Engagée dans les domaines de l’éducation, de la formation et de l’écocitoyenneté, la Fondation groupe EDF mène une action culturelle et artistique pour inviter à la réflexion collective sur des sujets de société. Avec l’exposition « Âmes Vertes, quand l’art affronte l’anthropocène » conçue en partenariat avec la Friche la Belle de Mai à Marseille, elle vient à la rencontre du public marseillais pour aborder la question écologique au prisme de l’art contemporain.
Du 8 février au 1er juin 2025, l’exposition dont le commissariat a été confié à l’historien de l’art Paul Ardenne, investit les deux plateaux de 1 400 m² de la Friche la Belle de Mai en présentant installations monumentales, photographies, tapisseries, sculptures, maquettes architecturales qui posent un regard artistique et sensible sur la question environnementale. Cette exposition imaginée comme la continuité de l’exposition Courants verts, présentée à la Fondation groupe EDF en 2020 et arrêtée brutalement en raison de la pandémie de Covid-19, s’attache à présenter notre rapport personnel et communautaire aux enjeux de l’adaptabilité écologique, en se détachant d’une forme de « dépression verte ».
Ne plus rêver des mondes imaginaires mais montrer les possibles
Avec ‘‘Âmes vertes’’, c’est la question écologique qui est mise en lumière par les artistes. Notre rapport à la nature devient tour à tour matière à alerter, à faire rêver, à faire sourire. »
Alexandre Perra, Délégué général de la Fondation groupe EDF
Aux discours éco-anxieux, les 22 artistes et 5 architectes exposés répondent avec optimisme et résilience pour inviter à questionner nos comportements et à réveiller nos âmes « vertes ». Sans parcours imposé, l’exposition traverse les différentes démarches des artistes et architectes. Certains s’attachent à donner corps et matière à ces possibles : ainsi, Édith Roux se consacre à une écocommunauté qui fonctionne, Twin Oaks, en Virginie alors que Ali Kazma filme le projet du Global Seed Vault de Svalbard où l’on stocke des graines de milliers d’espèces différentes pour répondre à leur prévisible disparition.
À leurs côtés, sont présentés des artistes de l’art « utile », créant des œuvres mises au service de l’écologie à l’image de Jérémy Gobé qui, épaulé par des scientifiques, s’applique à mettre au point une résille apte à protéger les coraux, aujourd’hui menacés par le réchauffement des océans. L’artiste arboriculteur Thierry Boutonnier, dans la même veine, engage un projet d’agroforesterie
autour de la culture de la cerise tout en valorisant l’agriculture verte.
D’autres artistes s’inspirent de ce que la nature crée et nous offre sans contrefaçon : Luce Moreau œuvre avec des abeilles qu’elle met à contribution pour sculpter. D’autres comme Côme Di Meglio et Tiphaine Calmettes recourent à des matériaux souvent dépréciés comme la terre crue, à l’opposé du noble marbre souvent utilisé en sculpture.
Dans une démarche proche du recyclage, certains utilisent les déchets que nous produisons : les œuvres d’Elvia Teotski, ou celles du collectif Polymer (ici avec des œuvres de Charlotte Gautier Van Tour, Jordan Joévin et James Shaw), utilisent la poussière ou des déchets plastique trouvés en mer Méditerranée.
Enfin, certains comme Christiane Geoffroy, Lucy + Jorge Orta ou Alexa Brunet présentent des œuvres plus alarmistes, visant à attirer l’attention sur les risques et pratiques incompatibles avec un développement respectueux de l’équilibre écologique.
Âmes vertes, ce sont aussi des architectes dont le travail illustre comment cette pratique à priori scientifique est également teintée d’imagination au service du mieux-vivre écologique. On pense notamment aux projets de AAVP Architecture, Ferrier Marchetti Studio, Manuelle Gautrand, Christian Hauvette ou Viguier.
Empreinte d’optimisme, cette exposition propose alors une vision ouverte sur l’avenir, où un monde aux ressources limitées invite à repenser la société grâce à l’ingéniosité du vivant.
Trois questions à Paul Ardenne, commissaire principal

