Mort sous silence d’un acteur majeur de la paix et père de la Communication Non-Violente.
« La violence, quelle que soit sa forme, est une expression tragique de nos besoins insatisfaits.
»
Marshall B. Rosenberg
Début janvier à Paris, puis ensuite à Copenhague, Hatra ou Tunis, la rage et la folie meurtrière de Daech frappent les Hommes et les patrimoines historiques et symboliques. La violence reprend sa place, giflant l’inertie de la majorité d’entre nous et provoquant nos valeurs fondamentales et universelles de liberté, de fraternité et de démocratie.
Et pendant ce temps, dans un relatif anonymat, disparaissait le 7 février dernier Marshall Rosenberg, père de la Communication Non-Violente. Il a dédié sa vie à comprendre les rouages de la violence pour apporter des réponses et modéliser une pratique aussi simple en apparence que riche et profonde, et occasion de transformation intérieure fondamentale pour celles et ceux qui s’engagent sur la voie exigeante de la paix.
Qui est l’homme ?
Marshall B. Rosenberg, docteur en psychologie clinique et élève de Carl Rogers, a créé et développé le processus de la Communication Non Violente (CNV) il y a plus de 35 ans. Il a énormément voyagé aux Etats-Unis et dans de nombreux pays du monde, afin de faire connaître le processus de la CNV et en contribuant à la construction de la paix et aux efforts de réconciliation dans des régions déchirées par la guerre.[2]
Son action et ses engagements
Depuis son enfance, Marshall B. Rosenberg a cherché une réponse à deux questions fondamentales : si nous, les êtres humains, aimons tellement prendre soin les uns des autres, pourquoi certaines personnes génèrent-elles tant de violence et de souffrance dans leurs interactions, même avec ceux qu’elles aiment ? Comment cela se fait-il que des personnes parviennent à rester bienveillantes, même dans des circonstances horribles et violentes ?
C’est à partir de ses observations, de ses recherches, des réponses qu’il trouva à ces deux questions que Marshall développa la Communication NonViolente. Ce processus permet de retrouver nos capacités à penser, à s’exprimer, à écouter avec empathie et à exercer notre pouvoir, d’une manière qui favorise la prise en compte des besoins fondamentaux de tous.
Marshall B Rosenberg a publié de nombreux ouvrages, dont le best seller « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) ». Il a inspiré beaucoup de personnes, équipes et projets partout dans le monde. Il a reçu en 2006 le prix « Bridge of Peace NonViolence Award ».
Marshall B Rosenberg a crée le CNVC, une organisation internationale qui soutient l’enseignement et le partage de la CNV, qui aide les personnes à résoudre les confits de manière paisible et efficace, dans les problématiques individuelles, organisationnelles et politiques.
Marshall et ses associés enseignent et appliquent la CNV depuis plus de 35 ans dans différents lieux du monde, y compris des zones de conflit et de violence : en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe de l’est, en Irlande, dans le Sud-est asiatique, en Amérique du sud, et aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Europe occidentale et en Australie. La CNV peut être utilisée pour résoudre les conflits, améliorer les relations et accroître les performances dans tous les domaines de l’activité humaine, que ce soient les écoles, les entreprises, les prisons, les hôpitaux et les gouvernements, la police, les bandes organisées, les militaires, les militants, les parents, les enfants et les couples.
Son message
« Imaginez que vous êtes au bord d’une rivière et vous voyez un bébé dans l’eau. Vous allez ramasser le bébé et le sortir de l’eau. Puis vous en voyez un deuxième et vous le sortez de l’eau. Puis un troisième, un quatrième. Et vous allez les sortir de l’eau. Mais, au bout d’un moment, quand vous allez continuer à voir des bébés dans la rivière, vous allez arrêter de ramasser les bébés et vous allez remonter la rivière pour voir qui jette les bébés dans l’eau. Et peut-être même que vous allez ensuite chercher quelles sont les organisations qui demandent à des personnes de jeter des bébés dans l’eau. Où est-ce que j’investis mon énergie ? Est-ce que je vais retirer les bébés de l’eau ou est-ce que je vais investir mon énergie auprès de celui qui jette les bébés dans l’eau ou auprès des chefs de gangs ? »[3]
Que laisse-t-il ?
La coïncidence de sa mort avec l’actualité des assassinats et destructions de Daech participe à faire davantage prendre conscience de l’impérieuse nécessité de nous prendre en main, de nous réveiller de nos torpeurs, des inerties confortables où nous relayons les informations via les réseaux sociaux sans pour autant nous engager à faire concrètement changer les choses.
L’élan citoyen qui s’est caractérisé autour du slogan « Je suis Charlie » est venu démontré que plus de 4 millions de personnes dans les rues en France et sans doute au moins autant devant les écrans de télévision, ont communié en fraternité pour la démocratie et le respect des libertés.
Début janvier, nombreux ont été les citoyens français qui ont pris conscience des paroles de la Marseillaise, notre hymne national, et souhaiteraient en conserver l’air tout en modifiant les paroles afin qu’elles correspondent davantage à notre actualité sociale, au niveau de conscience des citoyens de ce début du XXIeme siècle. Et surtout qu’elle soit décorrélée d’un contexte de guerre, exhortant davantage au combat qu’à la conciliation contemporaine de nos différences.
Prendre conscience des paroles que nous prononçons c’est cette précaution à la relation que prônait Marshall Rosenberg depuis plus de 35 ans. L’attention que nous portons au vocabulaire usuel et quotidien que nous utilisons, nous permet de prendre conscience des emprunts historiques issus du langage guerrier et de réaliser combien il compose nos représentations et conditionne nos paroles comme nos actions.
A la suite de Gandhi, Marshall Rosenberg nous invite à modifier notre communication et bien sûr nos valeurs et représentations de la réalité et d’autrui afin que le choix des mots que nous utilisons puisse donner lieu à des relations de qualité avec les autres. Comprendre que la relation est aussi essentielle que précieuse et qu’elle peut être facteur de violence comme de paix selon l‘usage que nous en faisons est une étape essentielle sur le chemin de l’évolution intérieure, de la modification des interactions familiales et sociales. Elles permettent de modifier les échanges au sein des organisations et facilitent les coopérations comme les synergies.
Rendre hommage à Marshall Rosenberg, comme à tous ses précurseurs œuvrant pour la paix et la non-violence, c’est décider de marcher notre parole (proverbe amérindien qui incite à être cohérent), de faire attention à nos mots et décider d’utiliser des paroles qui ont la délicatesse de préserver chacun et la relation. C’est également comprendre l’importance de respecter nos besoins fondamentaux comme ceux de nos interlocuteurs afin que nos communications s’inscrivent dans une authenticité bienveillante au service du bien commun.
Christine Marsan (1) avec les contributions de Françoise Keller
[1] Christine Marsan est auteur notamment de Choisir la paix, InterEditions, 2010 et Entrer dans un monde de coopération, Chronique sociale
[2] Les éléments de description de la vie de Marshall Rosenberg sont partagés par Françoise Keller, membre active de la communauté de la CNV en France et dans la francophonie. Elle est auteur notamment de Pratiquer la communication non-violente. Passeport pour un monde où l’on ose se parler, InterEditions, 2011.
[3] Notes de Françoise Keller prises dans un atelier animé par Marshall B Rosenberg.