Le mouvement vers des pratiques industrielles circulaires, où service, écoconception, récupération, régénération… sont intégrées au cœur des entreprises, se développe. Comme l’attestent les premières rencontres parlementaires de l’économie circulaire qui se sont tenues le 6 novembre à Paris.
« On ne peut pas mettre la beauté en exil ». Ainsi, Benoit Hamon, a-t-il ouvert ce 6 novembre à la Maison de la chimie (Paris) les premières rencontres parlementaires de l’économie circulaire. Avec ce lyrisme emprunté à Camus, le ministre chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, a tenu à saluer l’action déterminante de Nicolas Hulot pour porter l’écologie au plus haut niveau de l’Etat. « J’ai changé d’avis », a-t-il reconnu devant une salle pleine comme un œuf où l’on croisait des élus de tous bords : Chantal Jouanno (UDI), Corinne Lepage (Cap21), Jean-Luc Bennahmias (Modem), François Michel Lambert (EELV), Delphine Batho (EELV)…
Face aux limites de la planète, les clans s’estompent. Comme Al Gore qui s’était mobilisé pour alerter sur le changement climatique (on se souvient de La vérité qui dérange), les politiques sont de plus en plus nombreux à faire cause commune pour inventer les leviers d’une autre économie, circulaire en l’occurrence.
Celle-ci a pour objectif de rompre avec la logique linéaire qui prévaut : extraire, fabriquer, consommer, jeter. « La contrainte de la rareté est la norme désormais », a souligné Nicolas Hulot. « Elle va déterminer tous les rapports d’échange, entre gestion, anticipation, pénurie, voire conflit. Nous ne pouvons nous contenter de prolonger la durée de vie des produits, réduire les impacts, il nous faut travailler sur l’amont c’est à dire sur l’écoconception en sortant véritablement de la civilisation du gâchis ».
La valeur « service » comme levier
Toujours revient en leitmotiv sur ce thème de la transition écologique la question fondamentale de la radicalité : changer le système en profondeur. Si le recyclage, la réutilisation, la réparation, le réemploi s’inscrivent bien dans les démarches structurantes de l’économie circulaire, les leviers de la mutation sont bien dans les modifications de l’innovation (économe en ressources, préférant les renouvelables, évitant les toxiques…), de l’organisation des flux (vers l’écologie industrielle sur le modèle de l’écopark de Kalundborg au Danemark) et surtout dans une économie dite « de la fonctionnalité » qui valorise les services plutôt que les biens.
Pour Christophe Sempels (1) , professeur à la Skema business school, « l’économie de la fonctionnalité permet de sortir de la logique centrée sur le produit (et de l’obsolescence programmée) et de centrer la valeur sur le résultat. Elle découple ainsi – normativement – la génération de revenu de la consommation de ressources et d’énergie ». « Et cela n’est pas qu’une idée », insiste l’économiste.
Dans le domaine de la protection des plantes par exemple, la société Koppert propose de sortir de la vente de pesticides en proposant une solution intégrée de service agroécologique dont la tarification repose sur la surface protégée. La posture permet de recourir à des modes de protection doux, notamment avec des auxilliaires (insectes prédateurs de parasites.).
Elle a ainsi pu déployer et monétiser un service qui n’encourage plus à la consommation de produits mais conduit à des solutions plus durables et plus soutenables pour les cultures et les agriculteurs ».
En valorisant les services, de nombreux autres exemples (Michelin, Xerox, Dow Chemicals, Peugeot, Elis, Cofely, …) démontrent que les économies de ressources matérielles (énergie et matières premières) sont toujours, au moins, de l’ordre de 30 à 50 %. Toujours, il s’agit d’approcher le défi à relever de manière intégrée, sans léguer aux générations futures des externalités négatives…
D’autres signaux de mutation ont été donnés par Sandra Lagumina, directeur général de GrDF dont le « scenario 2050 » focalise sur l’optimisation et la diversification. Des injections de biogaz se multiplient avec trois exemples : le centre de valorisation organique (CVO) de Lille Sequedin produit le carburant de 150 bus de l’agglomération ; les déchets agricoles en Seine-et-Marne permettent d’alimenter 160 logements dans la Brie (Arcy) ; la collecte de déchets ménagers organiques constitue la ressource pour fournir en biogaz 380 000 habitants à Morsbach (Moselle). Pour Sandra Lagumina, « trois conditions doivent être réunies pour que ces initiatives soient viables : monter un vrai projet de territoire, ne pas avoir de concurrence entre « food » et « fuel », s’appuyer sur un tissu d’acteurs en réseau ». GrDF abrite 350 projets actuellement et estime que le biogaz constituera 14% du gaz du réseau en 2030 et 50% en 2050.
