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Quel rôle pour les territoires dans un monde écologique ?

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Le Sénat vient de publier un rapport relatif à la transition environnementale des collectivités territoriales. C’est le signe de la conscience croissante du rôle que devraient jouer les territoires, c’est à dire les bassins de vie, dans la conduite de la transition écologique et sociale, mais aussi de la conscience  que bien des obstacles demeurent sur cette route. Ce rapport appelle des suites concrètes à la hauteur des questions qu’il soulève avec beaucoup d’acuité. Pierre Calame, haut fonctionnaire de 1968 à 1988 et président de Citégo – Cités territoires et gouvernance – formule un certain nombre de propositions qui sont autant de manières de répondre aux obstacles listés dans ce rapport.

Les difficultés soulevées par le rapport reflètent en réalité l’inadaptation croissante de notre gouvernance aux défis de la transition de sorte qu’il n’y aura pas de remède effectif à cet état de fait sans de profondes réformes à la fois conceptuelles et institutionnelles qui sont de la compétence du Parlement. Ce sont ces réformes que je me permets de vous soumettre. Elles reprennent des propositions qui au fil des années ont fait l’objet de différents billets sur le sujet.

Le défi de l’éducation

Tout commence avec les enfants et l’expérience internationale montre combien les questions et les réflexions des enfants et des jeunes influencent leurs parents. Nous venons, avec le collectif « Osons les territoires« , d’achever en septembre un ensemble de propositions sur la nécessaire métamorphose du système éducatif. Nous y montrons que la France se signale parmi les pays de l’OCDE comme celle qui a gardé le système d’éducation le plus centralisé. Il est l’héritier d’une école de la République qui répondait à des défis qui ne sont plus les défis actuels et multiplie les coupures et les césures : entre les différents acteurs de la communauté éducative, entre savoirs et émotions, entre temps scolaires et non scolaires, entre disciplines du savoir, entre action et connaissance. Avec pour résultat des résultats médiocres dans les classements internationaux et l’incapacité de faire le lien entre l’école, les défis systémiques de la transition et le futur engagement citoyen.
Vous avez été comme nous témoins de la médiocrité des débats auxquels a donné lieu le « Conseil national de refondation » sur l’école comme d’ailleurs sur les autres sujets, réduisant la question du système éducatif à la diffusion de » savoirs fondamentaux », à la mixité sociale ou aux redoublements. En réalité la réforme du système centralisé est impossible et ne répondra jamais au défi de préparer comme le souhaite le rapport les futurs citoyens à la conduite de la transition. D’où l’importance de repenser le système éducatif par et pour les territoires, ce qui est la trame de nos propositions.

Les échanges entre pairs

Le rapport a mille fois raison d’en souligner l’importance. Ce ne sont pas les discours qui font changer les choses mais la confrontation des expériences. Trop souvent les échanges entre pairs sont réduits au mieux à une ou deux journées associant de part et d’autre un petit nombre d’acteurs, et souvent pas les acteurs déterminants des territoires. Le véritable enjeu est celui de construire des communautés apprenantes et cela passe par la mise en place de véritables sites ressources où l’on puisse trouver l’expérience des uns et des autres. Or l’État, comme d’ailleurs les collectivités territoriales, savent mal mettre en place de tels sites ressources. Le rapport cite par exemple l’initiative de l’ADEME « territoires engagés« . Sur le site correspondant, aucune référence concrète aux stratégies territoriales effectives ! Seulement une description des territoires concernés et la disponibilité de l’ADEME à en soutenir d’autres. Où est l’échange entre pairs ? Et c’est le cas de toutes les Agences d’État : des guides, des recommandations, des offres de service à foison mais très peu d’expériences concrètes, sources d’inspiration pour d’autres.

Depuis plusieurs décennies, les réseaux de l’État, de collectivités territoriales, de chercheurs, de la société civile se sont multipliés. J’en ai identifié plus de quatre-vingt à l’échelle française et européenne. Mais tous ou presque souffrent de la faiblesse de documentation des expériences, avec leurs succès et leurs échecs, qui sont la base d’un véritable échange entre pairs. Et les financements de l’État et de la Commission européenne, presque tous alloués à des projets thématiques en contradiction avec le caractère systémique de la transition : ils ne prévoient jamais le financement du recueil et de la capitalisation de l’expérience. Or la démarche de capitalisation d’expériences est exigeante, comme je l’avais démontré lors d’une conférence au CIEDEL en 2018. 