— Qu’est-ce qu’une âme verte, au fond ?
Paul Ardenne : La culture de l’âme verte, de la Green Soul, rebat les cartes de notre manière de penser, de nos comportements. Avec elle, l’homme « maître et possesseur de la nature » (Descartes) laisse place au compagnon non écocidaire, au technicien soucieux d’en finir avec le régime de la productivité, au citoyen épris de justice environnementale chérissant les discours d’alliance. L’heure est au plus d’attention et de respect pour les écosystèmes. Et il s’agit de donner figure à cette réalité reprise en mains, à une création devenue spécifique d’une époque et d’une mentalité réellement inédites, propre au moment de la transition climatique que nous traversons.
— Comment la création artistique peut-elle nous aider à nous reconnecter avec la nature ?
PA : L’exposition réunit des artistes plasticiens qui donnent à l’esprit de renouement avec le vivant sa figure contemporaine. Leur manière, leur façon propre de procéder, est, le plus clair du temps, différente des « manières » conventionnelles decréer dans le domaine des arts plastiques. Plutôt que photographier ou peindre le soleil, par exemple, on captera son rayonnement pour
l’utiliser à des fins écologiques. Et mieux que dessiner une abeille, on utilisera l’activité de cet insecte pour produire des sculptures, entre autres « formes » de création. Encore : plutôt que simplement donner à voir des images du bonheur, on ira interroger les modes de vie d’une éco-communauté réelle en quête du bonheur, en artiste-enquêteur…
— Parmi les artistes présentés se trouvent également des architectes. Comment l’architecture sert-elle également au propos de l’exposition ?
PA : Leur présence a pour vocation de marier esthétique et utilité, vision artistique et impératif pratique au nom de cette volonté de se porter au-delà de la fantasmagorie ou de la rêverie sans fond, en faisant du contexte un aiguillon et du possible une réalité tangible et soutenable. Concevoir des immeubles, des gratte-ciels, des écoles, des centres culturels comme s’y appliquent les agences AAVP, Ferrier Marchetti Studio, Manuelle Gautrand, Christian Hauvette ou Viguier et le faire avec style n’a pas pour corollaires, en la matière, l’imagination sans lien au monde réel ou le don de soi à la figure libre.
Commissariat :
- Paul Ardenne est écrivain et historien de l’art, spécialisé dans les domaines de l’art contemporain, de l’esthétique et de l’architecture. Il est l’auteur de plusieurs essais dont, entre autres, Art, l’âge
contemporain, Regard, 1997, L’Art dans son moment politique, La Lettre volée, 2000, Un art contextuel, Flammarion, 2002, Extrême, Flammarion, 2006, Art, le présent : la création plastique au tournant du XXIe siècle, Regard, 2009, Un art écologique, La Muette/BDL, 2018, L’Art en joie, La Muette/BDL, 2022. - Avec Céline Emas Jarousseau, responsable des arts visuels, Friche la Belle de Mai, Marseille,
- et Nathalie Bazoche, responsable du Pôle culture, Fondation groupe EDF
Focus sur une sélection d’œuvres

FAIRE FLEURIR LE SALON, 2023-2024 – Installation, tilleul massif, grès cuit au bois, cire d’abeille, terre crue, composée également de 4 luminaires suspendus en cire d’abeille
Tiphaine Calmettes
(Née en 1988 à Ivry-sur-Seine (France), vit à Célony (Aix-en-Provence) et travaille à Marseille (France). Tiphaine Calmettes, diplômée de l’ENSA Bourges et Lauréate du prix Aware Artists en 2020, fait partie d’une nouvelle génération d’éco-artistes. Son travail explore nos relations avec la nature et valorise les matériaux organiques, en refusant les matériaux conventionnels comme le marbre ou le métal. Elle présente Faire fleurir le salon (2023-2024), composition de lampes en cire et de mobiliers sculptés en bois.
L’approche de Calmettes va au-delà de la sculpture : ses créations ont une dimension participative et performative. Elle conçoit l’art comme un espace de rassemblement et de réflexion collective, souvent organisé autour de rituels. En collaborant avec des spécialistes (sociologues, naturalistes, poètes…) et le public, elle fait de ses œuvres des catalyseurs de dialogue et de co-création.
Ce travail s’inscrit dans une démarche politique où l’hospitalité et la commensalité (partage sans hiérarchie) sont centrales, illustrant un engagement fort pour réinventer nos liens avec le vivant et le collectif.

CORAIL ARTEFACT, SOLUTIONS, 2025 – Projet art-science – Prototypes écoconçus en vue de la protection des récifs coraliens à travers le monde
Jérémy Gobé
Né en 1986 à Cambrai (France), vit et travaille à Paris (France). L’art tel que le conçoit Jérémy Gobé est non pas un travail solitaire mais, à rebours du principe de l’atelier fermé, une création qui se nourrit de rencontres, de confrontations, de contextes et de prises de conscience. Au fil de ses expositions en France (Palais de Tokyo, CENTQUATRE-Paris, Fondation Bullukian…) et à l’international (Bass Museum Miami, Hangzu China Museum, Shanghai Yuz Museum…), ses œuvres proposent une reconnexion avec la nature.
Jérémy Gobé présente ici divers prototypes de son chantier corailartefact aptes à contribuer, à assainir et régénérer, après implantation locale, les massifs coralliens. 100 % biosourcés (béton décarboné, par exemple) et bio-assimilables, fabriqués en circuit court, ceux-ci sont compatibles avec tous les types de coraux. C’est le cas du « BCA1 », breveté par l’artiste, un biopolymère à la fonction protectrice.

