La crise majeure subie actuellement par la biodiversité induit un déclin dramatique de notre patrimoine sonore naturel. Et à l’heure de la COP 15, l’exposition Musicanimale, le grand bestiaire sonore tend l’oreille vers le vivant. Vocalises d’oiseaux, stridulations d’insectes, chants mélodiques de baleines, improvisations miaulées, hurlements chorals de loups : cette exposition fait non seulement entendre les sons d’une quarantaine d’espèces, mais elle montre, à travers un parcours de 150 œuvres et objets d’art, combien ils fascinent et inspirent, combien ils suscitent de poésies visuelles et sonores.
« Réintroduire l’homme dans la symphonie du vivant
La biodiversité est menacée, c’est entendu. Et nous commençons sérieusement à l’entendre. Lorsque l’on réalise qu’en 50 ans, 50 % des sons du vivant auraient disparu, ne devient-il pas crucial d’écouter et de capter ces chants, et plus largement de contribuer à la prise de conscience sur la nécessité de préserver le vivant dans sa diversité ? Un an après l’exposition Salgado Amazonia (2021), qui déjà sensibilisait le public à la richesse du patrimoine naturel et sonore de la forêt amazonienne, la Philharmonie de Paris fait résolument de ces questions l’un des pivots de la saison 2022-2023. Une réflexion menée sur tous les fronts : grand cycle de concerts, colloque, forum, Nuit Blanche dédiée aux « Natures sonores », initiatives pédagogiques, parcours bioacoustique dans la Philharmonie des enfants, sans oublier l’exposition Musicanimale. Le Grand Bestiaire sonore.
À mi-chemin entre l’art et la science, Musicanimale tend l’oreille vers le vivant. Depuis toujours, l’homme s’est confronté aux voix animales pour les étudier, les reproduire, les transcrire ou les transfigurer. D’innombrables bestiaires jalonnent ainsi l’histoire de la musique, de Rameau à Saint-Saëns ou Pierre Henry. De nombreux instruments, appeaux, serinettes ou flageolets d’oiseaux, empruntent aussi aux animaux leurs formes et leurs matières, ou cherchent à en imiter les sons. Tandis qu’abondent, à travers les siècles, les iconographies et récits qui poétisent le lien des hommes aux animaux, comme les Musiciens de Brême, ou encore Papageno, célèbre homme-oiseau de La Flûte enchantée de Mozart.
Ouvert par un grand Concert d’oiseaux, le parcours de l’exposition dessine un abécédaire réjouissant pour les petits et les grands. Entre imagier vagabond et cabinet de curiosité, chaque lettre fait référence au règne animal (Coq, Insectes, Loup…) ou à des objets emblématiques (Appeaux, Coucous, Sonnailles…). Chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art côtoient installations immersives et commandes à de grands artistes, comme Bernie Krause et Tomás Saraceno.
Enfin, plusieurs immersions plongent le visiteur dans des écosystèmes saisissants, des fonds marins habités par le chant des baleines à bosse aux nuits bruissantes du Kenya.
Réintroduire l’homme dans la symphonie du vivant, c’est affirmer enfin qu’il peut y avoir une interaction musicale entre humains et non-humains, et contourner ainsi les conceptions occidentales séparant les deux règnes. Pour restituer avec justesse ces formes d’écoute du vivant, l’exposition bénéficie de partenariats avisés, avec le Museum national d’Histoire naturelle et avec le Musée d’ethnographie de Genève. Les forces combinées composent un parcours qui tente d’équilibrer les régions du monde représentées et qui, espérons-le, suscitera cette émotion : « Quand on entend le chant [animal], on se sent appartenir à ce destin commun des vivants de la terre » (Baptiste Morizot). »
Marie-Pauline Martin, Directrice du Musée de la musique et Olivier Mantei, Directeur général de la Philharmonie de Paris
La Philharmonie de Paris à l’écoute du vivant
Comment définir et apprécier l’extraordinaire diversité sonore produite continuellement par le vivant ? Y a-t-il une « musique » sous-jacente aux voix animales ? La Philharmonie toute entière, dans la diversité de ses activités, se met sur écoute pour aborder ces questions.
L’essor de la bioacoustique depuis les années 1950, avec l’œuvre pionnière de Bernie Krause ou encore de Knud Viktor, a permis de mettre le monde sur écoute pour mieux comprendre le comportement sonore des animaux et, à travers lui, l’évolution et l’écologie des espèces. Cette discipline ouvre un nouveau champ d’exploration pour la Philharmonie de Paris, incarné par une grande exposition et de nombreux événements programmés en contrepoint.
Le point de départ de cette exposition est le monde animal, dans sa dimension sonore et musicale. Construite en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle, elle fait entendre les sons d’une quarantaine d’espèces, des oiseaux et insectes aux baleines à bosse, et en décrypte le principe acoustique comme les fonctions essentielles.
Répondant aux œuvres exposées, le parcours sonore, riche d’une cinquantaine d’extraits, oscille entre les chants naturels des animaux et ceux façonnés par les compositeurs et musiciens, du répertoire classique aux musiques actuelles.
