité d’un destin invivable.
Le rapport de la Commission pour la transition énergétique (CTE) fait une centaine de pages, et traduit le travail d’un panel d’industriels, dont certains sont des majors mondiaux dans leur secteur, des financiers et des acteurs de poids des énergies. Leurs chiffres – dont ils sont orfèvres et auxquels ils font par nature confiance dans la conduite de leurs actions — aboutissent à ce résultat : le coût de la transition énergétique mondiale sera d’environ 3 000 milliards de dollars par an d’ici à 2050. Le rythme des dépenses annuelles ne sera pas linéaire : il devra passer de 3 000 milliards avant 2030 à 4 500 milliards en 2040, date à laquelle il baissera jusqu’en 2055.
Dans ce chiffre, les calculateurs ont intégré les coûts pour la production d’énergies (renouvelables), pour les réseaux de distribution, pour le stockage (batteries), pour les bâtiments, l’industrie, les transports, etc. Sur ces 3 000 milliards, 1 400 devraient être dépensés pour les pays riches, 800 pour la Chine et 900 pour les pays moins développés. A ceux-ci, le CTE prévoit de rajouter 300 milliards pour stimuler la fin du charbon et de la déforestation.
Ces chiffres font tourner la tête, mais en vérité ils sont tout à fait à notre portée. Ils ne représentent que 1.3 % du produit intérieur brut mondial prévisionnel pour les trente prochaines années, d’une part, et d’autre part, des dépenses sont déjà engagées alors que d’autres devraient diminuer voire disparaître. En effet, l’Agence internationale de l’énergie, estime à 472 milliards de dollars les investissements opérés en 2022 dans les énergies renouvelables, le double étant consacré aux énergies fossiles. Or celles-ci devraient progressivement être réduites à néant, permettant de récupérer près d’un millier de milliards par an. D’autant que les calculs du CTE ne tiennent pas compte des stratégies de sobriété énergétique menées par plusieurs pays : la France par exemple table sur une réduction de 40 % de la consommation globale d’énergies.
Pour sauver la planète, la facture, contrairement à ce qu’on nous laisse entendre, est en fait très légère, une misère. Alors, qu’attendons-nous ? Pourquoi autant de procrastination pour prendre les mesures nécessaires ? Les financiers de la CTE répondent clairement à cette question : ils attendent « des stratégies nationales claires » pour que « les investissements soient faits » et « qu’ils soient rentables ». En gros, ils renvoient la balle vers les responsables politiques et leur disent : faites votre job ! N’est-ce pas un peu aussi ce que s’évertuent à dire les peuples ?
« Le monde est parcouru de lignes de chant. Il appartient à chacun de les parcourir et de les reparcourir sans cesse, en chantant, parce que sous ses pas, quelque chose s’éveillera. Mais si le chant s’arrête, le Monde s’arrêtera aussi. » Mythe Aborigène. Chacun sur sa ligne de chant, chaque vivant, depuis son métier d’homme, et son métier de citoyen, les peuples, le CTE, les politiques et les Banques …