LA DÉRIVE DES CONTINENTS, VERSION, 2024 – Peinture murale. 1ère réalisation en 2010 (dimensions variables selon les réalisations) – Réalisation in situ
Christiane Geoffroy
Née à Chambéry (France) en 1955, vit et travaille à Saint-Martin-le-Vinoux (France). Nourrie par les liens étroits qu’elle entretient avec de nombreux chercheurs, Christiane Geoffroy construit un univers singulier dans lequel l’objectivité scientifique se conjugue à la poésie et au sensible pour sonder le monde du vivant.
Christiane Geoffroy présente La dérive des continents, une carte peinte d’un bleu ironiquement apaisant à même l’une des cimaises. Cette carte, reprise à peine modifiée aux géographes, représente en fait le rapport entre le taux d’émanation de CO2 de chaque État figuré sur la carte et son PIB (produit intérieur brut). Certaines régions continentales deviennent bouffies et d’autres s’y retrouvent rabougries, et ce, au prorata du degré de pollution qui caractérise leur économie. Une représentation coup de poing des inégalités du monde globalisé, outre la présentation au grand jour et sans anesthésie des principaux pollueurs de notre planète.

PIO. ÉCOLE, VERSAILLES (SITE), 2024 – PLA – polymère 100 % biosourcé. Échelle : 1/125. – Dimensions : 50 x 25 x 10 cm
AAVP (Atelier d’architecture Vincent Parreira)
Vincent Parreira : né en 1969 en Seine-Saint-Denis (France). Agence établie à Paris, cité de l’ameublement (France) En 25 ans de pratique, AAVP s’est forgé une réputation d’architecte d’espaces habités grâce à une approche contextuelle et adaptable, loin de tout dogmatisme. L’agence privilégie des projets singuliers, élégants et émotionnellement forts, tout en intégrant un souci constant du respect environnemental, de la conception à la livraison. Rejetant l’architecture de manifeste, elle propose des bâtiments intégrés, non-agressifs et sobres, visant à améliorer leur contexte en tissant des liens avec le milieu local.
Un exemple marquant est l’école élémentaire PIO, prévue pour 2024 à Versailles, dans un quartier en devenir. Situé près du château et dans une zone appelée à « verdir », le projet reflète une réflexion poussée sur le lien au contexte. Conçu presque entièrement en bois, avec une attention particulière à l’ornementation, il intègre terrasses et espaces extérieurs pour des potagers pédagogiques, incarnant une vision où nature et architecture cohabitent harmonieusement. L’architecture s’inspire du château de Versailles et du Petit Trianon tout proches.

EDEN SQUARE, 2012 – Photographies documentaires.
87 logements en accession et serre bioclimatique, place des Neuf-Journaux, ZAC Rives du Blosne, Chantepie (Îlle-et-Vilaine)
Christian Hauvette
Né en 1944 à Marseille (France), mort en 2011 à Orgeval (France) Grand prix national d’architecture 1991, bâtisseur mais aussi féru de philosophie et de sémiologie,
Christian Hauvette a été l’élève de Jean Prouvé au Conservatoire national des arts et métiers et de Roland Barthes à l’École des hautes études en sciences sociales. Son approche de l’architecture est à la fois constructiviste, réaliste et contextuelle, comme le signalent ses réalisations les plus connues : lycée professionnel Lafayette de Clermont-Ferrand, aux airs de Colisée métallique ; la Cour des comptes de Bretagne et l’École nationale supérieure Louis-Lumière à Noisy-le-Grand…
L’exposition rend hommage à son bâtiment Eden Square de Rennes, basé dans le quartier Chantepie, ZAC des rives du Blosne. Le programme consiste ici à réaliser une petite centaine de logements « bioclimatiques » à énergie positive et empreinte carbone minimale. Manifeste pour le développement durable, Eden Square offre du vert mais aussi du solaire et des isolations naturelles faisant de ce programme un prototype des habitats Green qui fleurissent aujourd’hui partout.
Exposition Âmes vertes, quand l’art affronte l’anthropocène, du 8 février au 1er juin 2025 – Friche La Belle de Mai, 41 rue Jobin – 13003 – Marseille
Photo d’en-tête : ©Lucy + Jorge Orta, Adagp Paris, 2025, ph.David Bickerstaff