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Monsieur le Président, d’Annie Ernaux

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Face au coronavirus et confinement qu’il entraîne, les éditions Gallimard mettent en ligne gratuitement chaque jour un à deux « Tracts de crise » signés par les grandes plumes de la Maison comme Erik Orsenna, Sylvain Tesson, Cynthia Fleury, Régis Debray ou Danièle Sallenave, afin de réfléchir aux questions que soulève l’épidémie et garder le lien avec le lecteur. 30 titres sont parus à ce jour. UP’ a choisi de vous offrir chaque jour un extrait d’un texte et auteur sélectionné.


Monsieur le Président, « Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps. » À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le Déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie.
Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières, les conditions sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, d’infirmières et d’aides-soignants, c’est la recherche médicale. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé qui depuis des mois réclamait des moyens et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – L’État compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui.

Vous préfériez prêter l’oreille aux intérêts privés, à ceux qui prônent le désengagement de l’État, l’optimisation des ressources, dans ce langage technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays, les hôpitaux en premier – les cliniques privées, elles, participent peu à votre effort de guerre – l’Éducation nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si malpayés, la Poste, EDF. Ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir au minimum cette vie indispensable, la vie matérielle.

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là.

Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice à la réflexion, aux interrogations, un temps pour imaginer un nouveau monde. Pas celui que vous n’aviez de cesse de vanter et dont on peut redouter, à certains signes, la reprise sans délai. Décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne néolibérale du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine, préconisent de « maintenir les marchés ». Et qui nous dit que les lois qui restreignent notre liberté aujourd’hui ne vont pas perdurer demain ?

LIRE LA SUITE

Annie Ernaux, « Tracts de crise » n°29, Gallimard, 2 avril 2020 – 10h

Voir tout le catalogue « Tracts de crise » Gallimard

Pour aller plus loin :

  • « Vous êtes resté sourd aux cris d’alarme » d’Annie Ernaux, Lettres d’intérieur, la nouvelle chronique d’Augustin Trapenard sur France Inter, la grande écrivaine écrit au président de la République, et dénonce une politique qui a conduit le pays dans une situation d’extrême urgence sanitaire. Un repère à ne pas perdre de vue.

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