A mesure que le changement climatique et ses conséquences se font sentir, un nouveau genre littéraire gagne en popularité et fait une apparition remarquée à la Foire du livre de Francfort qui se tient du 10 au 14 octobre. Il s’agit de la « cli-fi » ou climat-fiction.
Au rythme des révélations scientifiques, des ouragans, des sécheresses et des inondations, les romans sur une planète en bouleversement plongent les lecteurs dans des réalités dont ils ne sont pas nécessairement témoins.
« Le changement climatique est un phénomène lent », relève l’essayiste américaine et intervenante à l’Université Brown Elizabeth Rush, « il nous est difficile de remarquer ces choses dans notre vie de tous les jours ».
Avec la « cli-fi », « vous pouvez vous imaginer être une personne chassée par des inondations ou la sécheresse, et de cette position imaginaire peut venir une empathie radicale », explique-t-elle à l’AFP.
Pour la romancière norvégienne Maja Lunde, tout a commencé par un documentaire sur la disparition des abeilles qui aujourd’hui suscite une inquiétude internationale tant le pollinisateur est essentiel à la chaîne alimentaire. « J’ai eu une révélation : c’est là-dessus que je veux écrire », confie-t-elle à l’AFP.
« L’Histoire des abeilles », qui raconte un monde où les humains doivent polliniser les arbres à la main, est depuis devenu un best-seller mondial, avec plus d’un million d’exemplaires vendus et des traductions dans une trentaine de langues.
Forte de ce succès, l’auteure s’est décidée pour une tétralogie de romans. Le deuxième livre, « Blue », qui traite de pénuries d’eau, a été publié en Norvège l’année dernière.
Mme Lunde, qui présente cette semaine ses romans à la foire du livre de Francfort, le plus grand événement mondial de l’édition, est convaincue que le succès de ce nouveau genre n’en est qu’à ses débuts.
« Je pense que nous verrons plus de ces livres dans les années à venir », dit-elle car « les gens sont de plus en plus préoccupés par le changement climatique… et les auteurs écrivent sur ce qui leur fait peur ».
Les recommandations publiées lundi par les experts climat de l’ONU (Giec), appelant à des transformations « rapides » et « sans précédent » pour éviter un réchauffement catastrophique, montrent que la situation « s’aggrave », déplore l’auteure norvégienne. Pour elle, la « cli-fi » peut participer à faire prendre conscience de l’urgence du moment.
Le journaliste indépendant américain Dan Bloom, également écrivain et blogueur, qui a inventé le terme « cli-fi » en 2010, décrit ce genre comme un cousin littéraire de la science-fiction, à la différence près qu’il se « base sur la réalité et la science véritable ».
Les premiers exemples remontent à plusieurs décennies. Le romancier britannique JG Ballard en est un précurseur, avec notamment « Le Monde englouti », qui racontait en 1962 la submersion de Londres après la fonte de la calotte glacière.
Aux États-Unis, la popularité et le nombre des romans de « cli-fi » sont largement plébiscités, malgré un contexte où des personnalités climato-sceptiques occupent aux États-Unis les plus hautes fonctions. Ce genre littéraire peut véritablement faire œuvre de résistance. En cherchant à éveiller les consciences à l’aide de récits apocalyptiques, la « cli-fi » rejoint ainsi la rhétorique des écologistes américains et européens dénonçant la surexploitation de la nature et l’absence de réaction adaptée face aux changements climatiques.
Pour Dan Bloom, la « cli-fi » est avant-tout un genre « fait pour le XXIe siècle« . « Nous y sommes : inondations, vagues de chaleur, pénuries d’eau, réfugiés climatiques… La cli-fi s’est inventée toute seule ».
L’été particulièrement chaud en 2018, marqué par la sécheresse en Europe et de gigantesques feux de forêt en Californie, a rendu le public encore plus conscient des conséquences du réchauffement climatique, selon M. Bloom.
Et cette prise de conscience alimente « l’envie de lire des romans cli-fi », à condition qu’ils racontent, comme tout bon livre, « de bonnes histoires, pleines d’émotion et de personnages marquants ».
« Dans la lumière », de l’Américaine Barbara Kingsolver (2012), sur l’arrivée soudaine d’énormes essaims de papillons monarques dans une forêt du Tennessee, ou la trilogie « Le dernier homme », de la Canadienne Margaret Atwood comptent déjà parmi les classiques du genre.
Ces ouvrages peuvent ainsi réussir là où les articles de presse et les rapports scientifiques « ennuyeux » restent hermétiques au grand public, estime M. Bloom.
Ils peuvent être « l’étincelle qui conduira à une transformation politique planétaire », espère Elizabeth Rush.
Source : AFP
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