Ce 30 janvier, à 17h, aura lieu la première audience du Tribunal européen pour les écosystèmes aquatiques. Pour inaugurer ce Tribunal citoyen pour les droits de la Nature, sera défendu le dossier de la Mer de Glace. Objectif : la nécessité de respecter les droits du glacier.
La crise climatique menace l’existence du plus grand glacier de France : situé dans le massif du Mont-Blanc, ce glacier fait plus de 30km² de superficie, 12km de long et 300m d’épaisseur. L’inaction actuelle provoquera une diminution de son volume de 90% d’ici la fin du siècle. Cependant, la simple application des mesures de réduction des gaz à effet de serre de l’Accord de Paris permettrait la conservation de plus de 60% du volume actuel du glacier. La Mer de Glace doit être défendue afin de garantir sa survie. C’est pourquoi le réseau européen de la GARN ouvre son Tribunal en présentant ce cas emblématique.
Le droit comme outil pour la protection des écosystèmes en danger
De janvier à mai 2021, le Tribunal pour les droits de la Nature étudiera cinq cas d’entités aquatiques à protéger en Europe : la Mer de Glace en France, les rivières de Guyane française, le lac Vättern en Suède, les rivières des Balkans et la Mer Méditerranée menacée par les boues rouges à Marseille.
- LIRE DANS UP : L’avenir de la Méditerranée est à un point de bascule
Il est encore temps d’agir. Reconnaître les droits de la Nature, c’est reconnaître les liens d’interdépendance entre l’humain et la Nature et accepter que l’humain ne puisse plus en disposer en toute impunité. Ainsi, il s’agit d’établir la personnalité juridique de la Nature afin de la prendre systématiquement en compte dans nos choix politiques et sociétaux. Cette évolution juridique est nécessaire à la préservation de la vie. Un tel Tribunal citoyen a pour objectif de démontrer la possibilité d’une reconnaissance officielle des droits de la nature dans notre système juridique, indispensable pour un droit protecteur du vivant.
Cette première audience est organisée par le Réseau européen de la Global Alliance for the Rights of Nature (GARN), Notre Affaire à Tous, aux côtés de l’association Mountain Wilderness.
Pour Marine Yzquierdo, de Notre Affaire à Tous, qui tiendra le rôle de l’avocate représentant les intérêts de la Mer de Glace, “Ce tribunal est l’occasion de mettre en lumière le rôle crucial des glaciers par rapport au dérèglement climatique, et s’inscrit dans le plaidoyer de Notre Affaire à Tous pour la justice climatique et la reconnaissance des droits de la Nature. La Mer de Glace est en train de disparaître, ses droits à exister, se maintenir et régénérer ses cycles vitaux doivent être reconnus”.
“Les montagnes jouent un rôle stratégique dans la gestion de l’eau, explique Fiona Mille de Mountain Wilderness. Comparables à de grands châteaux d’eau, elles stockent cette ressource vitale dans leurs glaciers et manteaux neigeux pour ensuite approvisionner nos vallées. L’eau est source de vie et nous devons agir pour préserver et régénérer les écosystèmes aquatiques de montagne”.
Cette première audience est importante. Car, comme l’argumente Natalia Greene, co-secrétariat du Tribunal européen pour les droits des écosystèmes aquatiques, “après avoir organisé cinq Tribunaux Internationaux des droits de la Nature, celui-ci est particulièrement important en raison de l’exposition des cas et de l’intérêt pour les droits de la nature en Europe, afin que la nature puisse avoir une voix et une plateforme pour démontrer comment traiter la nature comme un sujet de droits”.
Suivez en direct sur Facebook ce Tribunal, en français GARN Europe et en anglais GARN. L’événement est accessible à toutes et tous (avec ou sans compte Facebook).
Cinq cas d’atteintes graves aux écosystèmes aquatiques seront présentés au Tribunal par les communautés impactées et des experts de toute l’Europe
L’objectif du Tribunal Européen pour les droits de la Nature en défense des écosystèmes aquatiques est de présenter, en ligne, une affaire chaque dernier samedi du mois entre janvier et mai. 5 mois pour 5 affaires. Ce format permettra d’accorder plus de temps à chaque affaire, de valoriser pleinement les témoignages et l’expertise, et de ne pas dépendre de l’évolution de l’urgence sanitaire actuelle.
