L’objectif de la neutralité carbone en 2050 paraissait irréaliste, voire contestable : pourquoi aller au-delà de l’Accord de Paris, qui prévoit l’atteinte de cette neutralité « seulement » avant la fin du siècle ? Le rythme de la vie politique et le changement de gouvernement ont donné une tout autre actualité à ce sujet : le gouvernement français s’est effectivement fixé cet objectif dans son nouveau Plan Climat et entend réviser la Stratégie nationale bas carbone dès cette année en y intégrant les – ou certaines des – mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. Dans une préface qu’il signe pour le numéro de janvier de Responsabilité & Environnement, Nicolas Hulot rappelle les raisons de cette décision ambitieuse. Pour lui, l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 par notre pays n’est possible qu’au prix d’une action conjuguée et cohérente de tous les acteurs, grâce à un effort partagé par tous.
Lors des négociations qui ont conduit à l’Accord de Paris, les dirigeants du monde entier ont décidé ensemble de ne pas laisser le réchauffement moyen de la planète dépasser 2 °C. Pourquoi ce chiffre ? Parce que les experts du climat estiment qu’au-delà, il ne sera plus possible à l’humanité de s’adapter au réchauffement moyen et à sa traduction météorologique que sont les événements extrêmes, la montée des océans… À vrai dire, le consensus scientifique est aujourd’hui que, vu le niveau des émissions et la lenteur de la transition, nous n’avons plus qu’une maigre chance de respecter ce plafond : des catastrophes sont certaines, nous ne pouvons qu’en doser – avec beaucoup d’incertitude – la gravité et la fréquence.
Pour la première fois, l’Accord de Paris a aussi adopté un objectif mondial en termes d’émissions, objectif fixé pour garder une chance raisonnable (de l’ordre de 30 %) de rester sous le seuil des +2 °C : les émissions nettes de l’humanité doivent devenir nulles avant la fin du siècle, donc il faudra identifier des puits de carbone au-delà de ceux existant déjà pour compenser les émissions résiduelles de l’humanité, qui auront dû être drastiquement réduites.
La description de ce monde sans émissions laisse de nombreux acteurs perplexes, voire sceptiques sur notre capacité à le construire, tant sont fortes les inerties d’une humanité à bientôt 10 milliards de personnes, et ses aspirations à des modes de vie occidentaux fortement émetteurs.
Néanmoins, la France vient de se donner un objectif encore plus ambitieux : atteindre la neutralité carbone en 2050 – et la révision prochaine, dès 2018, de sa Stratégie Nationale Bas Carbone va préciser les voies et moyens qui vont nous permettre d’y arriver.
Pourquoi cet objectif, plus ambitieux que ce que s’est fixé la communauté internationale ? Pour plusieurs raisons :
La première est notre réalisme. Nous avons déjà commencé la réduction de nos émissions, alors que les grands pays émergents sont encore en phase de croissance : l’Inde émet ainsi environ 2 tonnes de gaz à effet de serre par an et par personne, et ce chiffre croît au fur et à mesure qu’elle apporte l’électricité à l’ensemble de sa population, elle-même fortement croissante. Les émissions de ce pays, comme celles de beaucoup d’autres, vont donc décroître plus tard que les nôtres. La neutralité carbone en 2080 est une moyenne et certains pays devront l’atteindre avant. La France, porteuse de l’Accord de Paris, ne se dérobera pas.
La deuxième est notre avance : nous avons une électricité déjà largement décarbonée, nous partons donc d’une situation plus favorable que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne dans cette transition ; nous devrions par conséquent arriver plus tôt que beaucoup d’autres à la neutralité carbone.
La troisième est notre intérêt : la transition bas carbone est inéluctable, et c’est déjà une compétition nouvelle qui s’ouvre entre les entreprises du monde entier. Qui conquerra les marchés des solutions, produits ou services bas carbone, des marchés mondiaux bien souvent ? Les pays qui réussiront leur transition les premiers seront aussi les gagnants de cette course mondiale. Nous voulons que la France en fasse partie, et nous avons de nombreux atouts pour cela.
La quatrième, enfin, est symbolique et politique : la France a réussi la négociation de l’Accord de Paris, elle a pour ce faire mobilisé tous les États et acteurs du monde, et convaincu d’innombrables acteurs que respecter les 2 °C était possible sans renoncer au développement humain et à la croissance économique ; si elle perd cette confiance et cette détermination, si elle n’est pas exemplaire, qui le sera ?
Nous avons donc décidé de nous donner cet objectif de neutralité carbone en 2050, tout en étant conscients que l’atteindre demande des efforts considérables et immédiats de tous les acteurs. Il nous reste peu de temps : à peine plus de trente ans, une génération, c’est le minimum pour changer les infrastructures industrielles comme les mentalités. Il y a trente ans, nous n’avions pas de portables…, mais nos logements, nos véhicules et le contenu de nos caddies n’étaient guère différents de ce qu’ils sont aujourd’hui !
Durant les trente dernières années, nous avons fait la révolution digitale de l’informatique et des télécommunications. Il nous faut faire une révolution culturelle et technologique au moins aussi profonde dans les trente prochaines années. Il nous faut changer nos logements, nos bureaux, nos modes de déplacement, nos loisirs, et même notre alimentation et notre agriculture.
C’est possible, si chacun fait sa part du travail, et si nous nous y mettons tous aujourd’hui. La prochaine Stratégie Nationale Bas Carbone ne sera pas un exercice en chambre de technocrates et de modélisateurs, même si elle les mobilise.
Elle ne peut pas non plus être une démarche comparable à celle du Plan d’après-guerre qui avait mobilisé les représentants des diverses composantes de la société, pouvoirs publics, syndicats, financiers : nous avons besoin de beaucoup plus d’innovation, nous ne pouvons compter sur les seules solutions existantes et surtout, nous devons aussi mobiliser les citoyens, qui sont aussi consommateurs, contribuables, salariés ou entrepreneurs, parents des jeunes générations, et sans qui rien n’est possible.
Nombre d’entre eux sont déjà engagés, ont initié des changements dans leur façon de vivre ou de travailler ; ils poursuivront et d’autres les suivront si tous sont persuadés que l’effort est réellement collectif. C’est l’un des rôles que nous pouvons donner à ce numéro des Annales des Mines : montrer l’étendue des transformations à conduire dans tous les domaines de la vie du pays.
Certaines se feront spontanément, bien sûr, mais si la décarbonation pouvait se faire spontanément comme l’a fait la transformation digitale, elle serait déjà faite, comme cette dernière ! C’est cela que veut dire l’effort collectif : la neutralité carbone passera par beaucoup d’innovation, mais aussi par des politiques et des mesures incitatives non contraignantes pour tous les acteurs, qui aideront le déploiement des solutions à l’échelle et à la vitesse nécessaires.
Notre pays a beaucoup à y gagner ; il a su allier dans le passé rôle géostratégique mondial, intérêts économiques et bien-être de ses habitants. Nous nous assurerons d’entraîner toujours plus d’alliés dans cette transformation pour qu’elle se fasse à notre avantage. C’est pour cela que nous devons être nombreux à partager la même détermination et le même objectif – celui de la neutralité carbone.
Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire
L’original de cet article est paru en préface dans Responsabilité & Environnement – 26 Janvier 2018 – N°89 – © Annales des Mines 5
Avec l’aimable autorisation de l’I’MTech
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