Au sein de la communauté océan, rassemblant scientifiques, ONG et représentants du secteur privé, on attend la COP21 avec impatience. Depuis plusieurs mois, on se consulte, on s’organise, on s’associe et on prépare publications et évènements qui, on l’espère, auront un impact décisif sur les négociations. Car le lien entre océan et climat est réel, et même double : grand régulateur du climat mondial d’une part, l’océan subit les impacts des changements climatiques d’autre part. Si ces liens confèrent une légitimité indéniable à la communauté océan pour intervenir dans le débat climatique, sont-ils pour autant suffisants pour influer sur le cours des négociations devant mener à l’Accord de Paris ?
Rappelons tout d’abord que l’intérêt de la communauté océan est, comme pour beaucoup d’autres groupes constitués (sur les forêts, la santé, la sécurité alimentaire, la désertification, etc.), de voir adopter à Paris un accord ambitieux, universel et contraignant, permettant de limiter le réchauffement en deçà des 2 °C d’ici à la fin du siècle. Au-delà, les dommages sur les milieux marins et côtiers deviendront majeurs, et pour beaucoup irréversibles. Or, les récentes évaluations des contributions nationales en matière d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, les fameuses « INDCs », démontrent que l’objectif des 2 °C ne pourra être atteint en l’état actuel des engagements. La communauté océan doit donc aujourd’hui se joindre aux appels, nombreux, réclamant l’inclusion d’un mécanisme de révision plus strict des engagements nationaux.
Cinq objectifs à privilégier
Que l’Accord de Paris rende rapidement possible une limitation du réchauffement en deçà des 2 °C, voilà donc l’intérêt premier de la communauté océan et le cap vers lequel elle doit orienter sa course. Au-delà de cette aspiration, partagée par beaucoup, peut-elle promouvoir des objectifs plus ciblés ? Peut-elle espérer une forte mobilisation autour des enjeux marins et envisager, par exemple, des engagements additionnels de la part des États ?
Sans doute, mais l’ambition doit rester mesurée. L’Accord de Paris n’a pas vocation à organiser la protection de tel ou tel écosystème marin ou terrestre, mais devra fixer un cadre de coopération permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES). De la même manière, si l’impact des changements climatiques sur l’océan constitue un argument supplémentaire et irréfutable pour agir, il est peu probable que celui-ci s’avère décisif dans les dernières heures de la négociation, tant les enjeux sont par ailleurs complexes et multiples.
Dans ce contexte, la communauté océan pourrait élaborer sa stratégie d’intervention autour de cinq objectifs principaux, présentés ici par niveau croissant d’ambition.
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La COP21 constitue une formidable opportunité pour sensibiliser les délégués nationaux et la société civile à l’importance des liens entre océan et climat. C’est notamment l’occasion de dépasser les discours caricaturaux – sur les petites îles qui vont disparaître, par exemple – pour mettre en lumière certains aspects souvent occultés : l’océan est le premier fournisseur d’oxygène de la planète, il limite le réchauffement et sa protection est essentielle pour qu’il puisse continuer à assurer ces fonctions régulatrices.
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Les négociations climatiques présentent l’intérêt d’ajouter un argument supplémentaire dans le plaidoyer pour la protection de l’océan : assurer la conservation du milieu marin est indispensable pour de multiples raisons, et notamment celle relative à son rôle de régulateur de la machine climatique.
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La communauté océan doit être capable de formuler des propositions spécifiques sur les principaux volets de la négociation climat. Cela exige, par exemple, de pouvoir mettre en lumière le possible rôle de l’océan dans la transition énergétique, de formuler des pistes concrètes pour renforcer les capacités d’adaptation dans les zones côtières, ou encore de proposer des activités à financer par le Fonds Vert.
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Cette capacité à intervenir dans le débat de fond, et donc dans l’agenda climat de l’après 2015, pourrait permettre – et c’est là un objectif à moyen terme – d’inscrire progressivement les enjeux océan au sein de la sphère climatique, scientifique (via l’élaboration d’un rapport spécial du GIEC, par exemple), technique (au sein du Corps subsidiaire de conseil scientifique et technologique, l’organe chargé de fournir des conseils à la COP), puis politique.
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Enfin, ce que la communauté océan peut sans doute espérer de mieux, c’est que la COP21 permette de créer une dynamique permettant de soutenir tous ces objectifs. Une dynamique associant des États, évidemment, mais aussi des ONG, des entreprises, des chercheurs… La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) devient une enceinte au sein de laquelle chacun peut apporter des propositions, et la communauté océan doit donc y trouver une place.
En somme, il ne faut sans doute pas attendre de Paris une véritable lame de fond, mais de petites vagues qui pourront progressivement faire la différence.
Julien Rochette, Coordinateur du programme océans et zones côtières, Iddri – Sciences Po
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.