Face au coronavirus et confinement qu’il entraîne, les éditions Gallimard mettent en ligne gratuitement chaque jour un à deux « Tracts de crise » signés par les grandes plumes de la Maison comme Erik Orsenna, Sylvain Tesson, Cynthia Fleury, Régis Debray ou Danièle Sallenave, afin de réfléchir aux questions que soulève l’épidémie et garder le lien avec le lecteur. 33 titres sont parus à ce jour. UP’ a choisi de vous offrir chaque jour un extrait d’un texte et auteur sélectionné.
Mais pour ce week-end, Gallimard nous propose un seul texte ! Mais quel texte !
« La Peste » est le livre numérique le plus lu depuis le début de la crise pandémique. Mais le catalogue Gallimard cache un autre trésor : cette « Exhortation aux médecins de la peste« , écrite par Albert Camus dès 1941, bien avant la publication de son roman. Un texte méconnu, d’une poignante actualité, où l’écrivain s’adresse aux soignants, placés aux avant-postes de l’humanité tout entière.
Publié avec un autre texte en avril 1947 dans les Cahiers de La Pléiade, sous le titre « Les Archives de La Peste », Exhortation aux médecins de la peste a probablement été écrit par Albert Camus en 1941, soit six ans avant la parution de La Peste dont il constitue l’un des travaux préliminaires. Alors que le grand roman d’Albert Camus est lu et relu aujourd’hui dans le monde entier, en toutes langues, la collection « Tracts de crise », avec l’aimable autorisation de la Succession Albert-Camus, vous propose de découvrir ce texte méconnu, mais d’une brûlante actualité, dans lequel l’écrivain adresse ses recommandations aux médecins dans leur combat quotidien contre l’épidémie.
Les bons auteurs ignorent si la peste est contagieuse. Mais ils en ont le soupçon. C’est pourquoi, messieurs, ils sont d’avis que vous fassiez ouvrir les fenêtres de la chambre où vous visitez le malade. Il faut se souvenir simplement que la peste peut être aussi bien dans les rues et vous infecter de la même façon, que les fenêtres soient ouvertes ou non.
Les mêmes auteurs vous conseillent aussi de porter un masque à lunettes et de placer, au-dessous de votre nez, un linge imbibé de vinaigre. Portez également sur vous un sachet composé des essences recommandées dans les livres, mélisse, marjolaine, menthe, sauge, romarin, fleur d’oranger, basilic, thym, serpolet, lavande, feuille de lauriers, écorce de limon, et pelure de coings. Il serait souhaitable que vous fussiez entièrement vêtus de toile cirée. Cependant, cela peut s’accommoder. Mais il n’y a point d’accommodements avec les conditions sur lesquelles bons et mauvais auteurs sont d’accord. La première est que vous ne devez tâter le pouls du malade qu’après avoir trempé les doigts dans du vinaigre. Vous en devinez la raison. Mais le mieux serait peut-être de vous abstenir sur ce point. Car si le malade a la peste, cette cérémonie ne la lui enlève point. Et, s’il en est indemne, il ne vous aura pas fait appeler. En temps 4 d’épidémie, on soigne son foie tout seul, pour se garder de toute méprise.
Albert Camus, Exhortation aux médecins de la peste, Tracts de crise, N°33, 4 avril 2020, 10 h