Le plus urgent aujourd’hui est d’amener tous ces réseaux à organiser et mutualiser leurs expériences. C’est la vocation que s’est donnée Citego, qui a su, au fil des années, construire une base de données d’expériences unique par sa richesse et sa structure. Nous proposons aujourd’hui d’ouvrir une nouvelle étape : la création d’une Communauté de sites ressources sur la transition et le territoire. Soutenir cette communauté serait une manière très concrète pour le Parlement de donner des suites à ce rapport qui risque, sans cela, de se perdre dans les sables comme de nombreux autres.

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Passer d’approches sectorielles à une approche systémique

C’est une question essentielle… mais aujourd’hui presque tout s’y oppose : aussi bien les politiques de l’État que la structuration du pouvoir au sein des collectivités locales et la formation des agents du service public local. A la base, il y a tout simplement un problème de structuration des esprits. Toute la formation est par discipline scientifique puis par compétence segmentée et rien dans les outils intellectuels disponibles ne permet de promouvoir des approches systémiques. Là aussi il suffit de consulter les sites web des différents réseaux pour constater que les ressources documentaires, si elles existent, sont classées de manière thématique, excluant donc une approche systémique. Or comment gérer la complexité si on ne sait même pas se la représenter ?  C’est une question à laquelle Citego a apporté une solution concrète avec la création d’un outil d’indexation systémique, l’atlas relationnel, qui indexe d’ores et déjà les plus de 3000 fiches d’expérience, ce qui permet quel que soit le sujet d’en appréhender les différents dimensions. La gestion des expériences grâce cet atlas commun permettrait enfin de visualiser les liens entre les différentes dimensions de l’action publique.

Doter les collectivités territoriales des compétences techniques nécessaires

Le rapport fait le constat  que ces compétences font actuellement défaut. La réponse ne peut plus être comme aujourd’hui de concentrer les ressources humaines dans des Agences d’État à la vocation nécessairement sectorielle. Le prospectiviste Thierry Gaudin soulignait, il y a quelques décennies déjà, le rôle, dans les stratégies de changement des organisations, de pools « d’experts militants » présents en permanence. Jamais des appuis ponctuels à l’ingénierie ne pallieront ce manque. Comme je l’ai montré dès 2009 dans mon livre Essai sur l’oeconomie, l’enjeu aujourd’hui pour l’État est de refaire ce qui a été fait dans les années soixante pour pallier le déficit de personnel qualifié permettant d’encadrer l’urbanisation : le co-financement d’Agences d’urbanisme : il faut aujourd’hui prévoir le co-financement par l’État, dans chaque bassin d’emploi, d’Agences oeconomiques territoriales. Dans le Manifeste « Osons les territoires, la boussole de la seconde modernité« , publié en 2022, nous reprenons un certain nombre de propositions dont celle-ci. Ce qui devrait être complété par un vaste plan de formation triennale de tous les cadres des collectivités (formation à distance disponible aussi pour les élus), que le CNFPT pourrait être mandaté pour conduire. 

Réformer la comptabilité publique des collectivités territoriales

Là aussi c’est un vrai problème, souligné depuis longtemps mais resté à ce jour sans solution. Le fait que les dépenses de personnel soient classées dans les dépenses de fonctionnement qui sont plafonnées induit les collectivités à faire appel à de l’ingénierie externe, classée dans l’investissement, au lieu de développer des ressources internes, classées dans le fonctionnement. Ce qui fait qu’il n’y a jamais accumulation de l’expérience au sein même des collectivités. Mais il faut aller plus loin en créant le cadre institutionnel et les outils d’une comptabilité écosystémique rendant compte du métabolisme territorial et des « trois capitaux », comme développé dans la méthode CARE pour les entreprises ; capital financier, capital humain, capital naturel.

Réformer l’État et la gouvernance

Le rapport souligne, après bien d’autres restés sans lendemain, la nécessité de sortir d’une logique étatique qui impose à tout le territoire des solutions uniformes. Évidemment ! Mais la philosophie même de l’État s’y oppose aujourd’hui. Dans le livre l’État au cœur, paru en 1997,  je décrivais déjà comment les missions sur la réforme de l’État se succédaient, redisaient la même chose mais sans impact effectif. La raison en est simple : la gouvernance aujourd’hui est nécessairement une gouvernance à multi-niveaux, combinant les actions de différentes échelles de gouvernance car aucun problème ne peut être résolu à un seul niveau. C’est une évidence qui a toujours été rejetée en France comme l’illustrent les lois de décentralisation de 1982-1983 fondées sur l’hypothèse inverse (1). 

