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A problème radical, solution radicale

Un débat sur l’avenir de nos sociétés et la lutte contre le réchauffement climatique s’impose

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Trois circonstances, indépendantes l’une de l’autre, créent une opportunité unique d’engager un débat public sur les réformes à entreprendre : le dérèglement climatique, avec canicules, sécheresses et inondations, a accéléré la prise de conscience de la nécessité d’agir fort et vite ; la guerre en Ukraine impose l’idée de rationnement de l’énergie fossile, plus seulement pour protéger le climat mais pour faire face à la réduction de l’offre ; en France, l’ouverture de la nouvelle législature et le lancement du Conseil national de la refondation. Trois éléments qui incitent à renouveler l’action politique.

Avec les alliés, de plus en plus nombreux de « compte carbone », nous sommes arrivés à la conviction que seule l’allocation à tous d’un quota égal d’émissions annuelles de gaz à effet de serre répondait au défi climatique. Reste à trouver une stratégie robuste pour en populariser l’idée sur la scène publique. Et, pour cela, bien comprendre ce qui s’y oppose.

Deux objections reviennent régulièrement : c’est une « solution radicale » qui effraie, beaucoup préférant rester dans le confort du prêt à penser ; c’est une « usine à gaz », on ne sait pas exactement comment ça fonctionnera. Voici la réponse proposée à chacun des deux.

Ce n’est pas la solution qui est radicale c’est le problème lui-même ! Car, depuis deux siècles, nous sommes devenus totalement dépendants de l’énergie fossile et de modes de production industriels. On parlait au début du vingtième siècle de la « fée électricité » et, depuis, les fées se sont multipliées ou plutôt les esclaves machines qui nous éclairent, nous nourrissent, nous chauffent, nous apportent au salon tous les spectacles du monde. Certains ont estimé, par analogie avec l’énergie que peut mobiliser un être humain, que notre mode de vie actuel représentait l’équivalent de 200 esclaves travaillant pour chacun de nous 24h sur 24.

Dans ces conditions, oui, diviser par plus de cinq nos émissions en moins de trente ans représente une rupture radicale, appelle l’invention d’une nouvelle société, d’un nouveau mode de vie, de nouvelles technologies. C’est nier la radicalité de ce changement qui est absurde, pas d’accuser les réponses d’être radicales !

Pour conduire ce changement radical il faut comprendre la source même de la situation actuelle. Elle n’est ni limitée à la question climatique, ni imputable, comme on l’entend souvent dire, « au capitalisme », ni réduite à la surconsommation des riches des pays riches. C’est tout le système intellectuel et institutionnel de ce que l’on appelle couramment « la modernité » qui est en cause, système que je préfère appeler « la première modernité » car on y répondra en allant en avant, pas en rétropédalant. Une modernité qui a fondé son efficacité opérationnelle sur la division du travail et la spécialisation. La coupure entre humanité et biosphère, dont le réchauffement climatique est l’expression la plus spectaculaire, n’en est qu’une des manifestations. Division et spécialisation se retrouvent dans les sciences, l’éducation, le rapport entre réflexion et action, la gouvernance. L’efficacité a été au rendez-vous mais s’est accompagnée d’une crise générale des relations que l’on retrouve dans les rapports interpersonnels, dans la destruction de la biosphère, dans les relations entre sociétés.

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Opérer un changement radical passe donc par une révolution intellectuelle et institutionnelle, l’adoption d’une « boussole de la seconde modernité » fondée sur la reconstruction de la relation dans tous les domaines et sur l’arrivée au premier plan d’acteurs considérés jusqu’à présent comme secondaires, les territoires et les filières mondiales de production, qui sont des espaces naturels de construction des relations.

C’est cette boussole de la seconde modernité qu’il faut mettre en débat et traduire en réformes dans le domaine de la gouvernance, de l’économie, de l’éthique et du droit, de l’éducation et de la recherche scientifique. Et, pour cela, montrer que les évidences que nous croyons intemporelles sont en réalité des croyances héritées du passé et forgées en réponse à des défis qui ne sont plus les nôtres : une économie fondée sur une logique de croissance infinie ; une gouvernance privilégiant des Etats souverains ; une éthique et un système juridique reposant de façon quasi exclusive sur les droits individuels.

