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Contrôle : la société de surveillance

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Orwell avait raison ; il s’était simplement trompé sur la date. La société contemporaine devient insensiblement, au gré des mutations technologiques, une société de surveillance. Et cette transformation lente mais incoercible se déroule dans des espaces au cœur desquels la démocratie se retrouve minée. Big Brother se déroulait dans une société totalitaire dans laquelle on pouvait imaginer des noyaux de rébellion. La société de liberté dans laquelle nous vivons est le cadre d’une implantation beaucoup plus subtile de moyens de contrôle et de surveillance variés et convergents ; la contestation ne peut s’opérer car, lentement mithridatisée, elle se retrouve démunie de toute capacité de réaction.

Au XIXème siècle et jusqu’à une date récente, les policiers fichaient les individus susceptibles d’être dangereux dans des carnets anthropométriques. L’anthropométrie mesurait le profil physique des personnes. Les technologies d’identification contemporaines et notamment la biométrie, suivant des chemins assez voisins puisqu’elles consistent à transformer une caractéristique physique d’un individu en une empreinte, mais cette fois-ci, numérique. La biométrie encode ainsi des caractéristiques stables et permanentes d’une personne humaine. Celle-ci peut alors incontestablement être reconnue, identifiée et possiblement tracée.

Les passeports biométriques contemporains contiennent des données numérisées permettant la reconnaissance de ce qu’il y a de plus intime en nous : notre trace biologique. Initiées aux États-Unis après les attentats du 11-Septembre, ces procédures répondent à des circonstances particulières et sont, sous le couvert de protection et de sécurité, plus ou moins généralement acceptées au nom d’une « tolérance circonstancielle » . Le philosophe Giorgio Agamben ne l’entend pas de cette oreille et s’insurge contre ce véritable « tatouage biopolitique » qui traduirait une animalisation progressive de l’homme mise en œuvre à travers les techniques les plus sophistiquées .

La biométrie n’est qu’une partie d’un ensemble plus vaste de technologies contribuant à construire une société dans laquelle les individus sont identifiés et localisés. Ce qui est en train de se constituer sous nos yeux, est « un réseau multicouches, un millefeuille invisible dont chaque composant s’intègre dans un édifice d’ensemble. » Satellites de géolocalisation, téléphones portables, cartes numériques, Internet, caméras de surveillance, systèmes biométriques, toutes ces technologies convergent pour tisser un réseau dans lequel l’individu n’est plus anonyme, ne parvient plus à préserver son intimité. La société devient « panoptique » pour paraphraser Jeremy Bentham. Mais tout ceci n’est rien à côté de ce qui apparaît : l’émergence d’une société composée de milliards de mouchards, capteurs ubiquitaires du réel.

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Parmi ces capteurs, la population des puces RFID est en augmentation exponentielle, leur nombre dépassant déjà largement celui des humains. Ces puces, qu’elles soient actives ou passives sont amenées à être intégrées sur tous les supports de notre vie et notamment dans notre corps, sous forme d’implants d’identification ou de contrôle médical. Plusieurs projets très concrets se fondent aujourd’hui sur l’implantation de puces sous-cutanées d’abord sur des animaux, et dans un très proche avenir sur des humains. Une boîte de nuit espagnole propose dès aujourd’hui à ses clients une puce sous-cutanée pour passer plus facilement à l’entrée et payer les consommations. La Food and Drug Administration américaine a donné son accord à la société Verichip pour implanter une puce d’identification RFID sous la peau de patients. Et le précurseur britannique Kevin Warwick envisage sereinement pour 2015 l’implantation de puces dans le cerveau, qui nous permettrait de communiquer par la pensée, y compris à distance via l’internet .

Plus prosaïquement ces capteurs pénètrent les moindres objets de notre vie quotidienne : du tube de dentifrice que nous utilisons chaque matin jusqu’au réfrigérateur installé dans la cuisine. Ces « objets intelligents » font partie intégrante du réseau ubiquitaire, ils émettent des informations multiples et localisent les objets qu’ils habitent. Ils sont capables de sentir et d’agir sur leur environnement, qu’il s’agisse d’un espace physique, d’une machine, d’un corps. Ils sont reliés les uns aux autres en réseaux autonomes , formant les synapses immatérielles du superorganisme global. Plus encore, leur miniaturisation permet de les transformer en poussières intelligentes, les smart dusts, de taille microscopique, disséminables sur tous les supports. Commercialisées depuis 2004, elles représentent à la fois une formidable opportunité – par exemple dans la surveillance des massifs forestiers face aux menaces d’incendies – et un risque sans précédent d’intrusion dans la vie de chacun.

Les chercheurs du Surveillance Studies Network estiment que la société de surveillance a fait émerger un secteur économique évalué à 1000 milliards de dollars dans le monde, couvrant un vaste éventail de biens et de services. Ils alertent : « la société de surveillance est devenue lentement, subtilement et imperceptiblement une réalité. »

Ces technologies qui se multiplient et se diversifient à vitesse exponentielle transforment radicalement les conditions dans lesquelles les sociétés humaines sont appelées à vivre. La dématérialisation et l’invisibilité de ces dispositifs permettent de les faire accepter beaucoup plus facilement. Ils intègrent le moindre objet de notre quotidien, ils maillent dans un filet d’une finesse inouïe, la moindre parcelle du territoire sur lequel vivent les humains. On ne les voit pas, mais ils sont là. Par surcroît, ces technologies sont perçues comme des avancées : elles sont pratiques, elles rendent des services incontestables en matière de sécurité ou de santé, elles sont souvent ludiques. Elles pénètrent ainsi la société à la manière de chevaux de Troie, anesthésiant toute réaction. Sommes-nous ainsi entrés subrepticement dans les temps de la « servitude volontaire » ? Cet événement n’est pas de la science fiction. Il est notre contemporain et exige réflexion.

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