À la faveur de sa Saison Fractale Visions Parallaxes paramétrée par la valeur heuristique du désordre et de la dynamique de la théorie du chaos, le Centre Wallonie-Bruxelles|Paris (CWB) vous convie à une itération de ce geste artistique. En plaçant leur installation performance à l’échelle d’une ville, les artistes Camille Dufour et Rafaël Klepfisch renouent avec les origines de la gravure comme moyen de reproduction et de communication populaire. Les 7 péchés capitaux –Orgueil, Gourmandise, Envie, Colère, Avarice, Paresse, Luxure– sont convoqués ici comme des thèmes d’analyse et de sonde de nos sociétés contemporaines.
Après avoir présenté le travail de gravure de Camille Dufour en 2019 dans le cadre d’une exposition collective consacrée au Prix Médiatine, le Centre la reconvie autour d’un projet hybride porté avec Rafaël Klepfisch, développé en 2020, dans le cadre de la Biennale de l’Image Possible à Liège.
Chaque péché – imprimé en cent exemplaires – est composé de deux gravures sur bois. L’une, figurée, destinée à être emportée par les passants ; l’autre textuelle, vouée à être complétée et augmentée par l’apport des visiteurs.
Pendant plus d’un mois, Rafaël Klepfisch et Camille Dufour affichent leurs diptyques dans les rues de Paris. Le projet se parachève par deux weekends de performances au CWB, les 8 et 9 mai et les 15 et 16 mai. Sur une presse, les artistes y impriment alors les deux derniers péchés de la série en public.
Les deux estampes, accrochées à même les abribus, les murs décrépits, les couloirs de gares, constituent autant de tentative de mettre l’œuvre en relation avec un public non dédié, de transcender l’espace muséal et de restituer à l’œuvre d’art sa puissance d’idiome de résistance.
À la fois référence aux revendications placardées en temps de troubles sociaux et tentatives d’infractions aux images dominantes, les impressions réalisées sont une invitation à regarder et poser un regard « parallaxe ». Sur le modèle de l’antique catharsis, l’intervention dans l’espace public entend faire remonter les maux refoulés de nos sociétés.
Le projet convoque les passants, en les incitant à s’emparer d’un espace public qui devient agentif.
Au cœur du dispositif, le public est invité à emporter les estampes afin de les afficher dans la ville. Mais, si les lieux de culture et d’art demeurent fermés, les estampes produites dans la galerie seront distribuées à même la porte du Centre WB, détournant le concept du clic & collect. Le dispositif se désanctuarise pour exister dans ce contexte d’interdits et de censure. Les participants terminent leur engagement par la photographie de leurs accrochages dans la rue, créant ensemble une vaste série photographique collective.
La performance relève de gestes : geste de graver, d’imprimer ; geste d’affichage, geste d’exister, de résister.
Camille Dufour (1991, Mons, BE) développe une approche de la gravure sur bois qui allie installation et performance autour de gravures sur bois monumentales. En 2017, elle sort diplômée de la Cambre ENSAV. Son projet de fin d’étude, واص بلح évoque le siège et la disparition de la ville d’Alep. Lors d’une performance, réalisée dans une ancienne savonnerie, Camille Dufour imprime ses gravures à la main à l’aide d’un savon d’Alep jusqu’à épuisement de l’encre. L’effacement du motif gravé par impressions successives vise à laver symboliquement les désastres de la guerre et le trop plein d’images médiatiques. En 2018, le projet remporte le Prix de la gravure et de l’image imprimée. L’année suivante, il reçoit le Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles à la Médiatine. En 2019, Camille Dufour poursuit ses recherches sur la catharsis et imprime jusqu’à épuisement de l’encre une centaine de xylographies sur toile dans l’usine de fabrication de toile Claessens Canvas. Cette série, Lavandière de la nuit, qui revisite le thème de l’apocalypse à l’ère de l’anthropocène est présentée au Centre Wallonie-Bruxelles|Paris en 2019 ainsi qu’à Ijsberg à Damme.
Depuis 2018, Camille Dufour collabore avec la Bruthaus Gallery et expose entre autres, au Wiels, au Kikk Festival de Namur, à la BIP2020 à Liège, à la Boverie et à l’ISELP. En 2020, elle obtient la bourse VOCATIO. Cette année, elle reçoit le prix Dacos.
www.camille-dufour.be
Rafaël Klepfisch (1992, Bruxelles) est diplômé d’un Master en réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion et d’un Master en Histoire de l’Université du Mans. À ce jour, il a écrit et réalisé six courts-métrages dont Mayla (2017) et L’eau, seule certitude (2018) sélectionnés dans de multiples festivals. Inquiet des enjeux contemporains et à la recherche de formes plus directes, il se tourne vers la vidéo où la forme fait acte d’essai, de repositionnement, de questionnement face aux discours dominants. L’écriture est un de ses médiums de prédilection. Il aborde tour à tour, la vie de l’alpiniste G. Mallory pour questionner le rapport de domination de l’Homme à la Nature ; l’anthropocène via une bande dessinée aux accents mythologiques ; ou encore les dérives de nos sociétés dans les textes des 7 péchés du capitalisme.
