Haute technologie contre la falsification, innovations virucides susceptibles d’éradiquer le Covid-19 – entre autres –, les billets de banque que nous utilisons tous les jours sont des concentrés de technologies. Tous les fabricants se livrent une véritable bataille pour créer le billet parfait.
Oberthur Fiduciaire en France, Orell Füssli Security Printing en Suisse, De La Rue au Royaume-Uni, Giesecke+Devrient en Allemagne, Crane Currency aux Etats-Unis… Bienvenue dans le cercle très restreint des imprimeurs de billets en contrat avec les Banques centrales aux quatre coins du monde. Ce secteur méconnu ne connaît pas la crise – ou presque – et s’est lancé ces dernières années dans une course effrénée pour élever les standards de sécurité et d’hygiène à des niveaux inégalés. Si le risque « zéro » n’existe pas, l’industrie de la fabrication des billets de banque s’en rapproche de plus en plus. Tous ces acteurs ont développé des départements recherche et développement à la pointe des technologies actuelles. De quoi calmer nos angoisses en tant qu’utilisateurs quotidiens.
La crise sanitaire n’est pas passée par là
Printemps 2020. Le monde entier est pris de stupeur face la crise sanitaire, les fake news et les mises en garde envahissent les médias. L’une d’entre elles concerne les billets de banque, accusés trop vite de transmettre le Covid-19. Toute la presse y est alors allée de son article pour vérifier ou non cette peur de la transmission : Les billets de banque peuvent-ils transmettre le coronavirus ? s’inquiétait Les Echos le 9 avril 2020. La réponse est non. Et ce n’est pas tout à fait un hasard. Contrairement aux idées reçues, les billets de banque ne sont pas des agents contaminateurs particulièrement virulents. De plus, en 2009, certains fabricants avaient déjà réagi à cause de la pandémie de H1N1.
Le Français Oberthur Fiduciaire semble avoir pris une bonne longueur d’avance avec sa solution Bioguard qui fonctionne même contre le virus de la Covid-19. Le Bioguard vient protéger les billets des banques centrales qui en font la demande. Sa mission : réduire quasiment à zéro les risques de transmission d’agents pathogènes comme les virus. « En mars 2020, au tout début de la pandémie de Covid, un laboratoire indépendant a testé notre traitement Bioguard et a constaté qu’il était particulièrement efficace contre les coronavirus, avance Etienne Couëlle, directeur général délégué d’Oberthur Fiduciaire. Les échantillons testés ont montré que 99,9% des coronavirus humains ont été éliminés par Bioguard. […] Les crises sanitaire et économique ont démontré la résilience d’Oberthur Fiduciaire, ce qui nous a permis de nous investir à 100% dans notre travail. Notre objectif quotidien est de poursuivre constamment les innovations, en particulier les dispositifs de sûreté et de sécurité. Le succès de notre traitement Bioguard contre la Covid-19 a prouvé que l’innovation doit rester au cœur de notre métier. » Selon l’entreprise française, le processus Bioguard permet de diviser par 500 à 1000 le nombre de virus en quelques heures, sans modifier l’aspect des billets fabriqués à base papier. Dix milliards de billets en circulation dans le monde seraient ainsi « bioguardisés » dont un milliard fabriqué depuis le début de la pandémie en 2020. L’objectif est désormais de « se préparer au mieux à la prochaine pandémie », explique Etienne Cöuelle, car la question n’est pas de savoir s’il y aura une nouvelle pandémie, mais quand elle aura lieu.
Outre-Manche aussi on a des idées. Très présente à l’international, l’entreprise britannique De La Rue a également mis au point un procédé dont les propriétés sont proches pour ses billets en polymer (plastique), Safeguard, utilisé pour la première fois en 2012 sur la livre sterling, le Royaume-Uni étant le marché d’origine de ce fabricant. « Notre relation privilégiée avec la Banque d’Angleterre, et nos opérations sur notre site de Debden, sont la pierre angulaire de notre stratégie de croissance pour l’impression de billets de banque, assure Clive Vacher, PDG de De La Rue. Nous essayons de convertir nos clients de par le monde aux billets en polymer disposant de la technologie Safeguard. » Dernièrement, elle a ainsi signé des contrats en Thaïlande pour la mise en circulation de nouveaux billets de 20 bahts en polymer. Si l’entreprise anglaise a fait le pari d’une matière plastique pour sa production, 84% des billets en circulation sont fabriqués en papier, selon Ruth Euling, directrice exécutive de De La Rue.
