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Pour l’État, la numérisation des entreprises passe par Amazon

Comment l’Etat favorise Amazon pour la numérisation des petites entreprises

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Pendant cette crise du Covid-19, les pouvoirs publics ont encouragé les petites entreprises et les commerçants à numériser leurs activités. Le travail à distance, le e-commerce, la dématérialisation administrative ont montré une face de leurs vertus en temps de pandémie. L’État, à travers son bras armé financier, la BPI, encourage donc les petites sociétés à passer le cap et à se lancer dans le numérique. Mais pas toutes seules : elle leur propose de se faire accompagner — gratuitement ! —par un géant et non des moindres, Amazon. Déjà, toutes les transactions financières liées aux prêts accordés par l’État pendant la crise sont gérées par le cloud de Jeff Bezos ; maintenant c’est au tour de toutes les activités commerciales, du libraire au marchand de chaussures, de passer entre les mains du géant craint et controversé, mais ardemment courtisé par l’État.

La signature de ce partenariat n’a pas été accompagnée de tambours et trompettes. Et pour cause : la BPI, la banque publique d’investissement, a signé un accord avec l’une des marques les plus controversées du moment : Amazon. L’objet de cet accord est de proposer un service de formation en ligne dédié à toutes les TPE et PME françaises pour les aider à rebondir pendant cette période de crise en accélérant leur transition numérique. Nom du programme : l’Accélérateur numérique.

Mission d’intérêt général

Pendant la période des confinements, les pouvoirs publics se sont aperçus que seuls 30 % des petites entreprises françaises étaient numérisées. Or la crise sanitaire a démontré que les sociétés qui avaient déjà une pratique du numérique en général et d’Internet en particulier s’en sortaient un peu mieux que les autres. Les technocrates de l’État ont donc immédiatement conclu qu’il fallait faire passer ce chiffre de 30 % à 50 % en une année.

Pour réussir cette prouesse, rien de mieux que de se tourner vers le roi incontestable du commerce en ligne, Amazon. Certes, l’image de cette firme est régulièrement écornée par ses libertés avec le fisc, ses conditions de travail, ses modalités d’implantation ou la prépondérance hégémonique qu’elle développe au détriment des autres, mais ces arguties comptent peu. D’autant qu’Amazon propose à la BPI un service gratuit ! Pourtant le bon sens populaire sait que rien n’est vraiment gratuit dans les affaires, mais les technocrates de l’État semblent avoir oublié l’adage. Le directeur exécutif de la BPI, Patrice Bégay, se félicite même de la bonne affaire : « Nous avons d’abord regardé la qualité du service rendu, l’accompagnement des entreprises dans le respect de nos valeurs. Gratuit ! c’est très important aujourd’hui d’avoir un service gratuit et d’être accompagné pour se digitaliser ».

 

Le partenariat entre Amazon et la BPI a été signé ce 8 décembre. Le communiqué l’annonçant précise que l’Accélérateur numérique est un « programme unique en France [qui] vise à former des milliers d’entrepreneurs, de commerçants et de TPE, sur l’ensemble des territoires français, pour leur redonner le pouvoir sur leur transition vers le e-commerce ».

Ce programme gratuit de formation est conçu pour aider les petites entreprises « à rebondir en accélérant leur transition numérique ». Il couvre tous les aspects du e-commerce « à travers de nombreux modules de formation ».

Parmi ces modules on trouve pêle-mêle : création d’entreprise, développement d’un site d’e-commerce, marketing digital, conseils pour asseoir sa marque sur les réseaux sociaux et — last but not the least — formation aux outils et services d’Amazon… Car cet Accélérateur numérique, entièrement forgé autour du concept d’Amazon, est aujourd’hui organisé en sept grands chapitres : « préparer sa transition numérique, ouvrir une boutique en ligne, se lancer en marketplace, construire sa marque, augmenter son trafic, assurer la logistique, démarrer les ventes. Chaque chapitre est découpé en modules vidéo de trois à quatre minutes sous forme de tutoriels et webinaires dispensant les savoirs essentiels pour démarrer la vente en ligne ».

Le communiqué poursuit en rappelant que le programme « bénéficie de l’appui de Bpifrance qui, à l’image d’Amazon, accompagne le développement et l’internationalisation des entrepreneurs français afin de rendre plus compétitive l’économie française ». Ou comment, à travers ce mariage, Amazon prétend s’approprier une mission d’intérêt général.

L’ambition de cette plateforme est des plus larges puisqu’Amazon interviendra dans tous les segments de l’activité économique : ses services concerneront « des entreprises françaises, des commerçants, des artisans, des producteurs et sur l’ensemble du territoire, de nos campagnes aux centres-villes, en passant par tous nos quartiers. » En clair, la marchande de jouet située dans la rue piétonne d’un bourg de province aura la chance de bénéficier du formatage d’Amazon. Elle en rêvait,pensent les dirigeants de la BPI ; Amazon l’a fait.

Comble de l’ironie, même les libraires sont concernés ! A leur grande stupéfaction, ils ont en effet reçu par email, dès les 8 décembre, une invitation signée par Frédérique Duval, le Directeur général d’Amazon France pour se connecter à l’Amazon Academy et apprendre à vendre des livres, à la façon d’Amazon :

A qui profite le crime ?

