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Soyons comptables du vivant face aux générations futures !

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Des canons à eau pour éteindre les brasiers… ceux de l’Amazonie, comme ceux de Hong Kong. Lutter contre le chaos d’un monde en miettes. La dérégulation, la financiarisation, les algorithmes pour armer la logique d’un désastre devenu systémique. L’imposture économique est patente. L’OCDE organise d’ailleurs les 17 et 18 octobre prochain des tables rondes ciblées sur « Comment éviter l’effondrement systémique ».

Steve Keen, auteur de l’Imposture économique, et de Démystifier l’économie y interviendra, ainsi que Jean-Marc Jancovici. Dans ce temple de la croissance, on commence à comprendre qu’il n’y aura plus de performance financière sans performances écologique et sociale. Dans le rapport de l’OCDE réalisé pour le G7 environnement de Metz (1) les auteurs avouent que les destructions induites par une industrie inconséquente reviennent à scier la branche sur laquelle elle prospère. Les chiffres sont terrifiants : les pertes des services écosystémiques s’élèvent à une valeur comprise entre 4 000 et 20 000 milliards de dollars par an ; auxquelles s’ajoutent les pertes imputables à la dégradation des terres situées entre 6 000 et 11 000 milliards de dollars par an ». C’est pratiquement ¼ du PIB mondial (estimé à 84 740 milliards de dollars américains en 2018 par le FMI).

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Il faut soigner le système. Le convertir ! Si des années de développement durable après Rio, puis de Responsabilité sociale des entreprises après Johannesbourg (2002) ont tenté d’écoper un bateau malade, désormais il faut changer de cap. Les coûts de l’inaction face aux dégâts climatiques et biologiques sont vertigineux. Le dérèglement du climat coûtera 1000 milliards de dollars d’ici cinq ans aux 215 plus grandes entreprises mondiales (2). Les entreprises se sentent désormais vulnérables.
L ’exemple de Bayer qui a perdu 40% de sa capitalisation boursière en moins d’un an après avoir racheté Monsanto fait office de repoussoir.

La performance économique hors sol n’est plus viable pour les Etats comme pour les investisseurs qui exigent des informations extra-financières. Après la Loi NRE en 2001, relative aux nouvelles régulations économiques puis la loi Grenelle 2 en 2010, la Directive européenne sur le reporting extra financier (avril 2014), transposée en droit français à l’été 2017, rend obligatoire la publication d’informations non financières au sein des rapports de gestion pour les grosses sociétés.

Mais chacun sent que ces « rustines » ne suffiront pas à une véritable intégration des valeurs écologiques et sociales dans le système de décision des entreprises. Car, en effet, les externalités des activités industrielles sont toujours mises hors radars pour estimer les performances des organisations. Chacun comprend aussi de plus en plus nettement que les Etats ne peuvent plus réparer des destructions mutualisées tandis que les profits continuent d’être privatisés (on estime que la contribution à cette réparation – des biens communs que sont l’eau, l’air, la santé… – s’élève à 500 euros d’impôts par contribuable et par an, en France).

Puisqu’il faut faire « cause commune »

S’il faut donc traiter d’un même geste les risques d’effondrement financier, écologique et social, il y a donc peut-être une chance de faire … cause commune ! Autour d’une seule chose : protéger l’habitabilité de la terre. L’urgence est celle du vivant, avec un levier : la vérité écologique.

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Car aujourd’hui comme hier, le vivant ne compte que …pour du beurre. Il passe totalement sous les radars des mesures du PIB ou du gouvernail des entreprises. Il nous faut ouvrir le capot du moteur économique, à savoir la comptabilité. Ici on tombe sur un énorme mensonge, un vrai scandale : Si les activités industrielles saccagent la planète, c’est que le système comptable de nos organisations néglige l’essentiel : l’amortissement des capitaux qui le produisent, à savoir le monde vivant.

« Notre système comptable est borgne » disait Corinne Lepage à l’Assemblée nationale le 7 février dernier. En effet, dans les normes comptables, une seule chose est préservée, c’est le capital financier. Les conventions comptables ignorent le prix à payer par la nature ou les humains pour produire. Tout simplement parce que le capital naturel ou le capital humain ne sont pas considérés, alors qu’aucune production ne peut se faire sans leurs concours. Dans le monde réel, ces capitaux sont des dettes à rembourser.

Les comptables ne prévoient l’amortissement que d’un seul capital, le capital financier. Et c’est pour cela que la prédation et la destruction des écosystèmes ont pris une telle ampleur. Les lunettes des comptables les rendent aveugles aux dégâts. C’est la raison pour laquelle le rapport Notat Sénard – qui a préparé la Loi Pacte – reconnait que « les entreprises ne disposent pas d’une image fidèle de leurs activités ». On comprend d’emblée : si les exploitants des gaz de schistes ou les industriels extracteurs de minerais devaient rendre des comptes sur l’état dans lequel ils laissent les lieux exploités, immédiatement leurs activités ne seraient plus rentables.