Pour la BIP 2020, il conçoit également une installation vidéo monumentale Retours sur le capitalisme. Sept projections diffusent en continu un recyclage d’images issues exclusivement d’internet. Autant d’incarnations de l’imagerie triomphante qui sature l’espace public, recomposées pour mieux saisir la facticité, mieux l’analyser avec distance et créant des liens thématiques non narratifs.
Rafaël Klepfisch est aussi professeur d’Histoire du cinéma et de scénario à Preparts Film. Il anime des ateliers à la Cinematek autour de la bande dessinée et du cinéma.
En 2020, Camille Dufour et Rafaël Klepfisch reçoivent la bourse Un futur pour la culture de la FWB avec le parrainage de l’asbl Komplot.
Interview avec Camille Dufour et Rafaël Kelpfisch
Vous avez déployé votre installation-performance Les 7 péchés du capitalisme lors del’édition 2020 de la Biennale de l’Image Possible à Liège au sein de l’ancien magasin Décathlon. Le choix de cet espace correspondait-il bien à votre démarche ?
Cet ancien haut lieu de consommation incarne tout particulièrement un système capitaliste à bout de souffle. Nous avons pensé notre installation comme un chantier, comme une reconstruction symbolique sur les ruines de la société marchande. Nous avons réhabilité l’espace vacant en manufacture de résistance temporaire. Chaque week-end, nous y imprimions sur une presse un nouveau péché du capitalisme en cent exemplaires. Le retour au geste artisanal dans un lieu ayant longtemps sacralisé la production de masse incarne une critique des dérives du système capitaliste.
Au Centre, votre œuvre investira l’espace plus classique d’une galerie. Cependant, vous réaliserez lors de 5 week-ends un affichage sauvage de vos gravures dans les rues de Paris. C’est une manière d’aller au-delà de l’espace institutionnel. Quel rapport au public et aux œuvres recherchez-vous dans cette inscription hors-les-murs ?
Les 7 péchés du capitalisme ont pour objectif premier d’interagir avec un public le plus varié possible. Chaque péché est composé d’un diptyque de deux gravures sur bois. La première, figurée, est destinée à être emportée par les passants. L’autre, textuelle, est vouée à être complétée.
Par l’interactivité du dispositif ainsi que par la proposition de don dans l’espace public – saturé d’injonctions à consommer – nous cherchons à donner une dimension démocratique au projet. Les gravures accrochées à même les murs de la ville sont une invitation à regarder autrement.
Elles cherchent à faire réagir les passants, à les amener à s’approprier les problématiques abordées et, à leur tour, à les approfondir ou proposer des avis divergents.
Aussi, au moment où la crise du Covid nous éloigne chacun.e les un.e.s des autres et que l’ère du numérique continue son essor, le projet porte l’envie de renouer avec la matérialité des échanges et la circulation d’œuvres originales. Il entend renouer avec les origines de la gravure comment moyen de communication populaire en opposition au déferlement continu d’images marchandes.
Le Centre Wallonie-Bruxelles, par son emplacement au cœur de Paris, permet à notre installation de jouer pleinement son rôle de quartier général d’où jaillissent et se disséminent nos impressions dans la ville. C’est formidable car le spectateur, placé au cœur du dispositif, est invité à emporter les impressions originales afin de les afficher dans la ville.
Lors de deux week-ends de performance, vous imprimerez en public sur une presse des gravures de la série. Qu’avez-vous prévu d’imprimer plus précisément en live ?
Cinq diptyques texte-images auront été affichés par nos soins dans les rues de Paris durant cinq weekends consécutifs. Les deux derniers seront dédiés aux deux derniers diptyques : la Colère et la Paresse. Nous ferons cent tirages en public chaque weekend.
La présence du public et sa possibilité d’interagir est essentielle. Que ce soit dans la rue mais aussi dans l’espace muséal. Il est à la base de notre dispositif et à la conclusion.
Vous invitez le public via un Click & Collect devant la galerie à emporter des gravures pour les afficher dans les rues de Paris et photographier leur accrochage. Pourquoi ce choix de privilégier une participation interactive ? Comment comptez-vous faire écho et rendre visible leurs images ?