La France, obnubilée par son Jacobinisme, n’a jamais voulu comprendre les fondements de la gouvernance, voyant dans l’État national la forme indépassable de l’action publique, ce qui est un contre sens historique. Nous montrons justement dans le Manifeste « Osons les territoires » que l’État que nous connaissons n’est qu’une variété particulière de la gouvernance, c’est à dire de la capacité des sociétés à se doter d’idéologies et d’institutions leur permettant de se maintenir dans leur domaine de viabilité. Il faut donc se demander aujourd’hui quelle forme doit prendre la gouvernance du local au mondial pour relever le défi de survie de nos sociétés, car c’est bien de survie dont il s’agit quand on voit les limites planétaires franchies les unes après les autres (2)

C’est le fondement des réformes à conduire et la gouvernance à multi-niveaux comme le principe de subsidiarité active qui en est la traduction concrète sont au cœur de cette réforme. Sans cette rupture conceptuelle, les réformes de l’État resteront sans lendemain. Il y a une occasion majeure à saisir aujourd’hui : la mission confiée à Eric Woerth par le chef de l’État pour une nouvelle étape décisive de décentralisation. Dans une lettre que j’ai adressée à Eric Woerth à ce sujet, je me bornais à rappeler que l’UE a bien mieux compris que la France ces enjeux comme l’illustre la Communication de la Commission européenne d’octobre 2018 sur la manière de construire des politiques européennes.

Provoquer une dynamique globale de transition à l’échelle des territoires

Le rapport évoque ensuite la territorialisation de la planification écologique. Mais celle-ci est elle-même extrêmement pauvre, très centrée sur l’idée de solutions techniques (le nucléaire, la voiture électrique, les pompes à chaleur) qui ne sont qu’une partie de la solution et l’idée du gouvernement qu’on va confier aux préfets le soin d’inciter les territoires à mettre en œuvre cette planification nationale relève disons-le d’une pensée assez archaïque. Pour provoquer une dynamique d’ensemble il faut s’y prendre tout autrement. Les Assises du climat organisées en 2021 a clairement mis en évidence les cinq critères de pertinence d’une lutte contre le réchauffement climatique: prendre en compte l’ensemble de l’empreinte écologique  de la société; avoir une obligation annuelle de résultat; donner la priorité à la justice sociale; disposer d’un effet de levier pour mobiliser tous le acteurs; appliquer le principe de moindre contrainte.

Ce qui conduit à l’idée d’allocation de quotas d’émissions de gaz à effet de serre égaux pour tous et diminuant de 6% par an pour respecter nos engagements internationaux. Que la France adopte un tel dispositif et on verra instantanément les territoires, dans toutes leurs composantes, se mobiliser, apprendre à raisonner sur le budget carbone total de la société locale et définir la stratégie collective pour le réduire de 6% par an. Sans ce levier décisif les dynamiques resteront ce qu’elles sont actuellement : hors d’échelle avec l’ampleur du défi et réduites à une addition de politique sectorielles

Repenser les Contrats de relance et de transition écologique

Comme l’a montré l’évaluation de la Cour des Comptes, les CRTE, Contrats de relance et de transition écologique, à ce jour, ont accouché d’une souris eux aussi. Dès leur création j’avais alerté le cabinet du Premier Ministre Jean Castex sur les contradictions internes de la circulaire créant les CRTE. Et le résultat est là. L’idée était évidemment bonne, sortir des multiples contractualisations parcellaires entre État et collectivités pour aller vers une contractualisation d’ensemble autour d’une stratégie à long terme et multi-acteurs définie à l’échelle des bassins de vie. Mais encore eût-il fallu que les moyens humains et le temps soient donnés aux collectivités d’élaborer une telle stratégie et que celle-ci puisse disposer de tout ce que nous venons d’évoquer : les ressources humaines, une gouvernance à multi-niveaux, une incitation nationale à réduire chaque année les émissions de la société, les outils d’une approche systémique, etc… Bref une pensée sur le rôle des territoires dans la seconde modernité, pensée qui fait cruellement défaut.

Pierre Calame, Ingénieur, président honoraire de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH), Président de Citego – 
Chroniqueur invité de UP’ Magazine.

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(1) Voir dans la Gazette des communes l’article de Pierre Calame « Les tares congénitales de la décentralisation à la française », 24 juin 2022
(2) Voir le « Petit traité de gouvernance« , une synthèse de ce que j’ai appris au fil des décennies et des expériences internationales sur l’art de la  gouvernance. 

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patricia.fetnan@gmail.com
1 année

«  Le défi de l’éducation », c’est ce que nous avons, mes anciens élèves et moi, relevé. ecoleducerisier.wordpress.com, page Récits, « Maintenant, nous serons le vivant qui tisse et qui bruisse. » , A l’image, école du cerisier, youtube, « les apprenti.e.s » . Des enfants de 3 ans qui apprennent leur métier d’Homme. Auteurs pour être Acteurs de leur Monde

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