[CORPS]
L’information numérique, par les langages, était extérieure à l’homme. Avec le virtuel, l’homme, dans son corps, est devenu aussi support d’information. Corps d’emprunt dans les avatars des jeux vidéo et des réalités virtuelles, corps augmenté par ajout d’organes périphériques comme les pilotes de chasse, les chirurgiens, mais aussi tous ces passants que l’on voit dans les rues, munis d’un étrange artefact –leur téléphone mobile– comme greffé à leur oreille, corps interactivé en plate-forme d’information biométrique, corps connecté physiquement et mentalement à d’autres corps du réseau.
Paul Klee disait « maintenant les objets m’aperçoivent » . Peut-être sommes nous effectivement à ce stade de notre évolution où ce sont les objets que nous fabriquons qui nous regardent. Peut-être s’interrogent-ils sur notre propension à ne pas pouvoir beaucoup supporter la réalité et à chercher à y échapper en la recréant. L’homme échappé de la réalité, dans son esprit et dans son corps aussi.
Le corps, virtualisé, échappe à sa réalité et aux frontières de son organisation biologique. Le corps virtuel, c’est le fantasme du Golem, c’est aussi le monde des robots et des androïdes. Longtemps cantonné dans l’imagination des auteurs de science fiction, ces domaines investissent aujourd’hui les laboratoires de recherche du monde entier. Le monde occidental, depuis longtemps déjà, approche la robotisation sous l’angle industriel, d’amélioration de la productivité et d’allégement des tâches pénibles du travail humain. Les chaînes de montage de tous les secteurs industriels sont automatisées, robotisées. Le robot remplit des fonctions techniques et mécaniques.
Sous d’autres horizons et d’autres cultures, le robot prend une autre dimension. Au Japon, la recherche en robotique travaille sur des machines capables de remplir des fonctions anthropoïdes. Le Japon, détaché par sa culture et sa religion du tabou du Golem, n’est pas limité intellectuellement ni éthiquement dans la reproduction de plus en plus parfaite de l’être humain. Des robots accompagnateurs, nouveaux confidents virtuels, voient le jour dans les centres de recherche d’Honda, de Mitsubishi ou de Sony.
Dans le domaine artistique, les robots danseurs apparaissent sur les grandes scènes chorégraphiques. De nombreuses expériences sont menées, fruits de la collaboration d’artistes chorégraphes et d’ingénieurs en cybernétique. Elles révèlent à la fois l’attraction et la répulsion que peuvent représenter les technologies de substitution du corps pour des artistes dont le corps est le moyen sacré d’expression et de créativité. Les danseurs n’hésitent plus aujourd’hui à laisser leur corps se faire absorbé par la machine. L’expérience du chorégraphe Marcel Li Antunez et de son exosquelette est intéressante à cet égard : le danseur est « incarcéré » dans un robot dont les mouvements sont dictés notamment par ceux du public. L’interactivité produite pose pour l’artiste le problème de la double contrainte douloureuse : celle de l’homme sur l’homme mais aussi celle de la machine sur l’homme. D’autres artistes investiguent le champ du dédoublement du corps, créant des performances où le corps des danseurs est tout à tour mais aussi simultanément, réel et virtuel. Ainsi le danseur Kevin Mischel qui excelle dans le « popping« , style de danse qui « fait péter les muscles comme du pop-corn ! ». Cette danse reposant sur trois principes de base : les hits, l’isolation et les angles, consiste à imiter un robot,dans un style très compact.
Pour Michel Maffesoli , avec leur appropriation quotidienne et leur utilisation artistique et tribale, les technologies deviennent vivantes et, en quelque sorte, ré-enchantent. Dans un registre plus quotidien, il voit dans les parures, la customisation du corps, le piercing, les tatouages,…des indices pris au sérieux par leurs porteurs. Ces indices nous alertent : le corps virtuel, le corps augmenté, le corps périphérique, ne concernent pas de simples avatars numériques jouissifs et désincarnés, mais bien des êtres faits de chair, de sang et d’émotions.
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