Les conclusions du jury seront notifiées aux autorités compétentes de l’Union et aux responsables des dommages. À travers cette saison d’audiences, ainsi que les événements et les actions de la campagne GARN Europe, l’objectif est de promouvoir la modification des textes européens pour la protection des écosystèmes aquatiques et la mise en œuvre d’actions préventives et correctives.
Le Tribunal sera présidé par un panel de juges experts des droits de la Nature du monde entier.
La Mer de Glace
Ce géant de glace est sévèrement menacé de disparition du fait du dérèglement climatique. Chaque année, le glacier rétrécit de 30 à 40 mètres et perd jusqu’à 5 mètres d’épaisseur à son aval. Depuis 1850, la Mer de Glace a reculé de 2km. Les scientifiques estiment qu’elle pourrait encore reculer de 1,2km d’ici 2040.
L’œil, qui ne peut se lasser de se promener sur tous les étages du vaste édifice de ces montagnes, rencontre partout des sujets d’admiration. C’est d’abord une forêt de gigantesques mélèzes qui tapisse le bout opposé de la vallée. Au-dessus de cette forêt, l’extrémité de la Mer de Glace, dépassant le Montanvert comme un bras qui se recourbe, penche et précipite ses blocs marmorés, ses lames énormes, ses tours de cristal, ses dolmens d’acier, ses collines de diamant, dresse à pic ses murailles d’argent, et ouvre dans la plaine cette bouche effrayante, d’où l’Arveyron naît comme un fleuve, pour mourir un mille plus loin comme un torrent.
Victor Hugo – Extrait d’un « Voyage aux Alpes », août 1825
Peut-on encore aujourd’hui parler d’ « admiration », malgré les paysages alentours, en parlant de la Mer de Glace en 2021 ? Car près de deux siècles après ce voyage de Victor Hugo dans la vallée de l’Arve du Massif du Mont-Blanc, les « reptations lentes du glacier », d’année en année, se retirent, et c’est ainsi que le glacier nous renseigne sur l’évolution de notre climat. Comme l’explique le journaliste scientifique Fabrice Nicot, « L’étude du glacier est une spécialité des chercheurs du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement de Grenoble (LGGE), qui prennent son pouls régulièrement. Avec une quarantaine de jalons en bois implantés à la surface du glacier, ils enregistrent la quantité de neige ou de glace accumulée, ou fondue, au fil du temps. Mois par mois, année après année, les chercheurs établissent ainsi son « bilan de masse ». De même, en relevant la position de ces jalons chaque année, à l’aide d’un GPS précis au millimètre près, ils mesurent la vitesse de déplacement du glacier. Dans un article paru début 2014 dans Annals of Glaciology, les chercheurs du LGGE estiment que le glacier reculera d’1,2 kilomètre. Soit autant en trente ans que depuis un siècle et demi !
La disparition des glaciers aurait des conséquences désastreuses sans précédent pour la biodiversité (êtres humains et êtres non-humains). Avec l’expansion thermique des océans, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires d’Arctique et du Groenland est la cause principale de l’élévation du niveau des océans.
Il existe une indéniable interdépendance entre les êtres humains, les êtres non-humains et les glaciers. Pour exemple, les glaciers de la cordillère des Andes en Bolivie a de nombreuses conséquences sur les populations des villes et des campagnes : leur fonte assoiffe les populations car la glace des montagnes alimente les rivières pour l’irrigation des cultures, correspond à 20% de l’approvisionnement en eau de la capitale La Paz. Le glacier Tuni disparaît plus rapidement que prévu, sa fonte s’accélérant depuis trente ans.
Selon une étude menée par l’université de Leeds, au Royaume-Uni, 28.000 milliards de tonnes de glace ont disparu entre 1994 et 2017.
Lors de l’audience, l’équipe de la Mer de Glace demandera au Tribunal de reconnaître qu’afin de garantir les droits des êtres humains et non-humais, les droits de la Terre Mère et de ses éléments, notamment la Mer de Glace, doivent être reconnus et respectés. En reconnaissant le droit des glaciers d’exister et de se régénérer, nous protégeons aussi les droits fondamentaux des êtres humains et non-humains.
Image d’en-tête : La Mer de Glace et glacier du Géant © JF Hagenmuller