Entre art et science : un vaste cabinet de curiosités
Si l’exposition fait entendre les chants du vivant, c’est pour montrer combien ils fascinent et inspirent, combien ils nourrissent l’imaginaire des artistes et suscitent de poésies visuelles et sonores. Dans l’esprit des cabinets de curiosités où se côtoyaient, dès le XVIe siècle, merveilles naturelles et chefs-d’œuvre de l’art, l’exposition rassemble, sans cloisonnement et hiérarchie, des spécimens naturels, des objets issus de la culture matérielle (appeaux, sonnailles, coucous), des œuvres photographiques ou vidéographiques, et une riche sélection de tableaux et sculptures.
L’humanité entend-elle réellement la nature ? Tout au moins, lorsque l’on réalise qu’en cinquante ans, 50 % des sons du vivant auraient disparu, ne devient-il pas crucial de tendre à nouveau l’oreille et de capter ces chants avant que « la musique ne s’arrête » ? Engagée, l’exposition pointe, avec l’évolution de la diversité, le risque de disparition d’un véritable patrimoine : le monde sonore naturel. Dès la première salle de l’exposition, Bernie Krause livre ainsi une création sur les voix d’un monde sauvage qui, progressivement, s’ensilence…
Réintroduire l’homme dans la symphonie du vivant, c’est affirmer qu’il peut y avoir une interaction musicale entre humains et non-humains, et contourner ainsi les conceptions occidentales séparant les deux règnes. Construite avec la collaboration d’ethnomusicologues du Musée d’ethnographie de Genève, l’exposition veille, dans le parcours d’œuvres exposées, à équilibrer les régions du monde représentées.
Un parcours pour les familles
Comment imite-t-on le chant du coq à travers le monde ? Pourquoi dit-on « rire comme une baleine » ? La cigogne craquète-t-elle ou cancane-t-elle ? Et surtout, les animaux sont-ils musiciens ?
Misant sur la manipulation de dispositifs interactifs et l’observation des œuvres, un parcours spécialement conçu pour les enfants à partir de 6 ans invite à explorer les liens entre la musique et les sons du vivant.
Grâce à un plan dépliant, les jeunes visiteurs repèrent les stations du parcours dans l’exposition, pour jouer, manipuler, écouter des contes et des sons d’animaux, apercevoir des animaux bramer, hurler, parader… tout en s’émerveillant devant des tableaux et œuvres d’art contemporain.
Art contemporain et écologie, un dialogue nécessaire
Si elle rassemble des chefs-d’œuvre de l’art ancien européen et des cultures non occidentales, l’exposition fait la part belle à la création contemporaine, dans ses questionnements pressants sur le devenir de la biodiversité. Tomás Saraceno, Anri Sala ou encore Art Orienté Objet adaptent ainsi leur travail au parcours. Tandis que Bernie Krause, Julien Salaud, Koen Vanmechelen, Erik Samakh, ou encore Nelly Saunier dévoilent des œuvres créées spécialement pour l’exposition.
Œuvres présentées : Avec les Art Orienté Objet | Fernand Deroussen | Gloria Friedmann | Bertrand Gadenne | Bernie Krause | Olivier Leroi | Violaine Lochu | Annette Messager | Miruka | Erik Nussbicker | Luc Petton | Anri Sala |Julien Salaud | Erik Samakh | Tomás Saraceno | Nelly Saunier | Alain Séchas | Daniel Spoerri | Tout/reste/à/faire | Koen Vanmechelen | Knud Viktor.
Commissariat :
- Marie-Pauline Martin est maître de conférences en histoire de l’art à l’université d’Aix-Marseille. Détachée de l’université, elle dirige depuis 2017 le Musée de la musique à la Philharmonie de Paris, où elle fut commissaire de l’exposition Ludwig van : Le mythe Beethoven. Elle est spécialiste de l’étude des rapports entre musique et arts visuels.
- Jean-Hubert Martin est historien d’art et commissaire d’exposition, ancien directeur du Musée national d’art moderne et du Kunstpalast de Düsseldorf. Son intérêt pour les cultures non occidentales l’a conduit à concevoir des expositions confrontant des œuvres de nature et d’époque différentes favorisant ainsi un renouvellement du regard, telles Magiciens de la terre au MNAM – Centre Pompidou en 1989 et Carambolages en 2016.
Dans le prolongement de l’exposition Musicanimale, une journée animée par Mathieu Vidard, le 17 décembre, invite de grands invités issus du monde scientifique et du monde de l’art, à partager leur expérience autour d’une question essentielle : comment définir, apprécier, et protéger l’extraordinaire diversité sonore produite continuellement par le vivant ? Alors que l’anthropologie et l’histoire naturelle ont pointé avec force l’arbitraire de la distinction entre la nature (qui définirait un champ d’horizon extérieur à l’homme), et la culture (qui serait le propre de l’humanité), ne devient-il pas crucial de tendre l’oreille avant que « la musique ne s’arrête » ?
Voir l’événement
Exposition Musicanimale, le grand bestiaire sonore, à la Philarmonie de Paris /Musée de la musique – Jusqu’au 29 janvier 2023 – 221 avenue Jean Jaurès – 75019 – Paris
Du mardi au jeudi 12h à 18h
Vendredi 12h à 20h
Samedi et dimanche 10h à 20h
Fermeture les 25 décembre et 1er janvier / Fermeture anticipée à 17h les 24 et 31 décembre