La bataille sans fin contre la contrefaçon
L’autre défi de l’industrie, c’est bien évidemment la contrefaçon. « La fabrication de fausse monnaie est l’un des plus vieux métiers du monde. Dès l’époque romaine, on a frappé des contrefaçons », remarque l’Office central pour la répression du faux-monnayage (OCRFM) en France. Si les techniques anti-falsification sont devenues infaillibles, le facteur humain – c’est-à-dire l’inadvertance des utilisateurs – reste la faille sur laquelle les faussaires continuent de prospérer. En mars dernier au Royaume-Uni, l’alerte a été donnée par la police de Birmingham à cause de la circulation de fausses coupures de 5, 10 et 20 livres sterling. « Nous avons été alertés d’une recrudescence de l’utilisation de faux billets dans le centre-ville », a expliqué un responsable du Colmore Business District, l’un des centres commerciaux de la ville. Un avis à la population a été lancé, invitant les habitants de la région à bien vérifier si les hologrammes inclus dans les billets étaient réfléchissants, en changeant d’angle de vision. Mais tout le monde n’a pas forcément ce réflexe.
Aux Etats-Unis, un billet en dollar sur 1000 serait un faux, une industrie principalement alimentée par la mafia péruvienne. La lutte contre la contrefaçon est là aussi l’une des pierres angulaires du travail des producteurs de billets de banque. « En tant que fabricants de billets de banque hautement sécurisés, nous observons comment le public utilise ces billets et l’évolution des menaces de sécurité, explique Tod Niedeck, directeur marketing de Crane Currency. Les transactions en espèces prennent généralement entre 10 et 22 secondes, tandis que la plupart des gens ne jette qu’un coup d’œil d’une fraction de seconde pour les vérifier. Les faussaires savent cela et ciblent les fonctionnalités les plus évidentes à reproduire. » Pour lutter contre la contrefaçon, le fabricant américain, qui dispose aussi d’une filiale en Suède, s’appuie sur son système Rapid HD censé être vérifiable à l’œil nu, de manière intuitive, pour tout un chacun. Encore faut-il penser à le faire.
Evidemment, les grandes entreprises du secteur ne révèlent pas leurs secrets de fabrication et l’intégralité de leurs dispositifs anti-contrefaçon. A la fois à cause de la concurrence, mais surtout des faux-monnayeurs qui font eux aussi preuve d’inventivité. « Nous ne devons pas seulement conserver une longueur d’avance sur nos concurrents, mais également sur les contrefacteurs et les faux-monnayeurs contre lesquels nous sommes engagés dans une véritable course de vitesse, alerte Thomas Savare, aujourd’hui président d’Oberthur Fiduciaire. L’impression fiduciaire et de sécurité est une activité industrielle à très fort contenu technologique. Certes, la monnaie papier existe déjà depuis des siècles, mais les billets d’aujourd’hui n’ont presque plus rien de commun avec ceux de jadis, ni même avec ceux mis en circulation voici quelques années. Ce sont de véritables condensés de technologie et le fruit d’une innovation permanente. » Oberthur a ainsi mis au point des procédés de haute technologie pour la traçabilité et la sécurité, baptisés Pulsar, Avalon, Diaphan ou encore Labyrinth. Dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon, le territoire européen semble donc mieux protégé que les Etats-Unis.
Et le résultat est là. En 2021, la Banque centrale européenne a constaté une baisse notable des billets contrefaits en circulation (-24,6%) en Europe : « 12 contrefaçons détectées pour 1 million de billets authentiques, soit un niveau historiquement bas, se félicite l’institution. La probabilité de recevoir une contrefaçon est donc très faible. » Si certains futurologues ont prévu l’avènement d’une société sans cash, les billets de banque semblent malgré tout avoir encore de beaux jours devant eux. « Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, l’argent liquide a été très utilisé durant la pandémie, assure Ralf Wintergerst, PDG du fabricant allemand Giesecke+Devrient. Même si les paiements digitaux ont fortement progressé, nous sommes convaincus que les transactions en argent liquide continuent de jouer un rôle vital dans l’économie. A nous de concevoir et produire des billets disposant de systèmes anti-falsification très performants. » Pour reconnaître un vrai billet, les utilisateurs quotidiens peuvent quant à eux se limiter à la « méthode TRI : toucher, regarder, incliner » : suivez le guide en vidéo.
Olivier Taylor, Experte en technologies de l’information