En adoptant cette nouvelle boussole comme nous le faisons avec le Manifeste « Osons les territoires » (publié aux Editions du Pommier), on fait de la lutte contre le réchauffement climatique l’illustration de la révolution copernicienne que nous devons conduire pour mettre les relations au centre de notre pensée et de nos institutions.

Deuxième objection au compte carbone : c’est une usine à gaz et on ne voit pas bien comment ça fonctionnerait. Il faut aujourd’hui rompre un cercle vicieux : comme ce n’est pas sur la scène publique il n’est pas possible de mobiliser moyens, talents et expériences pour préciser son mode de fonctionnement, mais comme celui-ci n’est pas précisé on ne peut le mettre sur la scène publique.

Les anglo-saxons y répondent par une formule frappante : « when there is the will there is the way » ; autrement dit, quand on a la volonté d’aboutir on en trouve les moyens. C’est bien cette volonté qu’il faut construire : parce que le système des quotas est au bout du compte la seule solution efficace et juste, il faut maintenant en préciser collectivement la mise en œuvre. Les alliés du compte carbone, depuis deux ans, ont proposé de nombreuses réponses concrètes. Il faut aller plus loin et de façon encore plus collective en impliquant les pouvoirs publics. Les réponses seront d’autant plus faciles à mettre au point qu’on peut s’adosser à des réflexions et des technologies développées à d’autres fins. Trois exemples :

  • si on reconnaît que l’énergie fossile est une monnaie à part entière, on peut transposer aux quotas l’ensemble des méthodes développées pour la monnaie classique, en particulier pour financer les investissements ;
  • les recherches actuellement en cours en Europe sur la mise en place d’un « euro numérique » bénéficient de gros moyens ; elles nous aideront à répondre à la question de la faisabilité technique de la monnaie carbone et à lever les inquiétudes sur la surveillance des consommateurs ;
  • enfin, les blockchains, avec les protocoles économes en énergie (un article de Jean Paul Delahaye dans le Monde du 24 septembre rappelle que l’on peut, par rapport au bitcoin, diviser par mille la consommation énergétique des blockchains), répondent à l’enjeu de traçabilité des échanges et des émissions de gaz à effet de serre tout le long des filières de production.

Pour faire émerger ces questions sur la place publique, il ne faut pas attaquer bille en tête avec les quotas mais en montrer l’évidence, à l’issue d’un raisonnement imparable et compréhensible par tous. Ce raisonnement part de la nécessité d’assumer, enfin, notre part de responsabilité dans le réchauffement climatique en nous fixant une obligation annuelle de résultat permettant de diviser par quatre notre empreinte climatique d’ici 2050 comme nous en avons pris l’engagement international, ce qui représente une réduction de 6 % par an tout le long de la période. Imparable. Comme je l’expose dans une tribune publiée par Le Monde le 12 octobre, le moment est particulièrement opportun pour enfin parler de rationnement, le terme étant déjà sur toutes les lèvres.

Ensuite il faut définir les autres critères qui s’imposent à toute politique sérieuse. Ils sont au nombre de quatre : faire porter cette obligation de résultat sur la totalité des émissions liées à notre mode de vie ; respecter un impératif de justice sociale ; disposer d’un mécanisme global entraînant la mobilisation de tous les acteurs au service de cette obligation de résultat ; respecter le principe de moindre contrainte selon lequel il faut que la poursuite du bien commun limite aussi peu que possible la liberté de choix des individus.

C’est la trame des débats publics à conduire ; ce serait la trame d’un éventuel referendum citoyen, point d’orgue de ces débats. Si d’autres solutions que celle des quotas négociables satisfont à ces conditions, tant mieux, qu’on les mette sur la table et qu’on les compare : nous ne sommes pas des dogmatiques des quotas, nous voulons seulement que la France s’engage dans une voie sérieuse et conforme à ces critères.

Pour poursuivre ces échanges, une nouvelle réunion de l’alliance « compte carbone » se tiendra le jeudi 1er décembre de 18h à 22 heures à l’Académie du climat .
Inscription pour salle ou visio : www.comptecarbone.cc/allies

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