Le retour du projet dans l’espace muséal a posé de nombreuses questions. D’emblée, celle du rapport au public – très direct dans la rue – est apparue menacée. Il ne fallait pas dénaturer le projet. Les gravures ont été créées pour être accrochées sur les murs de la ville. De cette contrainte, sont nées de nouvelles idées et les fondements du projet se sont trouvés renforcés.
En faisant reposer le dispositif sur la participation active du public dès la distribution, son horizontalité et son caractère participatif se sont accentués. Le spectateur qui désire afficher des gravures dans la rue s’engage à le faire dès la récupération de ses gravures par le Click & Collect. Il photographie ensuite son affichage, participant à créer une série photographique collective.
Ce qui est intéressant, c’est que le dispositif permet non seulement de sortir l’œuvre de la galerie mais aussi de faire le chemin inverse. L’affiche de la rue mène à la galerie et vice versa. On pourrait parler de dispositif circulaire, englobant. À Liège, nous avons été ému.e.s d’accueillir des visiteurs curieux dans l’espace d’exposition : ils avaient découvert le projet dans la rue ! À leur tour, ils ont pris des gravures pour les afficher et ont prolongé notre geste.
Étant donné la situation dans les lieux culturels en France en ce moment – qui ne peuvent pas ouvrir leurs portes au public – nous avons eu l’idée de détourner le concept florissant du clic & collect au service de notre performance. Au lieu de prendre les gravures dans l’espace de l’exposition comme prévu, le public pourra se voir confier un duo d’impression aux portes du Centre. Forts du soutien de Stéphanie Pécourt et de l’équipe du Centre, nous continuons à distribuer nos gravures aux gens malgré la fermeture imposée.
Quelle place occupent les vidéos que Rafaël a réalisées dans votre projet ? Pourquoi ce parti-pris d’enlever le son d’images glanées sur internet ?
Les vidéos sont le fruit d’un recyclage d’images incarnant de multiples exemples de l’imagerie dominante. Elles proviennent de l’éclatement de vidéos en tous genres et sont comme autant de facettes d’une réalité spectaculaire. Une fois recomposées, décontextualisées, elles se montrent nues, libérées de tout artifice. Les sept vidéos, muettes, se veulent paradoxalement assourdissantes. Elles se répètent sans fin.
L’idée est de montrer ces images dans leur réalité la plus crue, proposant un visionnement analytique. Le choix des moniteurs de télésurveillance fait directement référence aux retours vidéo – ici d’un monde saccagé par le néolibéralisme.
Contrairement aux gravures qui invitent à une forme d’engagement, l’installation vidéo propose plutôt un motif d’indignation voire une forme de dissection en direct. L’autopsie d’une réalité catastrophique et ultra-médiatisée.
Le Centre Wallonie-Bruxelles|Paris (CWB)
Loin de constituer un mausolée qui contribuerait à la canonisation de l’héritage patrimonial de la culture belge francophone, le Centre est un catalyseur de référence de la création contemporaine belge et de l’écosystème artistique dans sa transversalité. Au travers d’une programmation résolument désanctuarisante et transdisciplinaire, le Centre est mandaté pour diffuser et valoriser des signatures d’artistes basé.e.s en Fédération Wallonie Bruxelles, dans une perspective d’optimisation de leur irradiation en France. Il assure ainsi la promotion des talents émergents ou confirmés, du périphérique au consacré. Il contribue à stimuler les coproductions et partenariats internationaux et à cristalliser une attention en faveur de la scène belge.
Le Centre dévoile, par saison, des démarches artistiques qui attestent de l’irréductibilité à un dénominateur commun des territoires poreux de création contemporaine belge. Situé dans le 4e arrondissement de Paris, face au Centre Pompidou, sa programmation se déploie sur plus de 1000 m2. Îlot offshore belge, il implémente également des programmations Satellites en Hors-les-Murs en lien avec des institutions, opérateurs et évènements prescripteurs. Le Centre est un service décentralisé de Wallonie-Bruxelles International (WBI) : instrument de la politique internationale menée par la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles Capitale.
Exposition CENTRE WALLONIE-BRUXELLES | Paris -129, rue Saint-Martin – 74004 – Paris
- Installation : 8 >16 mai – en galerie
- Performances : en continu – en galerie week-ends 8>9 mai & 15>16 mai
POUR LES DATES DU 8 AU 16 MAI : si la situation demeure celle d’assignation des lieux d’art et de culture au « non-essentiel »… nos portes seront fermées et entre- ouvertes pour d’essentiels « click & collect » : Distribution d’estampes de « péché » sur rendez-vous et réservation via cette adresse : reservation@cwb.fr avec comme objet du courriel : click & collect