Convertir le logiciel de l’économie

Pour faire cause commune, nous pourrions donc aujourd’hui activer un levier, celui des normes comptables. L’objectif serait d’inscrire dans nos bilans comptables l’obligation de maintenir non seulement le capital financier, mais aussi les capitaux naturels et humains. Il s’agit ainsi d’internaliser les coûts de maintien des supports de la production que sont les milieux vivants et sociaux. C’est une reconnaissance de responsabilité pour assumer les conséquences des opérations industrielles.

Le modèle CARE (comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement) développé par Jacques Richard, professeur d’économie à l’Université Dauphine et Alexandre Rambaud, enseignant à AgroParisTech, propose d’opérer cette bascule. Ce modèle détourne le capitalisme actuel qui garantit le seul capital financier en revendiquant un « capitalisme augmenté ». A l’instar de l’amortissement du capital financier, il prévoit l’amortissement du capital naturel et du capital humain pour que les écosystèmes vivants et sociaux soient préservés. En les inscrivant aux passifs, ces nouveaux capitaux sont traités exactement comme le capital financier.

La conversion comptable comme levier et cohérence

Cette conversion comptable a le mérite de la cohérence. Elle permet de sortir de toutes les déclarations, pétitions, recommandations… qui patinent sans prise sur le logiciel économique. Elle a le vent en poupe avec plusieurs événements attendus cet automne :

– Le lancement de la Chaire partenariale de Comptabilité écologique portée par AgroParisTech le 3 septembre à l’UNESCO. Ce réseau académique et industriel expérimente des méthodologies qui visent à inscrire le capital social et le capital environnemental au sein des bilans comptables.

Le Tribunal pour les Générations Futures du 30 septembre à Paris sur le thème « Changer de comptabilité pour sauver le vivant ? »  Ce TGF est organisé par TEK4life – qui soutient des pratiques « biocompatibles » – sous le format sous licence et imaginé par Usbek &Rica. Ses partenaires sont AgroParisTech, la Commission développement durable du Barreau de Paris, VEOLIA, l’AG2R La Mondiale, MR21, le réseau OREE, Le cabinet Compta Durable, Mediatico et UP’Magazine. 

Jacques Richard, sera mis en accusation pour subversion, manipulation et marchandisation de la nature. Ce procès fictif impliquant de vrais responsables, révèlera la portée des conventions comptables qui seront mises en discussion publique grâce à d’éminents témoins et avocats.

– Les députés Mohammed Laquila et François-Michel Lambert travaillent à un projet de loi sur l’évolution des normes comptables.

Donner du sens à des dynamiques convergentes

Il est frappant de constater aujourd’hui la convergence des initiatives. « Nous dépendons tous de la nature, et pourtant le modèle économique traditionnel et son approche axée sur le court terme sont porteurs de destruction et non de régénération de la nature, reconnaît Thomas Lingard, Directeur Général Monde pour le climat & l’environnement d’Unilever. Nous voulons mettre un terme à cela ». Son groupe a rejoint la coalition « Business for Nature » qui rassemble une quinzaine d’organisations telles le World Business Council for Sustainable Développement (WBCSD), le Forum Economique Mondial (WEF), la Chambre de commerce internationale, la Confederation of Indian Industry ou Entreprises pour l’environnement (EpE) le WWF, le World Resources Institut (WRI) ou la Tropical Forest Alliance.

L’ambition de ce réseau : changer les règles du jeu économique pour restaurer les systèmes vitaux de la planète. Il s’agit d’Intégrer la nature dans les stratégies d’investissement comme le préconise le rapport Into the wild, publié par WWF et AXA en mai dernier, à la demande du Ministère de la transition écologique et solidaire.

Cette coalition peut être mise en résonance avec la Communauté des entreprises à mission ou le réseau des Benefit Corporation (BCorp). Pour s’engager dans la transition écologique, un réseau d’acteurs organise d’ailleurs les 3 et 4 septembre : les Premières universités d’été de l’économie de demain.  La mutation est urgente comme l’avouait aussi le ministre Bruno Le Maire le 25 juillet dernier (3) : « Le capitalisme est dans une impasse. Il ne peut plus se donner comme seul objectif de générer du profit. Il doit avoir un sens politique et social. Il a conduit à la destruction des ressources naturelles, à la croissance des inégalités et à la montée des régimes autoritaires. Son changement est indispensable… ». L’ancien président d’Exxon pour la Norvège, Oystein Dahle, l’a bien formulé : « Le socialisme s’est effondré parce qu’il n’a pas laissé le marché dire la vérité économique. Le capitalisme peut s’effondrer parce qu’il ne permet pas de dire la vérité écologique ».

(1)  Rapport OCDE « Financer la biodiversité, agir pour l’économie et les entreprises, mai 2019 
(2)  Major risk or Rosy opportunity? Are companies ready fot climate change? Rapport du Carbon Disclosure Project en juin 2019
(3)   Interview de Bruno Le Maire dans le journal Le Point du 25 juillet 2019

Ce texte restitue l’intervention de Dorothée Browaeys du samedi 24 août 2019, lors de la table-ronde finale organisée par la Fondation pour l’écologie politique, lors des journées d’été d’EELV. Voir la  Video de la Table-ronde « Nouveaux enjeux pour l’écologie politique ».

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