Bien sûr, pour tirer le meilleur parti de chaque tonne de matériau, de chaque hectare de terre, de chaque joule d’énergie, dans une perspective d’économie circulaire, il faut que les politiques publiques soient favorables. « Il faut aussi anticiper et repérer les activités qui vont devoir être totalement repensées, a souligné Corinne Lepage. Ainsi les raffineries pétrolières devraient décliner… il importe donc de voir comment celles-ci pourraient être réinvesties et vivre une seconde vie.
C’est l’histoire d’une ancienne raffinerie pétrochimique de Sardaigne, frappée par l’augmentation du prix du baril de pétrole. Celle-ci était en proie aux pires difficultés lorsque Günter Pauli, connu pour son concept d’économie bleue, a décidé de la reprendre et de la reconvertir en bioraffinerie utilisant des chardons et résidus agricoles de l’île. Pour Corinne Lepage, « ce scénario illustre le besoin de nous inscrire dans une société qui donne du sens à des projets, qui confère une identité et permet de transmettre des valeurs ».
Des incitations législatives pour une économie… légère
Chaque année, 62 milliards de tonnes de ressources – minéraux, bois, métaux, combustibles fossiles, biomasse, matériaux de construction – sont extraits dans le monde. Ce chiffre est en hausse de 65 % depuis vingt-cinq ans, selon l’OCDE. Tous les pays n’ont pas la même boulimie. Les Australiens et les Néo-Zélandais battent le triste record de la plus forte pression sur les ressources, avec 44 t/hab/an, loin devant les Etats-Unis (23 t/hab/an). L’hexagone se situe à12 t/hab/an (2).
La France qui a mis le sujet de l’économie circulaire au cœur de la dernière conférence environnementale n’est pourtant pas pionnière en la matière. Le Japon a une loi sur l’économie circulaire depuis 2000, la Chine a aussi une législation incitatrice depuis 2009 et l’Allemagne a voté une loi sur le sujet en février 2012 ».
Tout récemment au niveau européen, Janez Potocnik, commissaire en charge de l’environnement, a annoncé que la feuille de route de l’Union européenne pour une utilisation efficace des ressources doit aboutir à l’adoption d’une stratégie précise dès le premier semestre 2014. Objectif : accélérer le développement d’une économie circulaire.
Instigateur de la rencontre de ce 6 novembre, l’Institut de l’économie circulaire créé début 2013 par le député François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, s’appuie sur un réseau d’acteurs clés dans ce domaine et promeut le vote d’une loi-cadre donnant le signal que le développement économique passe par la préservation et l’optimisation des ressources.
Un de ses administrateurs, Serge Orru (ancien directeur général de WWF) a conclu la première rencontre parlementaire consacrée à cette transition, sur la nécessité de passer de cinquante parlementaires convaincus aujourd’hui à … deux cent cinquante.
Un lobbying est donc en route avec l’horizon des premières Assises de l’économie circulaire le 17 juin 2014. « Il y aura l’âge des choses légères, dit-il en citant Thierry Kazazian qui prône une économie légère, avec moins de matières premières mais plus de matière grise ». Et il n’oublie pas de conseiller… la Bible ! Celle du petit livre écrit par Emmanuel Delannoy, fondateur de l’Institut Inspire (3) : L’économie expliquée aux humains . Où le grand capricorne sait bien mieux les choses en matière d’échanges durables que chacun d’entre nous… Car dans la nature, tout est circulaire, tout est recyclé à l’infini. Reste donc à nous inspirer des écosystèmes où rien n’est déchet et où tout est ressource.
(1) Christophe Sempels et Jonas Hoffmann, Les business models du futur : créer de la valeur dans un monde aux ressources limitées, Pearson Education, Février 2012
(2) étude du Commissariat général au développement durable (CGDD), publiée le 9 octobre 2013
(3) http://www.inspire-institut.org/leconomie-expliquee-aux-humains.html
Par Dorothée Benoît-Browaeys, Rédactrice en chef UP’ – Bio innovations