La firme du milliardaire Jeff Bezos fait donc, si on la croit, œuvre philanthropique. En effet, tous ces services, offerts par le meilleur opérateur du monde, pour aider le micro-entrepreneur, le petit commerçant ou l’artisan du fin fond de la France sont « intégralement gratuits ». L’intérêt pour Amazon est limpide : augmenter le chiffre actuel de 11.000 TPE et PME basées en France qui s’appuient sur les outils et services d’Amazon pour vendre leurs produits en ligne.

Mais cet intérêt affiché n’est pas le seul. Dans sa logique de développement, le géant Amazon lorgne vers les points de vente de proximité, situés au plus près de ses consommateurs. Il a tenté l’expérience dans l’alimentation en lançant aux États-Unis le réseau Amazon Go : des petites surfaces de commerce alimentaire, entièrement automatisées, sans vendeuses ni caisses, ouvertes 24 heures sur 24 dans les centres-villes. Sans doute Amazon rêve-t-il de développer cette stratégie en s’appuyant sur le réseau, déjà constitué dans toute la France, des petits commerçants et artisans. Ceux-ci souffrent gravement de la crise sanitaire et des confinements successifs. Ils sont soutenus pour la plupart par des aides de l‘État, maintenus en vie artificielle par des prêts garantis.  Certains d’entre eux pourraient devenir des cibles de choix pour des acteurs comme Amazon qui voudraient développer des services de proximité.  

D’autant qu’Amazon est aux premières loges de la santé financière de ces entreprises.

En effet, la BPI — encore elle— a choisi en juillet dernier le cloud d’Amazon pour héberger les données sur les prêts des entreprises françaises affaiblies par le Covid-19. Le gouvernement Français a en effet lancé son prêt garanti par l’État, dont Bpifrance gère le système d’attestation via sa banque en ligne. Pour conduire ces opérations sur le plan technique, Bpifrance a fait appel aux services du géant américain Amazon Web Services (AWS).

Il sera ainsi désormais incroyablement aisé pour Amazon de cibler par catégorie – et par secteur d’activité – les entreprises privées qui représenteraient un intérêt économique opportun pour elle. La BPI facilite ainsi grandement, et de sa propre initiative, la collecte des données d’intérêt stratégique et d’intelligence économique pour une entité qui pourrait choisir à loisir selon l’état de santé de chaque entreprise considérée, et de sa situation financière spécifique, l’opportunité qu’il y a ou non à s’en rendre maître à bon prix. La BPI offrant ainsi sans ambages, sur un plateau,  un atout concurrentiel indéniable à un des acteurs les plus puissants et les plus virulents dans le commerce.

Notons enfin une information passée relativement inaperçue mais qui prend une nouvelle ampleur à la lumière des derniers développements : Antoine Boulay, l’ancien directeur des relations institutionnelles et des médias de Bpifrance, a été recruté en juin dernier par Amazon Web Services, filiale spécialisée dans le stockage de données du géant américain, comme « prestataire » pour le lobbying en France.

MAJ le 16/12/2020 pour préciser les fonctions de M. Antoine Boulay

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Membre
antoineboulay***
3 années

Non, je n’ai pas été  »recruté » par Amazon en tant que responsable du lobbying. D’une part, Amazon, en France comme dans le monde, c’est deux entités totalement distinctes : la partie e-Commerce, connue du grand public, et la partie Cloud computing, Amazon Web Services. Les deux sociétés ont dans chacun des pays où elles opèrent des activités à l’évidence totalement différentes, des managements différents, des équipes différentes, des prestataires différents. En ce qui me concerne, et comme c’est déclaré en toute transparence à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, j’interviens en tant que prestataire pour AWS,… Lire la suite »

Membre
lmouton***
3 années

Bonjour mon grand garçon …. Ben alors Toinou – permettez que je vous nomme ainsi – vous nous faîtes une petite déprime ? On a besoin de se refaire une blancheur de colombe pour la nouvelle année ? En mode c’est pas moi mais les autres qu’y sont que trop trop méchants avec moi …. Je suis un pauvre incompris moi …. Mon Toinou je vous cite : « des activités à l’évidence totalement différentes, des managements différents, des équipes différentes, des prestataires différents » …. et complémentaires car visant au même but à savoir l’enrichissement de l’entreprise. Pourquoi nous prenez vous… Lire la suite »

Audrey A
3 années

Bonjour Monsieur Boulay, Nulle volonté de ma part de verser dans le complotisme, quoique… Je comprends totalement la distinction entre les deux sociétés Amazon dont Monsieur BEZOS est à la tête. Toutefois, je pense que cet article met en lumière certaines difficultés. Tout d’abord, quid du RGPD si cher à notre législateur et pour lequel nous sommes presque sommés de travailler avec des entreprises françaises et notamment OVH pour garantir de A à Z la sécurité des informations confidentielles dont nous avons connaissance. Amazon cloud serait donc devenu transparent et totalement sécurisé? Ensuite, votre présence antérieurement au sein de la… Lire la suite »

Joan H
3 années

Je trouve la réponse de M. Boulay fort intéressante qui clarifie un peu les choses et qui (1) remet en cause le point de vue (ok), (2) souligne une erreur factuelle (problématique) et (3) soulève une volonté d’insinuer (ce qui est vraiment rédhibitoire pour moi en termes de journalisme). Néanmoins, ce que soulève M. Guzman est quand même sérieux. À une époque où les politiques sont basées sur les peurs, où on nous dit que l’on est en guerre, que le cyber-crime est en plein essor, que la protection des données (notamment personnelles) est au coeur des pratiques numériques, aller… Lire la suite »

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